Prologue

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« Ces paroles sont certaines et vraies ; le Seigneur Dieu, qui inspire les prophètes, a envoyé son Ange pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt. Voici que mon retour est proche ! Heureux, celui qui garde les paroles prophétiques de ce livre. »

Apocalypse 22,6-21

La salle était petite, aux couleurs pastel vieillies et largement enfumées, diffusant une musique d'ambiance proche de la pop rock grâce à un écran cathodique en fin de vie. Les tables en bois étaient suffisamment proches pour permettre aux clients de se parler sans avoir à bouger, mais laissant toutefois un espace pour se rendre au bar. Le mot était bien inapproprié pour décrire le comptoir en longueur dans une matière indéfinissable où s'accoudaient toujours les habitués. Derrière, un barman nettoyait ses verres, affichant un air constamment désabusé, comme si rien de ce qui pouvait se passer dans son bar ne pouvait encore l'émouvoir.

D'ailleurs, il regardait l'homme qui avait élu domicile à l'autre bout du comptoir. Ça faisait plusieurs heures qu'il descendait verre sur verre, avalant la vodka comme du petit-lait et ne semblant pas subir les effets de l'alcool. Pourtant, il devrait bientôt lui refuser d'autres verres, non pas qu'il s'inquiète vraiment de l'état de cet homme, mais il voulait quitter son service la conscience tranquille. Si sa relève lui accordait de boire jusqu'à plus soif, ce ne serait plus son problème. Il haussa les épaules en pensant que l'humanité était de toute manière en constante recherche d'auto-destruction et qu'il n'y pouvait rien.

L'attention du serveur fut détournée par un client bien alcoolisé qui s'était levé et avait commencé à hurler des propos incohérents sur le monde et sur des anges descendus sur terre. D'un simple regard du barman, un homme se leva pour attraper le bras du pauvre ivrogne afin de le calmer et le faire sortir. Le patron avait investi dans un vigile quelques mois après les premières montées de violence en ville et il ne l'avait pas regretté, ses employés non plus. Pouvoir venir travailler en sécurité était un luxe bien trop rare. Le pauvre bougre fut mis àla porte sous les ricanements de l'homme que le barman tenait à l'œil un peu plus tôt. Il fronça les sourcils en reportant son attention sur celui-ci.

_Vous avez certainement bien assez bu pour ce soir, monsieur. Puis-je vous appeler un taxi ?

Il avait posé sa question d'une voix morne, s'attendant certainement à une réponse agressive. Le regard bleu électrique de l'inconnu sembla percer le barman de part en part. Un regard qui le dérange sans pouvoir l'expliquer.

_Il parait que tous les anges sont bons, et qu'aucun démon ne ressent l'amour. Ces deux affirmations sont fausses ... Répondit-il, le visage exprimant un calme absolu.

Le barman se permit un sourire alors qu'il se demandait sur quel genre d'illuminé il était encore tombé et ce que l'alcool allait lui faire dire. Pourtant, il fut poussé par la curiosité et relança le sujet alors qu'il finissait d'essuyer son dernier verre.

_Et vous vous y connaissez en ange ? Vous êtes quoi ? Un curé ?

Le cynisme de celui-ci ne sembla pas émouvoir l'homme qui avança son verre sur le comptoir un sourire sur les lèvres. Le barman secoua la tête pour signifier son refus de le servir. L'homme en costume noir se pencha sur le comptoir, prenant un air conspirateur.

_Laissez-moi vous conter une histoire en échange d'un seul verre de plus.

Il fit un clin d'œil à celui qui lui faisait face et enchaîna, persuadé qu'il avait gagné sa proposition. Il prit une pose théâtrale tout en lançant un regard mi-charmeur, mi-amusé au grand black qui avait refusé de le servir.

_ Cette histoire, on vous l'a déjà racontée dans un joli livre avec une croix dessinée sur la couverture. Vous pensiez l'avoir déjà lu ou tout du moins en connaître les grandes lignes ? Et si je vous apprenais que vous avez tort ?

Il trempa ses lèvres dans le breuvage, laissa traîner son regard le long du bar avant de hausser les épaules d'un air las. Lorsqu'il revint au barman, son air fut plus grave.

_ Et si je vous disais que ce que vous pensiez pour acquis n'était qu'un tissu de mensonges, une jolie histoire édulcorée pour éviter d'effrayer les foules ? Comment suis-je si sûre de moi ?

Derrière son comptoir l'homme prit un air amusé alors même que la narration de l'inconnu l'avait déjà pris dans ses filets. Il avait envie d'entendre son histoire, elle s'annonçait déjà bien différente de celles qu'il avait déjà entendues dans sa longue carrière.

_Avant de rire ou de me prendre pour un fou, asseyez-vous un instant à côté moi. Laissez-moi reprendre depuis le début.

Un simple haussement de sourcil accueillit les déclarations de l'homme, mais il fut encouragé à continuer son récit par un signe de la main alors que barman se servait son propre verre de vodka juste en face de lui.

_Je me souviens de la première guerre sainte, du ciel embrasé, du visage des anges déchus. J'ai assisté au bannissement des légions célestes, plus d'un tiers des anges, ainsi qu'à la création des enfers. Chaque ange prit position aux côtés de ceux qui partageaient leurs convictions. Les frères restés loyaux furent témoins de la chute de Lucifer. Celui qui fut le premier de tous les anges, le préféré de notre Créateur et le premier à se rebeller contre lui. C'est étrange ce que la jalousie peut faire à un cœur non préparé. Dieu noya la terre, purifiant ainsi les lieux de la perversion de certains anges. Pourtant, la paix n'était pas revenue, loin de là. Il se préparait dans le plus grand secret la seconde guerre sainte.

Bien plus vicieuse, plus cruelle, cette guerre eut lieu sur la Terre, les humains furent pris en otage par Lucifer et ses soldats. Nous dûmes encore intervenir pour arrêter la progression du mal, Michael à la tête de l'armée divine. Suite à cette guerre, la Terre fut ravagée une nouvelle fois, laissant toutefois aux humains une nouvelle chance de se reconstruire. Ces anges renégats, que nous appelons désormais démons, ne sont plus mes frères depuis longtemps tout comme ceux du ciel, je suis le témoin impartial de la prochaine guerre, car de nouveau il y aura la guerre.

En attendant, les anges sont descendus sur terre, empruntant des corps humains pour tenter de guider le monde des hommes. Dans l'ombre, Lucifer travaillait à corrompre la création de Dieu. Il s'était infiltré doucement au fil des siècles dans toutes les couches de la société, dirigeant en secret les gouvernements.

L'humanité si chère au Créateur était devenue bien plus sombre, enlisée dans ses vices et refoulant ses croyances en l'éternel. N'entendant plus que les cris d'agonies de ses enfants, Dieu décida d'envoyer des anges en reconnaissance. J'ai donc assisté à l'ouverture des ponts entre les mondes, qui laissèrent déferler de nouveaux anges, mais aussi des démons dans le monde des humains, et dans ce chaos se préparait une nouvelle guerre. Déjà les armées se rassemblaient et l'impossible se préparait.

C'est au milieu de ce chaos que deux êtres vont précipiter les événements de cette prochaine guerre. De leur rencontre et de leur attirance mutuelle dépend l'issue de ce conflit. C'est ainsi de cette façon que commença la première guerre et c'est ainsi qu'elle prendra certainement fin... ou pas.

Assis sur son tabouret, il finit lentement le verre qui lui avait finalement été cédé. Il était rare ces temps-ci de trouver une vodka réellement de bon goût. Lorsqu'il le termina, il se releva et secoua son manteau trempé, faisant gicler de l'eau autour de lui. Il remit sa capuche puis sourit une dernière fois à l'aimable barman. Puis il prit une dernière fois la parole avant de se diriger vers la sortie.

_ Ravi d'avoir pu discuter avec vous.

Le barman resta un instant figé sur place avant de retrouver l'usage de son corps et de la parole. Il posa sa serviette sur son comptoir et interpella l'homme en costume noir.

_C'est tout ? Elle se termine comment votre histoire ?

L'inconnu s'arrêta sur le pas de la porte et se retourna, un immense sourire sur son visage sérieux avant de regarder sa montre. Il haussa les épaules puis posa la main sur la poignée de la porte.

_Ça malheureusement, seul un ange du destin pourrait vous renseigner, ce que je ne suis pas. Répondit-il d'une voix grave. Puis il sortit sous la pluie torrentielle. Restant un instant sur le pas de la porte, Gabriel releva le col de son manteau, s'alluma une cigarette et laissa la fumée sortir par sa bouche avant qu'il ne se décidât à se perdre dans la foule.

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