Renaissance

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Image de couverture de Renaissance

        Sombre était la pièce, et sombre était son état d’esprit. Assise recroquevillée depuis des heures dans la minuscule pièce de rangement, Nalya attendait le retour de son mari. Un léger rayon de lumière bleutée filtrait sous la porte. L’odeur de nourriture du placard lui agressait les narines. Parfum autrefois agréable, elle avait passé tant de temps enfermée là qu’il lui était maintenant insupportable. Elle soupira. Mikel devait être à l’auberge. Encore. À boire comme un trou. Elle le trouvait si pathétique à s’oublier ainsi dans l’alcool. Mais que pouvait-elle faire de plus ? Depuis une longue année maintenant elle tentait de le tirer hors de cette déchéance. Elle n’aurait même plus su dire quand elle l’avait vu pour la dernière fois sobre…

         Nalya reconnaissait que la vie n’avait pas été facile pour eux deux, et elle continuait à s’accrocher. Une minuscule étincelle d’espoir luisait toujours au fond d’elle. L’espérance de le voir arrêter le vin et la bière, qu’il redevienne l’homme dont elle était tombée amoureuse, celui qu’elle avait marié avec envie… La jeune femme se prit la tête entre ses mains et serra à s’en arracher les cheveux. Elle savait que tout espoir était futile. Elle se laissait bercer par ces illusions.

 

        Trois ans plus tôt.

        Fête du village.

        Nalya dansait sous les lampions, douce lumière accrochée aux arbres. Ses longs cheveux blonds tourbillonnaient autour d’elle. Les notes des flûtes et des harpes l’embarquaient dans un ballet effréné. Elle se sentait voler parmi les danseurs, emplie de joie, et profitait de cet instant de bonheur simple, où plus rien n’importait, hormis son corps et la musique.

        Cette nuit-là, elle fit la rencontre de toute une vie. Mikel. Grand, jeune et bien bâti, il savait jouer de son charme. Il n’y eu pas de coup de foudre, comme dans les histoires de princesses dont elle raffolait, petite. Néanmoins, ils se plurent assez vite, et Mikel en profita pour la courtiser.

        Fils unique, il était l’héritier d’une ferme, petite, mais prospère, du village voisin. C’était un beau parti, les parents de Nalya s’en rendirent compte avant même leur fille. De ce fait, ils ne s’opposèrent pas à leur union.

        La première année défila comme sur un nuage. Nalya s’était installée chez Mikel, dont les parents étaient charmants, et sa vie n’aurait pu être plus heureuse.

           

        Le bonheur n’est cependant pas fait pour durer, le couple l’apprit à ses dépends.

           

        Le premier rouage dans leur vie si parfaite survint au début de leur seconde année de mariage. À la fin de l’été, les récoltes finissaient d’être stockées pour un automne et un hiver qui s’annonçaient rude.

        Des pillards. Des bandits. Qu’importe leur nom. Ils avaient fondu tels autant de faucons sur le village, y amenant souffrance et chaos. Nombreux furent les morts en ce jour fatidique, et les parents de Mikel furent de ceux-là. Quelque chose se brisa alors en lui. Nalya ne le comprenait plus, elle ne parvenait plus à toucher son âme comme avant. Elle le voyait sombrer, et ne savait que faire pour l’aider. Il avait perdu cette joie de vie qu’elle aimait tant chez lui. Ce n’était plus qu’une ombre…

 

        Une porte se ferma avec fracas. Nalya redressa la tête d’un coup, surprise, et se la cogna avec violence sur le bas plafond.

        — Nalya ! s’écria Mikel, la voix pâteuse. C’est bon, tu t’es calmée ?

        — Oui, mon amour ! Fais-moi sortir, je t’en supplie !

        Elle se haïssait de lui parler aussi mielleusement. De lui obéir au doigt et à l’œil, pire qu’un chien. Il ne lui en laissait cependant pas le choix. Dès qu’elle se rebiffait, il devenait hargneux. Il prenait alors plaisir à la frapper et à l’enfermer un temps interminable dans le petit local de stockage. Elle n’en pouvait plus de cette vie. De tous ces tourments. Elle avait déjà songé à s’enfuir, mais pour aller où ? Elle connaissait assez son père pour savoir qu’il la renverrait illico chez son mari, et sa mère ne s’opposerait jamais à une de ses décisions. Au moins, ici, elle avait un toit et à manger sur la table.

        Le cliquetis du verrou retentit et la porte s’ouvrit en grinçant sur le visage blafard de la jeune femme. Ses cheveux emmêles et ternes tombaient sur ses yeux délavés.

        — J’espère pour toi que cette fois tu as compris, cracha Mikel. Tu sais que j’ai horreur qu’on me réponde.

        — Oui chéri, ne t’inquiète pas, je ferai tout ce que tu veux, quand tu veux, sans répliquer. Je…

        La gifle cingla sa joue, l’interrompant net. Choquée, la jeune femme leva la main à son visage. Elle sentait le sang affluer sous la peau qui rougissait déjà.

        — Arrête de jacasser, ça me donne mal à la tête. Prépare le souper, j’ai faim !

 

        Un an plus tôt.

        Nalya criait de toutes ses forces sous les contractions de plus en plus violentes et rapprochées. Elle broya la main de Mikel, tentative instinctive de diminuer la douleur. Il ne bronchait pas. L’événement était trop important que pour se préoccuper de quelques bleus. Il allait mieux depuis la nouvelle de l’arrivée du bébé. Il remontait doucement la pente.

        — Pousse, Nalya ! s’exclama la sage-femme du village. Pousse, il arrive !

        Elle s’exécuta. Elle s’imprégna de toute la souffrance qu’elle ressentait à cet instant précis et l’utilisa pour décupler ses forces. Enfin, elle sentit que quelque chose sortait d’elle. Un immense soulagement la gagna. Elle voulu demander à voir son bébé, ce petit être bien à elle, mais devait d’abord reprendre sa respiration. Ce fut là qu’elle remarqua le silence. Normalement, la chambre aurait dû se remplir des cris de l’enfant et des rires des adultes. Elle se tourna vers Mikel, dont le visage était vide de toute expression. Ni joie, ni tristesse, rien que le néant.

        — Je suis désolée, murmura la sage-femme.

        À ces mots, un froid intense envahi Nalya.

        — Votre fils s’est étranglé avec le cordon.

        La jeune blonde ferma  les yeux. Elle ne voulait pas voir ça. Elle ne voulait pas savoir. Elle ne pouvait pas concevoir une vérité si cruelle.

        Elle hurla.


        Des doigts claquèrent juste devant ses yeux, la ramenant au présent.

        — Nalya, tu rêves ou quoi ? Le repas va pas se préparer tout seul !

        La jeune femme baissa les yeux, penaude. Elle s’excusa.

        — Pardon, excuse-moi, désolée, tu n’as que ces mots à la bouche !

        Il lui souffla son haleine vineuse au visage en l’attrapant au cou. Ses doigts serraient. L’air ne pénétrait plus dans la gorge de la jeune femme.

        — Mikel… souffla-t-elle. Tu me fais mal… Arrête s’il te plaît…

        Il ne semblait même pas l’avoir entendue et continuait à discourir sur l’inutilité de son épouse. La poigne de Nalya se renforça sur le couteau dégoulinant de jus de pommes de terre qu’elle n’avait pas lâché. Des étoiles commençaient à danser devant ses yeux. Elle frappa. La lame effleura à peine l’abdomen de l’ivrogne, mais cela suffit pour que le sang perle de l’entaille. Il la lâcha, estomaqué.

        — Que… Qu’est-ce que tu as fait ?

        Silencieuse, Nalya observait le couteau d’où s’égouttait le précieux fluide carmin. Elle était encore plus choquée que son époux. Retournée par ce qu’elle avait enfin eu la force d’accomplir, elle ne vit pas le direct foncer vers son visage. Il atteignit sa pommette droite avec un craquement. Tout devint flou autour d’elle. Les sons s’allongeaient, elle ne ressentait plus le tissu de sa robe sur sa peau, ni le manche du poignard dans sa paume. Elle s’évanouit.

 

        Après la naissance mortelle de son fils, Nalya avait besoin de s’occuper l’esprit. Tout le jour durant, elle nettoyait, récurait, réparait, reprisait, chez elle ou chez ses voisines, de telle sorte que quelque soit l’heure et quelque soit le lieu, elle ne se laissait pas le temps de penser à son enfant perdu. Le soir, exténuée par une énième journée de dur labeur, elle sombrait d’un seul coup dans un sommeil sans rêves.

        Les époux s’éloignèrent ainsi de plus belle. Mikel finit par passer le pas de la porte de l’auberge et s’abima dans le vin bon marché. Ses fréquentations de bas étages dans les brumes de l’alcool ne l’aidaient pas à se sortir de là, et Nalya, trop épuisée par son travail et son propre chagrin, peinait à l’épauler. Elle n’était plus pour lui qu’un exutoire, les nuits où il la réveillait pour venir en elle.

        Les jours passèrent, tous pareils, jusqu’à ce que Nalya retombe enceinte. Effrayée par la possible réaction de son mari, elle attendit le dernier moment pour lui annoncer. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il saute en l’air de joie, mais son comportement dépassa tout ce qu’elle aurait pu imaginer.

        — Tu crois que le gosse dans ton ventre va pouvoir remplacer celui que tu m’as pris ?

        Il l’avait attrapée aux épaules, les lui broyant, et la secouait comme un pantin.

        — Par pitié Mikel, bien sûr que non ! C’est une nouvelle chance qui s’offre à nous, la possibilité d’enfin fonder une famille. Reprends-toi !

        Le poing s’écrasa avec fureur sur le nez de la jeune femme. Elle chancela avant de porter les mains à son visage. Le sang s’écoulait le long de son menton et de ses doigts. Les gouttes tombaient sur le sol, petites taches vermeilles sur le brun du bois. Un deuxième coup s’abattit, et elle tomba à genou.

        Envahi par une colère sans nom, exacerbée par la vue du sang, Mikel massacra le ventre rebondit de sa femme par de multiples coups de pieds, plus puissants et douloureux à mesure qu’il frappait et qu’elle le suppliait d’arrêter. Un chaud liquide s’écoulait entre ses jambes. Quelque chose d’autre, plus consistant, s’échappa d’elle tandis que Mikel s’arrêtait, essoufflé. Il sorti de la maison, non s’en s’emparer d’une bouteille de vin à moitié pleine, abandonnant son épouse.

        Meurtrie tant dans son corps que dans son âme, Nalya resta un moment allongée sur le sol. Elle n’osait pas se redresser, car elle connaissait d’avance la vision qui allait s’étaler devant ses yeux. Elle l’a repoussait de son esprit, sans succès. Elle ne pouvait néanmoins pas rester là indéfiniment. Longtemps elle observa le petit être étendu, mort, baignant dans un océan d’eau et de sang.

 

        Quelqu’un la releva brusquement.

        —    Réveille-toi ! Je ne t’autorise pas à dormir !

        Mikel la fixait d’un regard enragé.

        Elle cligna des yeux. Sa pommette l’élançait. Ses souvenirs étaient flous. Le couteau. Le sang. Tout lui revenait par flashes.

        — Tu vas me payer ça ma belle, crois-moi.

        Sa voix était blanche, pleine de rage contenue. Il n’allait plus tarder à exploser. Et ça allait faire mal. Très mal.

        Paniquée à l’idée de ce qui allait survenir, Nalya se dégagea et voulu s’enfuir. Mikel lui rattrapa le bras et l’attira à elle. Il lui tordit l’épaule et lui coinça la main dans le dos. La jeune femme gémit. Son époux forçait de plus en plus, jusqu’à ce qu’un craquement sinistre retentisse. Nalya cria. L’élancement fusait dans tout son membre. Elle tomba à genou en se tenant l’avant-bras. Les larmes perlaient aux coins de ses yeux. Un violent coup entre les omoplates la propulsa en avant. Par réflexe, elle voulut se réceptionner avec les mains. Ce qu’elle ressentit alors faillit lui faire perdre conscience à nouveau. Elle rampa piteusement sur le sol, sous le rire dément du soûlard.

        Les larmes coulaient à flot à présent. Et vint alors l’averse. Une pluie de coup s’abattit sur elle. Nalya ne put que piètrement protéger sa tête de son bras valide. Son dos, son ventre, ses jambes, aucune parcelle de son corps ne fut épargnée. Le déluge de fureur qu’elle encaissait dura si longtemps qu’elle n’aurait su le mesurer.

        Enfin, tout s’arrêta, aussi vite que cela avait commencé. Nalya resta prostrée encore un moment avant de relever la tête avec prudence. Elle était seule. Mikel était parti. Son soulagement ne fut cependant que de courte durée. Quelque chose gronda derrière elle. Elle se retourna. À travers l’embrasure de la porte, elle entendait son époux ronfler.

        Une vague de fureur déferla en elle. Elle se redressa sans bruit, grimaçant sous la douleur qui lui torturait le corps. À part son avant-bras, le reste des blessures étaient superficielles. Elle allait souffrir plusieurs jours des contusions et de courbatures, mais n’allait pas en mourir. Peut-être aurait-il mieux fallu…

        En s’avançant, elle cogna quelque chose du pied. Elle se figea, dans l’attente de savoir si le bruit avait ou non réveillé Mikel. Il ne bougea pas. Soulagée, elle regarda à terre. Le couteau. Il était toujours là, gisant sur le sol. Elle le ramassa péniblement. Le contact dans sa main lui fit du bien.

        Une idée jaillit soudain dans son esprit. Mikel, endormi. Elle, bien réveillée, une arme à la main. La jeune femme s’approcha avec précaution de la chambre. Son mari semblait se reposer bien tranquille. Le gros porc songea-t-elle. Après ce qu’il vient de me faire, il ose dormir ainsi ? Elle s’avança, couteau en avant. C’était simple. Un seul coup bien placé suffirait. Elle tremblait. Elle ne parvenait pas à abaisser la lame. Elle avait trop peur. Et si elle le ratait ? S’il se réveillait ? Qu’allait-il lui faire si elle ne le tuait pas du premier coup ?

        Elle tourna les talons et s’enfuit.

 

        Le vent de sa course soulevait ses cheveux. Elle courait aussi vite que ses jambes courbaturées le lui permettait. Son cœur bondissait dans sa poitrine, sa respiration était courte, haletante. Les feuilles bruissaient sous ses pas et les ronces lui griffaient les jambes. Elle n’en avait cure. Une unique pensée obnubilait son esprit : fuir, courir le plus vite et le plus loin possible, que jamais Mikel ne la rattrapa.

        Les arbres de la forêt étaient hauts, leurs branches couvertes de feuilles filtraient les faibles rayons de lunes. Le noir l’entourait. Chaque bruit, chaque clameur, chaque craquement et grésillement la faisait sursauter. Une chouette hulula non loin d’elle. Elle tressaillit et manqua trébucher sur une racine. Elle essayait de se calmer, de ne pas penser. Mikel dormait, il ne saurait pas la retrouver dans les bois la nuit et, le temps que le jour se leva, elle serait loin. Toutefois, la panique installée en elle ne pouvait être raisonnée. Alors elle continuait à courir

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Renaissance²Chapitre2 messages | 6 ans
RenaissanceChapitre1 message | 6 ans

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