Un bien étrange "cadeau"

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Cette histoire se déroule en 2290, une cinquantaine d'années après que la Terre ait colonisé Mars. Un siècle auparavant, la situation sur la planète bleue est devenue critique. À cause du réchauffement climatique et de la montée des eaux, les espaces habitables ont été considérablement réduits, la production de nourriture a fortement chuté, la surpopulation est devenue un danger pour la survie de l'humanité. Après la 4e guerre mondiale qui a mené à l'extermination de près des trois quarts des humains, les gouvernements terriens se regroupent sous la bannière de l'ONU et misent tous leurs espoirs sur la colonisation de Mars afin de pallier aux limites de la planète Mère. Conscients des limites en termes de ressources et souhaitant éviter les situations de ruptures, il a été décidé de contrôler les naissances et donc les rapports sexuels. Une minorité de femmes et d'hommes, généralement issus de familles riches ou au pouvoir, nommés "reproducteurs", ont la permission de coucher les uns avec les autres. Tous les autres humains ont l'interdiction de procéder à tout acte sexuel, quel qu'il soit. Afin de pallier aux frustrations des uns et des autres, la société Fantasmengine a créé un appareil de réalité virtuelle reproduisant les sensations physiques d'un vrai rapport...même si aujourd'hui peu de non-reproducteurs savent réellement de quoi il en retourne...

Journal d'Aelyne - Jour 1

Le temps passe très lentement dans le vaisseau cargo que je pilote seule, alors je crois que ce journal va m'être très utile pour ne pas finir par devenir folle. Les étoiles filent à l'horizon et je viens en prime de casser le module de musique du vaisseau en passant trop près d'un déchet stellaire. Du coup voilà, j'écris sur ce vieux journal de bord déconnecté d'internet, ce qui m'évitera de me choper la honte si un pirate informatique rentre sur mon réseau.

La station Gamma n'est plus qu'à quelques heures maintenant. Je la vois au loin et amorce les procédures d'atterrissages. Comme d'habitude, le service de sécurité est aussi aimable qu'une porte de prison galactique. Je rentre dans le hangar et je finis de déclarer à la douane tout ce que je transporte : du matériel de transmission et aussi, chose assez étrange, une grosse cargaison de sterilex. Ces saloperies sont utilisées par le gouvernement pour rendre infertiles les prisonniers ou les personnes indésirables. J'ai toujours trouvé ça très barbare. Déjà qu'être reproducteur se paie au prix fort, si en plus ils se permettent d'imposer cette injustice à tous les citoyens qui ne peuvent pas s'offrir ce luxe...

Ah oui, c'est vrai que je ne me suis pas présentée, je crache déjà ma bile contre les puissants, mais j'en oublie les bonnes manières. Je ne sais pas si quelqu'un lira ce journal, je ne l'espère pas d'ailleurs. Mais qui sait, peut être que ce contenu sera retrouvé par une civilisation du futur et que je deviendrai une preuve archéologique de la merveilleuse espèce que nous étions en 2290...

Je m'appelle Aelyne SX-6966. Oui, nous ne portons plus de noms de famille depuis l'année 2200. Histoire d'éviter que nous ayons envie de faire perdurer un patronyme sur plusieurs générations en nous reproduisant, j'imagine... J'ai 28 ans. Je suis assez grande, 1m70 environ, les cheveux roux, mi-longs. Et je suis une vraie beauté. Non je rigole, en fait je ne sais pas. J'aime bien mes yeux bleus. Et je pense avoir un visage assez fin. Voilà ma photo d'académie.

Oui je sais, à l'époque j'avais des dreads. Mais avec l'âge j'ai fini par devenir sage...du moins au niveau des cheveux. Je les ai lisses maintenant.

Aucun homme ne m'a déjà dit que j'étais à son goût. Après tout, je crois ne jamais avoir croisé de reproducteurs...ou alors je n'en ai pas eu conscience. Nous, les SC (Sterile Citizens), évitons la séduction. C'est très mal vu. On pourrait faire des bêtises. Et le gouvernement déteste ça. Il vaut mieux ne pas être trouvé par la police stellaire dans le même lit qu'un autre sous peine de se retrouver sans travail, sans vivres, pourrissant dans une prison miteuse du secteur 7...

Si vous lisez mon journal, vous vous demanderez peut-être pourquoi ils ne nous ont pas tous stérilisés purement et simplement ? Apparemment, une femme ou un homme stérilisé perd en agressivité, en instinct. Ils seraient moins productifs. Ils ont aussi peur qu'en cas de rébellion ou d'attentat, l'humanité ne se retrouve qu'avec des individus stériles, ce qui serait fatal à l'humanité tout entière. Alors voilà, ils nous ont laissé nos attributs. Au prix d'une vie de célibat forcé.

Depuis notre enfance, on nous dit que le sexe c'est mal, surtout une vraie relation de chair. Heureusement ils ont rapidement sorti des moyens d'étancher la libido des uns et des autres grâce au virtuel. L'appareil le plus connu, c'est celui du Fantasmengine, qui reproduirait - selon eux - la sensation d'une vraie relation charnelle. Pour en avoir un toujours avec moi, je ne peux que confirmer que cela marche très bien lorsque j'ai envie. Mais...je ne sais pas. Quelque chose me chiffonne.

Pendant mes études, j'étais l'une des rares à m'intéresser aux anciennes civilisations, celles d'avant les années 2100. J'ai lu des poèmes, des histoires, des récits. Avec un peu de connaissances en informatique j'ai même réussi à récupérer des oeuvres interdites, trop "explicites" comme ils disent. Apparemment, ils s'amusaient bien à l'époque ! Les couples étaient légion à l'époque et chacun pouvait choisir d'enfanter ou non. Les rapports sexuels étaient libres, même très libérés pourrait-on dire. Il y avait aussi le romantisme...

Notre génération a été élevée dans la peur des relations intimes avec les autres. Moi, j'ai toujours été attirée par ça. Alors je lance des simulations virtuelles pour combler ce manque que je ressens et que trop ne soupçonnent même pas. Toutes ces histoires du passé m'ont rendue...différente.

Je suis arrivée à bon port. Me voilà libre pour deux jours. Je pense que je vais louer une chambre, sortir ce soir aller boire un verre et finir par me mater quelques séries.

Je finis dans un petit hôtel dans la ville moyenne. Je refuse de fréquenter les bas quartiers, quitte à ce que ma solde mensuelle s'en retrouve amputée. Au moins je n'aurai pas à supporter la promiscuité avec le tout venant, qui s'empile dans des dortoirs souvent insalubres. 

Je passe la carte de sécurité dans le lecteur à l'entrée de ma chambre. Ouf, je constate que celle-ci n'a pas l'air trop glauque. J'ai même une petite salle de bain. Le lit - une place forcément - a l'air propre. Il y a un écran de projection pour les films. Parfait !

Je jette mes affaires sur le lit et je pars immédiatement en ville. Il est déjà tard, alors je me dis que manger dans un petit fast food serait une bonne idée avant de finir dans un des bars du secteur. Je me contente d'un quelque chose de léger et rapidement je cherche le bon endroit pour y passer la soirée...

Je repère vite un petit club qui ne paye pas de mine au fond d'une allée. Le videur me regarde de haut en bas, scanne mon identité biométrique et me laisse passer. Avec un casier judiciaire vierge, je n'ai jamais eu de problèmes pour aller là où je le désirais. 

Le club est tamisé, des néons de lumière bleue dessinent les silhouettes des clients dans une sorte de halo violet étrange. Au fond, dans des canapés, des groupes de personnes s'avachissent. Les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Dans le coin, je remarque une silhouette malheureusement familière de ce genre d'endroit : une femme en tenue militaire, adossée au mur, dans un coin de la pièce avec une large vue sur le lieu, toise chaque personne tour à tour. Une fonctionnaire de la police des moeurs. Chargée d'éviter les "rapprochements".

Hors de question donc de jouer avec mes envies secrètes ce soir. Je vais m'adosser au comptoir et je commande à boire. En regardant la carte, je m'étouffe en voyant les prix, alors je finis par valider mon choix non sans esquisser une grimace. Le verre devant moi, je laisse le liquide alcoolisé noyer mes pensées. Je regarde vaguement l'écran qui diffuse les actualités du jour. Encore des accrochages avec des pirates, toujours plus de lois idiotes pour garder la population sous contrôle, des déclarations de politiciens à la langue de bois déserpéremment trop pendue.

La soirée passe, mais alors que je commence à songer à rentrer, je sens sur moi comme un regard insistant. Je parcours la pièce du regard. Je finis par remarquer un homme assis à l'opposé du bar, face à moi, un peu plus à gauche. Celui-ci me fixe. Je fais mine de ne rien voir, mais son regard reste braqué sur moi. Je note alors rapidement que cet étrange inconnu semble me fixer quand la policière des moeurs regarde ailleurs. Un peu intriguée, je me concentre sur la silhouette sombre du jeune homme, qui doit avoir à peu près le même âge que moi.

Il a l'air plutôt grand, les cheveux mi-longs de couleur sombre, le visage assez fin, la pilosité légère. Une bouche bien dessinée. Il a l'air d'une corpulence normale. Je ne pense pas que ce soit un militaire. Il n'en a d'ailleurs pas la tenue. Ni un flic d'ailleurs, ou alors si c'est un fonctionnaire en civil, il n'a a pas du tout la tête de l'emploi.

Mon regard croise le sien. Et nous nous regardons pendant quelques dizaines de secondes. J'aimerais froncer les sourcils pour lui faire comprendre que j'aimerai qu'il regarde ailleurs. Mais à cet instant, il tient mon regard et je ne résiste pas. Est-ce du défi ? Non...il arbore un petit sourire qui me fait un drôle d'effet. Cet homme est plutôt beau...selon mon instinct. Mon coeur s'accélère. Je bouge nerveusement un peu sur ma chaise qui commence à me faire mal aux fesses. 

Le temps semble s'arrêter pendant cet étrange jeu de regards. Je n'ose me montrer trop amicale ou...charmeuse. Qui me dit que ce n'est pas un piège ? Surtout que je sens parfois le regard froid, presque robotique, de la policière passer dans mon dos. Est-ce pour me pousser à la faute ?

Je finis par baisser mon regard alors que je sens mes mains devenir moites, reposant par réflexe le verre devant moi. Il en reste un fond. Que je décide de boire d'une traite. Le malaise est à son comble. À cet instant je savais qu'il fallait que je rentre... Ma respiration et les battements de mon coeur refusent de ralentir la cadence.

Maladroitement je me dirige vers la sortie. Mais...je devais passer devant lui pour cela. Et je ne sais pas si c'était l'alcool ou bien l'étrange émotion qui montait dans ma poitrine qui me faisait perdre l'équilibre, mais je frôle cet homme étrange. Et je sens, quelque part sur ma combinaison, le contact de sa main. Mais alors, je décide de ne pas m'arrêter et de pousser la porte menant vers un bol d'air frais bien mérité.

Je n'ai pas traîné dans les rues et je suis vite rentré dans ma chambre. Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? Même quand j'écris ces lignes, je me sens encore perturbée par cet étrange jeu de regards, m'ayant laissé toute chose.

Je commence à enlever ma combinaison non loin de la douche et je laisse l'eau chaude couler sur ma tête. Je me calme et respire. Évitant de penser aux papillons qui volettent dans mon ventre. Et aux frissons dans ma poitrine. Il faut que je me contrôle...

La douche a fait du bien et m'a fait redescendre. Mais alors que je me dirige vers mon lit, encore nue, ma cuisse frôle ma combinaison et j'entends le bruit léger d'un objet qui tombe au sol. Intriguée, je cherche la provenance de la chute et ramasse un petit appareil. Je reconnais rapidement ce que c'est : une clé de stockage. Étrange. D'autant plus étrange que je ne reconnais pas le type de périphérique où cela semble se brancher.

Je m'assois au bord du lit et prépare mes coussins pour m'appuyer contre. M'allongeant, mon corps éclairé par une petite lumière, je tourne cette étrange clé dans tous les sens, cherchant dans mon esprit quel appareil pourrait bien en lire le contenu.

Au bout de dix minutes de réflexions, je finis par abandonner et pose la clé non loin de moi. Cette dose d'émotions fortes m'a alors donné envie d'extérioriser. Je vais donc chercher dans mon paquetage mon Fantasmengine afin de profiter de cette nuit pour étancher mon envie sexuelle...

Je branche l'appareil et alors que je m'apprête à le placer sur ma tête pour me plonger dans le virtuel, je décide de regarder le port d'alimentation de cette étrange machine. Et alors que je soulève le petit cache, je note un étrange port que je reconnais alors : mais oui ! La clé que l'on m'a donnée se branche sur le Fantasmengine.

Sans réfléchir une seconde aux risques que cela peut comporter, je m'empresse d'insérer la clé dans le port prévu à cet effet. Clic. J'appose la lunette de réalité virtuelle sur mes yeux. Et je note dans les notifications que la clé a bien été détectée et qu'un programme est en train de se lancer...

J'hésite à retirer la clé de stockage, mais ma curiosité est la plus forte. L'écran finit par devenir tout noir et des lignes de codes défilent devant mes yeux. Et alors que je commence à râler et à m'apprêter à arrêter cette mauvaise blague, un nouvel écran de chargement apparaît. Lorsque je lis le titre du nouveau logiciel, mon coeur s'emballe et un grand frisson froid parcourt mon échine : "FantasmEngine - Editions pour les reproducteurs - Programme d'éducation sexuel".

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