26. Attentat

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« ... C'est en parfaites conscience et connaissance de la situation que nous avons été obligés de déployer ces moyens. Croyez bien que je n'en retire aucune gloire, encore moins une satisfaction, comme j'ai pu l'entendre dans la bouche de certains médias qui aiment me dépeindre comme un boucher. Eh bien, soit ! S'il faut endosser le rôle d'un monstre pour protéger notre nation, je le fais et je le ferai encore ! Ces individus, galvanisés par les stratégies d'embrigadement sectaire de ce Maze, se sont réunis en vue de perpétrer un attentat contre notre État. Ces terroristes pensaient qu'ils devaient s'élever au-dessus de la condition humaine et propager leur tare comme s'il s'agissait d'un progrès pour l'humanité. Je m'y refuse ! »

— Éteins ça.

Mais Aran n'obtempère pas tout de suite, occupé à préparer le café. Je me ratatine sur ma chaise, genoux collés contre la poitrine. La propagande éhontée de ce taré de Bolden est bien la dernière chose que j'ai envie d'entendre.

« Aujourd'hui, nous avons enrayé un processus de violence en abattant un dangereux criminel... »

— Arrête ça tout de suite Aran ! crié-je.

Cette fois-ci, le jeune Kurde sursaute et se précipite – paquet de café encore en main – pour éteindre la petite enceinte qui rediffusait l'allocution du président des États-Unis, après l'attaque contre le centre de conférence qui réunissait de nombreux membres de l'Arche à Portland. Seulement six morts et vingt-deux blessés selon le bilan officiel du gouvernement. Cent quarante-deux morts, deux cent soixante-huit blessés et trois cent quatre-vingt-onze disparus selon les réseaux sociaux. Bilan provisoire.

J'ai passé une nuit épouvantable, me réveillant presque toutes les demi-heures dans l'espoir de trouver des nouvelles rassurantes sur mon téléphone. Rien. Au lever du jour, toujours pas la moindre trace d'appel ni de message.

J'ai contacté les deux numéros d'urgence que m'avait fournis Aedhan. Le premier n'a pas répondu, le second m'a dit qu'il était incapable de savoir qui avait survécu ou non, que tout le monde le harcelait pour lui poser les mêmes questions.

Je me suis effondré une nouvelle fois. Aran m'a ramassé à la petite cuillère et tenté de me distraire de cette morosité. En vain. Je tenais absolument à cerner ce qui s'était passé. Comprenant qu'il ne me ferait pas changer d'avis, il m'a finalement apporté son aide pour décortiquer les informations à partir de sources de confiance (principalement de son orientation politique). Je me suis aussi connecté au site de l'Arche, selon la procédure que m'avait donnée Aedhan.

Je n'aurais pas dû.

Le réseau ressemblait aux vestiges d'un champ de bataille. Des manants hélaient à l'aide pour retrouver leurs proches ou amis dont ils n'avaient plus de nouvelles, les messages se heurtaient, s'emboutissaient entre récits confus de rescapés, informations contradictoires et théories du complot. Quelques téméraires pointaient la responsabilité de Maze, arguant qu'il aurait dû le prévoir. Ses partisans les rappelaient à l'ordre, justifiant que le leader aurait tout fait pour protéger le refuge de l'Arche qu'il a bâti à la sueur de son front.

Certains pointaient d'ailleurs du doigt le fait que l'homme abattu n'était pas Maze, d'autres les contredisaient.

Un véritable capharnaüm.

L'unique conclusion sur laquelle tous tombaient d'accord se résumait à : le gouvernement américain mange dans la main de Geneware.

J'ai passé les cinq minutes les plus affreuses de ma vie à scroller la liste des personnes décédées déjà recensées. Aedhan n'y figure pas. Cela ne veut pas dire grand-chose. La liste est très provisoire.

— Pose ce téléphone, Ejay.

Je sursaute au rappel à l'ordre doux d'Aran. Je ne m'étais même pas rendu compte que je triturais frénétiquement l'écran coulissant de mon Blackphone, mon cerveau s'était programmé pour guetter l'allumage de la ligne de LED annonçant les notifications.

Je lui obéis et serre mes mains autour de la tasse de café qu'il me tend dans l'espoir de pouvoir me concentrer sur autre chose.

— C'est atroce. Cette attente. Ce sentiment d'impuissance. Ce brouillard. Je ne vais pas réussir à supporter ça encore longtemps, me lamenté-je.

— Eh bien, on va faire en sorte de te changer les idées, Jay ! On a du pain sur la planche.

La voix presque joyeuse de Lucas retentit dans mon dos comme une torture. J'aimerais pouvoir feindre le détachement, comme lui, mais c'est impossible. J'y parviens encore moins alors que mon amant peine à terrer dans son esprit la coupable satisfaction de se savoir débarrassé d'un problème, dans l'éventualité où Aedhan ne resurgirait pas. Bien sûr, une autre partie de son être lutte contre cette pensée, lui rappelant qu'il ne souhaite pas me voir malheureux.

— Il faut qu'on finalise notre départ, rajoute Lucas face à mon absence de réponse.

Le déménagement. Même si le spectre d'Igor ne fait plus planer sa menace sur nous, je me rappelle la mise en garde de (feu ?) Maze : « Fuir ou mourir ». Et après ce qui vient de se passer, je veux bien prendre son avertissement au sérieux. La France est un pays allié de la dictature de Bolden, nos dirigeants aussi lèchent les bottes de Geneware. Nous ne sommes pas en sécurité dans la capitale.

— Mais avant, vous mangez un petit-déjeuner. Il faut que vous repreniez des forces. Surtout toi, Ejay, dit Aran en avisant mes yeux cernés et anéantis.

— J'ai pas faim, rétorqué-je à Aran alors qu'il pose une assiette de fruits sous mon nez.

— Je m'en fiche. Tu manges ou je te donne la becquée.

Sa remarque m'étire un demi-sourire. Celui d'Aran est hélas beaucoup trop contagieux.

Lucas lui a expliqué, hier soir, après que je sois parti me rouler en boule dans sa chambre, la raison de ma détresse. Il a d'abord été choqué d'apprendre que j'avais trompé le blond dont je me disais éperdument amoureux. Puis il a mieux compris quand il a fait le rapprochement avec le message que je lui avais envoyé durant mon week-end amnésique. « C'était donc ça ce fameux coup de foudre pour un dieu du sexe » a-t-il soupiré.

Encore une fois, Aran a été passablement vexé d'apprendre l'information par Lucas. Pour ma défense, je n'ai pas vraiment eu l'occasion d'aborder le sujet. Et de toute façon, dans l'état où je suis, me blâmer est la dernière chose à laquelle il songe. Le réconfort et le soutien avant tout.

Je pique ma fourchette dans un morceau de pastèque et mâche dans cette texture crayeuse pleine de vide. Au moins la mastication me permet d'enrayer les questions qui reviennent sans cesse : Maze savait-il ? Que gagnait le gouvernement – si fou soit-il – à déployer des moyens militaires contre des civils sans défense ? Où est Aedhan ?

Quand mon téléphone sonne enfin, j'ai l'impression de défaillir. Je sursaute tellement que j'en renverse ma fourchette pleine de fruits. Aran peste, mais je l'ignore.

Je ne sais pas si je dois me sentir soulagé ou amer de voir le nom d'Olga s'afficher. Aucun rapport avec la situation actuelle. Je suis presque tenté de l'ignorer, mais je songe que ma colocataire parviendra peut-être mieux à me distraire qu'une salade de fruits.

— Putain Jay ! T'es où ?

— Ça va Olga ? Tu as l'air paniquée.

Alors que moi, j'ai probablement l'air défoncé avec cette voix atone que je parviens à peine à souffler dans le Blackphone.

— Des types chelous sont passés à l'appart. Ils te cherchaient, mais ils ont refusé de me dire pourquoi. T'as une idée de ce qu'ils te veulent ?

— Aucune.

Si, j'ai malheureusement ma petite idée. Je ferme les yeux, les rouvre et constate malheureusement que je suis toujours plongé dans ce mauvais rêve.

— Merde, poursuit Olga, après ce qui s'est passé à Portland, je suis sûre que... Oh, dis-moi que t'es en sécurité, Jay !

— Je suis en sécurité.

Du moins, j'aimerais le croire.

— Ok. Bien. Restes-y alors. Et ne repasse pas à la maison. Je sais pas s'ils ne sont pas restés pour faire le guet en bas. Fais gaffe à toi, d'accord ?

Je le lui promets, quand bien même je ne suis absolument pas certain de pouvoir exaucer son souhait. Je raccroche. Aran a suivi la conversation. Je sais qu'il s'apprête à me conseiller de me débarrasser de ce téléphone. Qui que soient ces hommes, s'ils ont eu mon adresse, alors ils ont aussi sûrement mon numéro et donc, la possibilité de me géolocaliser.

Aran formule son conseil, mais je ne l'écoute pas. Mon téléphone vient de se remettre à sonner.

— Ne décroche pas !

Sauf que ce contact inconnu cherche à me joindre par Erase, l'appli dont se servent les membres de l'Arche pour sa confidentialité. Je ne peux pas laisser passer.

Je me rends compte que je ne respire même plus. D'un doigt tremblant, je réussis tout de même à décrocher.

— Ejay, c'est bien ça ? questionne aussitôt, en anglais, une voix vaguement familière.

Ça y est. Je me rappelle de cet accent.

— Vous êtes Maze, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que c'était que ce cirque ? Qui s'est fait tuer sur l'estrade ?

— Je n'ai pas le temps de t'expliquer.

Sa voix revêt des fluctuations d'agacement. Assurément, il doit avoir autre chose à faire qu'éclaircir la situation, individuellement, pour chaque personne liée de près ou de loin à l'Arche. S'il appelle, lui plutôt qu'Aedhan, c'est qu'il a dû lui arriver quelque chose. Mes yeux se plissent sous l'accablement et la résignation.

En effet, Maze ne s'embarrasse pas d'autres politesses et déballe la raison de son appel.

— Tu dois fuir, Ejay. Ils savent qui tu es et où tu vis. Jette ton téléphone et quitte la ville. J'ai un contact dans le sud de Paris. Il pourra t'emmener. Je t'envoie les infos dans un message flash. Et cache ton visage ! Ils ont probablement dû implémenter ton profil dans les bases de données de vidéosurveillance.

Les informations fusent trop vite et je ne suis clairement pas en état de les assimiler, là, tout de suite. Je secoue la tête comme si j'étais en mesure de dénier ses paroles, malgré l'écho qu'elles provoquent après l'avertissement d'Olga. Pour l'heure, une chose, une seule, me préoccupe avant ma situation.

— Qu... Qu'est-il arrivé à Aedhan ?

Ma voix n'est plus qu'un pathétique murmure brisé, alors que je commence à comprendre que sa réponse ne peut être positive. De l'autre côté, le silence accablant qui cueille ma question ne fait que confirmer ces craintes.

— Il est tombé entre les mains de Geneware. Je suis désolé. Nous n'avons pas réussi à le récupérer à temps. Ils... Aedhan était un expert pour camoufler ses pensées, mais il n'a rien pu faire contre leur armada d'Alters. Ils ont siphonné tous ses contacts. Leur première cible sera le seul Rugen-Hoën qu'il connaissait...

— Et ensuite ! Qu'est-ce qu'ils lui ont fait ?

— Ejay... Je... Lâche ce téléphone, par pitié ! Tu l'apprendras si tu te sors de ce merdier.

Quoi ? Qu'est-ce qu'il raconte ? Cette angoisse me torture l'esprit depuis de trop longues heures déjà. Tant pis si cela doit me briser, il faut que je sache. Rien d'autre ne compte.

— Non ! Dites-moi, crié-je. Je ne bougerai pas tant que je ne saurai pas !

Un soupir exaspéré, dont je percevais pourtant l'empreinte de la douleur, accueillit mon attitude bornée.

— Ils l'ont tué. Je suis désolé.

Je ne sais pas s'il voulait rajouter autre chose. Je raccroche tout de suite après et me laisse choir au sol comme une pauvre flaque de liquide. Une flaque dont le hurlement déchire l'espace de la petite cuisine d'Aran et dont les ongles griffent le carrelage sans se soucier de se les abîmer.

Je sens les bras de Lucas m'entourer, sa main me caresser les cheveux et sa bouche me murmurer des mots de réconfort. Mais je suis inconsolable. J'ai besoin d'évacuer tous les sanglots qui m'assaillent.

Comment a-t-il pu partir aussi soudainement ? Il avait promis qu'il reviendrait ! Il voulait m'emmener visiter l'Europe. J'avais encore tellement de choses à découvrir à ses côtés. À vivre. Ma passion pour lui m'a porté si haut. Et maintenant que je chute, je ne pense pas pouvoir encaisser l'impact.

On n'a pas besoin d'en arriver là, tu sais ? Je peux te faire oublier tout ça. Faire oublier à tes amis aussi. Effacer son existence de cette ligne temporelle. Pour que tu n'aies jamais à souffrir de son absence.

La présence tapie du Rugen-Hoën me fait frémir. Sa proposition attise ma tentation comme le serpent qui persiflait à l'oreille d'Ève. Il a raison. Ce serait si simple...

— Ejay ! Je sais que tu as mal. Je sais que c'est douloureux, mais Maze a raison ! Il faut qu'on parte !

La voix de Lucas me rappelle à la raison alors qu'il me secoue comme un prunier. Je quitte cet étrange état d'hypnose. Quelle bêtise allais-je commettre ? Non, non et non ! Je ne veux pas l'oublier. Pas encore. Plus jamais.

—Je t'en supplie, lève-toi et allons-nous-en ! invoque Lucas tandis qu'il essaye de relever le poids mort que je constitue.

— À quoi bon...

Mon asthénie réveille sa colère. Il tire plus fort sur mes bras et me force à me tenir sur mes jambes. Il plaque ses paumes sur mes épaules et les enserre férocement.

— Merde Ejay ! Si tu ne veux pas vivre pour toi, vis pour moi alors ! Tu crois que je m'en remettrais comment si ces enfoirés te descendaient aussi ?

Ses yeux embués de larmes me font l'effet d'un électrochoc. Il a raison. Je n'ai pas le droit de faillir tant qu'il est là. Je hoche la tête et reprends mon téléphone. Maze m'a envoyé l'adresse de son contact. C'est à quelques rues d'ici. On peut même y aller à pied. J'ignore si je peux faire confiance à cet homme, mais entre l'Arche et les types venus fouiller mon appart, je choisis l'Arche.

Une fois les informations mémorisées, je me rends sur le mini-balcon et jette de toutes mes forces mon Blackphone le plus loin possible. Je le vois atterrir au niveau du jardin partagé du square, en bas de son immeuble. J'espère que les flics – ou les militaires ou la milice de la corpo, je ne sais même pas qui est après moi – ne vont pas saccager tout le potager s'ils viennent tracer le signal jusque-là.

Aran me tend un sweat à capuche et un masque qui couvre tout le bas de mon visage. « Pour déjouer la vidéosurveillance » précise-t-il. Je le serre dans mes bras. Fort. Je ne sais pas quand je pourrai le revoir. Si je pourrai le revoir... J'aurais aimé passer plus de temps pour lui dire quel ami précieux il a toujours été, mais Lucas est déjà à la porte à m'attendre.

Le Kurde me donne une dernière tape sur l'épaule pour me souhaiter bonne chance avant que nous filions dans l'escalier. D'une main à ma ceinture, je serre le pistolet subtilisé à Ibrahim comme un porte-bonheur, tout en priant pour ne pas avoir à le dégainer. De l'autre, j'attrape la main de Lucas. Nos doigts s'entremêlent. Quoi qu'il advienne, nous serons ensemble.

Il aurait sans doute mieux valu que je parte seul. Au cas où j'aurais besoin de déclencher le Rugen-Hoën, en dernier recours... Mais Lucas aurait refusé de m'abandonner et, égoïstement, je crois que j'ai trop besoin de sa présence pour me rassurer. De toute façon, en tant qu'Alter, il finira par avoir des ennuis de la même manière si cette chasse aux sorcières insensée se poursuit.

L'immeuble d'Aran donne directement sur la place Monge. Et d'un coup, c'est l'incompréhension. Ou plutôt, la réalisation trop tardive que quelque chose ne va pas.

Il n'y a personne.

Pas un chat, pas une seule voiture, aucun voyageur pour sortir du métro. Le marché, qui devrait pourtant battre son plein en cette fin de matinée, est désert. Abandonné précipitamment.

Lucas avance à pas prudent jusqu'aux étals. Je devrais le retenir, rester à l'abri derrière la lourde porte d'entrée, mais nous ne captons aucun signal mental d'ici. Il a besoin de s'avancer pour évaluer la situation. Moi aussi. On progresse lentement. Toujours rien, si ce n'est ce silence oppressant.

Ce n'est pas normal. Ils sont forcément embusqués quelque part. Mais où ?

Je pousse mes capacités à leur limite, comme Aedhan me l'a appris. Étirer la distance au maximum. Et là, je le vois. Ou plutôt, je le perçois. Un sniper embusqué. Troisième étage sur la façade d'en face. Il n'a pas d'angle de tir pour l'instant. Si ! Une tête blonde s'aventure hors du couvert de l'étal. Il n'hésite pas. Les ordres sont limpides. Abattre les cibles classées danger maximal. La balle part.

J'aurais voulu avoir plus de réflexes, tirer Lucas par le bras pour le ramener à l'abri, lui crier de faire attention... La balle est plus rapide.

Le plomb effilé traverse sa jugulaire. La violence de l'impact envoie sa silhouette tourner dans une danse presque gracieuse. Son corps retombe en arrière, juste à mes pieds.

— Lu...

Impuissant, je ne peux rien faire d'autre que tomber à genoux et serrer sa main que j'ai l'impression de déjà sentir froide. Ses si beaux yeux me fixent derrière le voile flou de sa vision, tandis que le reste de ses traits se tordent en une expression de souffrance extrême. Au moins, le sang qui se vide presque instantanément depuis son cou et l'air qui vient à lui manquer, abrègent rapidement ses maux.

Sois fort Jay. Survis.

Ses dernières pensées mugissent avec la vivacité d'une flamme sur le point de s'éteindre. Elles débordent de son amour pour moi. Un amour que je n'aurais pas su chérir, pas su préserver.

Je caresse sa joue et dépose un ultime baiser sur ses lèvres, inondant ainsi son visage de mes larmes. Lorsque je relève la tête, la vie a quitté ses yeux.

— Non...

Je n'entends le sanglot déchirant qui quitte ma gorge qu'à travers les esprits des présences qui se rapprochent. Dans le même temps, mes limites explosent. Les distances ne me freinent plus. Je ressens une vingtaine de personnes aux alentours frémir au sein de ma conscience. Je vois Aran devant la porte de son immeuble, hurler, gesticuler et se débattre avec un homme qui tente de l'empêcher d'approcher la place pour comprendre ce tir qu'il a entendu.

Je fonds mentalement sur lui. Je l'enveloppe dans un cocon protecteur. Je pressens ce qu'il va se passer. J'espère pouvoir au moins protéger l'un des derniers êtres qui comptent pour moi.

Autour, les militaires ont établi leur périmètre et un angle de tir dégagé. Je pourrais les laisser faire. Quelle raison ai-je encore de vivre dans ce monde ? « Survis. » J'aimerais t'écouter Lucas, mais j’aimerais aussi te rejoindre…

Je ne laisserai pas cela arriver.

Les mots rassurants de cette entité en moi m'apaisent. Ainsi soit-il. Je lui cède le contrôle : fais ce qu'il faut, mais venge Lucas.

Mon regard tombe une dernière fois sur son visage déchiré de douleur. Comme je l'aime.

Le bourdonnement envahit mes oreilles. Il ne m'agresse pas cette fois-ci. Je ne cherche pas à lutter contre. Je l'accueille même. Presse contre moi ces étincelles de vie. Je vois toutes leurs existences. En cet instant, je me fiche que le soldat prêt à tirer sur la droite vienne d'avoir un bébé, que celui sur ma gauche ait une mère malade dont il doit s'occuper. Je me fiche de leurs vœux, de leurs aspirations, de leurs bonheurs. Mon bonheur à moi, ils viennent de me l'amputer sauvagement. Pas de pardon.

Les soldats n'ont pas le temps de presser la gâchette. Ils tombent en une fraction de seconde. Tous.

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