Peut-on juger un héros ?
Et tout d'abord, avant tout, qu'est-ce qu'un héros ?
C'est une image. Le reflet sublimé de ce qu'il existe de meilleur en l'humain pour celui qui perçoit cette image. Chacun a ses propres critères sur ce qui fait le héros. Cependant certains de ces critères sont communs à la plupart des gens. Peut-être pas universels, mais tendant à l'universalité.
Il est le focal de notre lien à l'autre. La raison d'être de ce lien. Son catalyseur. Prenons l'exemple d'un sportif de haut niveau qui a sa cohorte d'afficionados : ils sont tous liés par l'admiration commune qu'ils ont pour lui, et ce lien peut - et va, dans bien des cas - se faire très tangible. Très concret. Un fan club c'est un lieu de rencontre et d'échange. On l'on se fait des amis, des ennemis, des amours, même, peut-être.
Autant de liens nous rattachant à d'autres personnes importantes de notre existence qui n'existerait pas sans ce héros que l'on admire tant. Et donc, au-delà même du simple fait de l'admirer pour ce qu'il a accompli, cette même admiration peut et devient souvent l'un des pivots même de notre existence. Un de ces éléments inamovibles de notre passé sans lesquels nous serions trop radicalement différents pour être encore nous-même.
Allons plus loin. Le héros est un archétype, disais-je un peu plus haut. L'archétype c'est un peu, et pour simplifier, le vêtement qui va a tout le monde au sein d'un groupe. Ce dans quoi tout le monde se reconnaît. Nous avons tous une image de nous-même vague et imprécise. L'archétype nous permet de regarder une partie de cette image en face, de façon claire et simplifiée. Notre inconscient s'en nourri pour aider à notre construction individuelle, délivrant la conscience du besoin d'une introspection autrement plus compliquée pour accéder à une forme claire de cette image de nous-même.
Non pas par gratitude ou par admiration bornée et aveugle, quel que soit l'impression que l'on puisse en avoir nous-même. On ne juge pas les héros, parce que juger un héros, au final, ça revient à attaquer nos propres fondements. C'et s'obliger à une remise en question profonde auquel on est rarement près. Ce qui est dommage.
Dommage parce qu'au final, c'est bel et bien en ayant une réflexion consciente sur pourquoi nous nous sentons inspiré par quelqu'un au point d'en faire un héros que nous pouvons espérer nous comprendre nous-même. Que nous pouvons parvenir à le comprendre vraiment, ce héros, non pas en le regardant comme un modèle déshumanisé mais bien comme un autre humain faillible.
Mais c'est en prenant conscience de l'imperfection de ce héros que l'on peut admettre la sienne propre. Si je suis figé sur l'image pure de ce que doit être un humain alors je fige mon propre comportement. Je n'essaye plus de m'améliorer, je me contente de suivre le chemin me conduisant vers cette image, qu'il me rende meilleur ou pire, peu importe. Si je m'interroge, me questionne, ne me limite pas à la surface des choses alors j'entre dans un processus ouvert où je peux me rendre compte de mes propres faiblesses aussi bien que de mes propres forces et influer dessus.
Ironiquement, si je parviens à aller au bout de ce processus, alors je peux regarder mon héros comme un être humain. Je peux me détacher de lui. Me rendre compte que ce qu'il m'a apporté c'est ce que je me suis apporté à moi-même au final, en me servant de lui comme d'un pivot. Qu'il n'a été que mon propre miroir.
Et de là, je peux admettre l'idée qu'il ne soit pas forcément celui que j'avais cru voir en lui. J'admets ici qu'il s'agit de ma propre erreur. Je l'accepte. Et je peux donc le juger non plus en tant que héros archétypal indispensable à mon équilibre personnel mais comme je jugerai n'importe quel être humain : en fonction de ce qu'il est réellement.
En bref et pour conclure : Le seul moyen de juger un héros c'est d'admettre qu'avant d'être un héros c'est d'abord un être humain. Ce qui est peut-être l'une des choses les plus difficiles auxquelles on puisse se retrouver confronté.
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