La page blanche - partie 7

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Le lendemain, je ne retournai pas au bar après la journée au travail. Je préférai aller chez le premier de mes confrères à être intervenu dans ce récit pour l'informer de ma décision. Après tout, je trouvais ça normal, et puis comme ça le cercle en sera plus rapidement informé, avec trois premières personnes tenues au jus.

Il m'ouvre la porte une minute après que j'aie appuyé sur la sonnette et m'accueille avec un grand sourire, me demandant comment ça allait ; ce à quoi je lui réponds par la positive.

– Alors ? Pourquoi viens-tu me voir, cette fois, collègue ? Tu as réussi à poser les premières lignes sur la page de ta nouvelle histoire ?

– Non, ce n'est pas pour ça que je viens te voir.

– D'accord. Tu veux que je t'offre à boire, en premier ?

– Non.

Sans insister, il m'invite à aller m'asseoir sur le canapé, toujours en face de son téléviseur. Ma place prise, il me rejoint dans le coin du fauteuil, s'adossant sur le bras du meuble.

– Non… j'espère que tu n'es pas venu me dire que tu renonces à l'écriture et que tu te retires du cercle ? On en prendrait tous un gros coup.

– Non, rassure-toi, le réfuté-je en riant, je ne pars pas… enfin, pas comme tu l'entends.

– Allez, explique-toi.

Je prends quelques secondes pour chercher les mots – pour ne pas changer –, avant de décider d'aller droit au but.

– Je pars d'ici pour deux jours. J'ai trouvé un gîte à 150 kilomètres d'ici. Je décolle vendredi soir.

– Ah, tu t'es mis une fin de semaine de congé ?

– C'est le compromis que m'a proposé mon patron afin de récupérer des ressources, au lieu de prendre une semaine pour moi, afin de faire tourner la boîte.

Il a un petit rire jaune qui me laisse présager la remarque qu'il s'apprête à faire.

– Le profit, c'est ça ?

– C'est l'une des raisons. Mais je le rejoins, tu sais, il a une entreprise à faire tourner et il m'aime bien. Je connais certains collègues qu'il aurait foutu dehors à peine après avoir entendu le mot « congé ».

– Oui. On ne te dira jamais assez que tu as la chance d'avoir un chef plutôt indulgent.

– C'est un juste retour des choses. En tout cas, je suis venu t'en parler parce que tu es le premier à qui je suis venu demander conseil.

– D'accord. Qui d'autre est au courant ?

– L'Anglaise et le tenancier.

Un autre petit rire.

– Tu l'aimes bien, l'Anglaise, hein. Vous êtes très proches, tous les deux.

– Oui, on est de très bons amis. Mais le tenancier aussi, j'ai toujours regretté qu'il ne soit pas parmi nous.

– C'est son choix, quelque part. Tu ne voulais rien me dire d'autre ?

Je fais non de la tête et il se lève. Je l'imite.

– J'attends des gens. Petite soirée. Tu souhaites rester un peu avec nous ?

Je réfléchis quelques minutes. Un peu trop longtemps, peut-être, car il me donne une tape sur l'épaule en me disant que « qui ne dit mot consent » et m'invite à retourner m'asseoir sur son canapé.

– À quelle heure arrivent tes invités ?

Il regarde sa montre.

– Dans tout au plus 1h30, tout le monde devrait être là. Ce sont des gens sympas, tu t'en feras très probablement des amis. Et puis, ils aiment bien la littérature aussi. Ce n'est pas leur folie, mais ils peuvent en parler avec une certaine aisance.

Je souris et décide d'attendre, lui demandant finalement un verre d'eau, étant donné que j'étais parti pour rester à sa petite soirée entre amis.

– Au fait, pourquoi as-tu invité tes amis pour souper ?

Il quitte le salon sans me répondre et revient deux minutes après avec un livre dans les mains.

Je ne peux réprimer une expression de surprise.

– Ton dernier ?

– Oui. Tout frais depuis hier ! Le premier tirage s'élève à 15 000 exemplaires.

– Eh bien, chapeau bas ! On dirait que ta plume marche bien.

– Oui, c'est la joie ! Ce n'est pas mon premier, pourtant ça fait toujours quelque chose quand ton bouquin, sur lequel tu as mis un paquet de temps, est mis en rayon pour la première fois.

– Je sais, on connaît tous ça. C'est ce qu'il y a de plus beau dans le métier qu'on fait tous ici.

– Tout à fait ! Et je crois que si plus de monde était au courant de tout ça, le métier d'écrivain aurait une bien meilleure réputation.

– C'est ce que je dis tout le temps, confirmé-je.

Il me tend son exemplaire.

– Tu le veux ?

– Non, désolé, pas maintenant. J'ai déjà emprunté celui de l'Anglaise, que je n'emporterai pas là où je vais, alors je ne veux pas prendre un autre livre pour le moment. Quand je reviendrai, peut-être que je le prendrai, oui.

– Très bien, je comprends. C'est comme tu veux.

Il retourne ranger le bouquin pendant que je bois le verre d'eau qu'il m'a donné avant de le poser sur la table une fois vide.

Comme il me l'avait dit, ses amis arrivèrent une heure plus tard pour les premiers et les derniers sonnèrent une demi-heure encore après. Le reste de la soirée se passa à merveille, la discussion ne s'épuisa jamais, le courant passa très bien entre nous. Encore une fois comme il me l'avait dit, je trouvai des atomes crochus avec ses invités, à qui je parlai en quelques mots de la mauvaise phase dans laquelle je me trouvais en ce moment. On finit par s'échanger les numéros de téléphone.

Les invités commencèrent à partir vers 23h. Je fus l'un des derniers à lever le camp.

Après avoir souhaité une bonne nuit à tout ce joyeux monde, je retournai chez moi aux alentours de minuit.

Le reste de la semaine se passa sans trop d'encombres. Je ne rencontrai pas beaucoup de problèmes au travail. Mon patron était plutôt satisfait, ne se formalisant pas de mes résultats plutôt moindres par rapport aux semaines précédentes, étant donné que je l'avais mis préalablement au courant. Mes collègues de bureau me demandèrent régulièrement comment j'allais, sans me demander de détails au sujet de mes écrits, à part quelques rares qui pouvaient se le permettre.

Vendredi arriva donc assez rapidement. J'avais choisi ma destination et réservé ma chambre d'hôtel.

J'entends sonner alors que je suis en train de préparer ma valise dans ma chambre, le soir même. Mon ordinateur reste sur mon bureau. J'ai décidé de ne pas le prendre.

Pas de livre, ni d'ordinateur. Durant ces vacances, je me coupe de tout ça, je l'ai décidé. Tout ce que je garde, c'est mon téléphone.

J'interromps mon affaire et me dirige vers la porte pour aller l'ouvrir et voir mon amie anglophone sur le seuil.

– Hi, commence-t-elle. C'est ce soir que tu pars, si je me souviens bien.

– Oui, ce soir.

– Je voulais te voir avant que tu partes.

Je souris et la laisse entrer, lui demandant si elle veut boire quelque chose, offre qu'elle refuse.

– Que veux-tu ? lui demandé-je donc.

– Tu pars dans un coin de la France. J'aime aussi les voyages. Je suis venue te demander si aller en Angleterre avec moi un de ces jours te tenterait.

– Mais oui, carrément ! m'exclamé-je en m'approchant d'elle, un grand sourire aux lèvres. Ce serait quand ?

– Je pensais à cet été, me dit-elle en me rendant mon sourire. J'y vais régulièrement. Pas tous les ans, mais assez souvent quand même. C'est comme ça que j'ai pu consolider mon anglais, tu sais.

– Oui, j'imagine. Tu as des amis là-bas, je suppose ?

– Pour entraîner son anglais il faut parler à des gens, donc oui, j'ai mon petit réseau là-bas. On communique beaucoup par téléphone. Mais grâce à mes droits d'auteur et mon salaire, je peux me le permettre. J'ai un éditeur de l'autre côté de l'English Channel, aussi.

– Oui, ça je m'en doute. Je sais que tu en as aussi outre-Atlantique. Il y a beaucoup de collègues qui jalousent ton succès. Encore plus ce talent particulier qui te permet de l'avoir.

– Je sais, mais ils ne s'en sortent pas si mal non plus. Il y a toujours des envieux.

J'acquiesce et repense tout à coup à ma valise dans ma chambre, me souvenant que je n'ai pas achevé de la préparer. Je m'y dirige à grands pas afin de finaliser ma tâche, chose que je fais au final assez rapidement. Tandis qu'elle ne manque pas de remarquer la présence de mon ordinateur portable sur mon bureau, éteint, replié et seul.

– Tu ne l'emportes pas ?

– Non. Je me coupe de tout pendant ces deux jours. Pas envie d'y penser une seule seconde. Une fois là-bas, je décompresse, je me libère, et je me ressource. Ma lutte contre ma page blanche m'a fatigué.

– Je te comprends. Tu comptes reprendre ton combat une fois rentré ou bien tu vas t'accorder encore quelques jours de repos ?

– C'est une chose que je verrai à mon retour de vacances. Pour l'instant, je n'ai pas envie d'y songer. Je vais visiter du pays, rencontrer des gens et me détendre. C'est la seule chose à laquelle je pense en ce moment.

Elle sourit et je ferme ma valise. Je la prends par la poignée et la pose à terre.

Je regarde ma montre.

– L'heure approche. Tu as encore quelque chose à me dire ?

– Oui. Mon livre, que je t'ai prêté… je te l'offre.

– Sérieux ? fais-je avec un grand sourire. Merci beaucoup, tu es géniale. You are fabulous, comme tu t'amuserais à le dire.

Elle rit, moi aussi.

– Tu dois partir quand ? reprend-elle.

– J'ai deux heures de route à faire, il faut que je parte très bientôt. J'aimerais y être vers 20h. 21h vraiment au plus tard.

– Tu devrais y aller maintenant, alors.

J'acquiesce et me dirige vers l'entrée de la maison, de laquelle je sors avant de refermer la porte à clef derrière nous.

Elle m'accompagne jusqu'à ma voiture dans laquelle j'installe ma valise après l'avoir déverrouillée. Ceci fait, je me tourne vers elle.

– Ne me fais pas trop crouler sous tes messages, d'accord ? Je veux bien penser à toi, mais je voudrai dans l'idéal me sentir là-bas quand j'y serai, et pas encore ici. Tu vois où je veux en venir ?

– Ne te fais pas de soucis, je ne suis pas une harceleuse, quand même ! proteste-t-elle en riant.

– Je le sais, je plaisante !

Je m'approche d'elle pour la prendre dans mes bras. Elle sourit et me serre fortement contre elle, me disant que je vais lui manquer pendant ces deux jours. Ce à quoi je lui réponds qu'elle va me manquer à moi aussi.

Nous nous faisons la bise et, après qu'elle m'ait demandé de faire attention sur la route, j'ouvre la portière pour m'installer dans mon véhicule.

– Je t'enverrai un texto pour t'informer de mon arrivée là-bas en un seul morceau.

– D'accord.

– Et toi aussi fais attention sur la route. Le soir commence à poindre.

– Oui, ne t'en fais pas. Concentre-toi sur ta route.

Je hoche la tête et démarre après avoir bouclé la ceinture de sécurité, avant de sortir la voiture de chez moi.

On se fait un signe de la main et je presse enfin l'accélérateur en la regardant se diriger vers sa propre voiture, prête à rentrer chez elle et attendre mon message.

Quant à moi, je lance ma voiture à l'horizon. Prêt à séjourner dans un environnement nouveau, vivre de nouvelles expériences, malgré le fait que je ne sorte pas du pays.

Deux jours d'évasion.

Vers l'inconnu.

Je la commencerai, ma nouvelle histoire.

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