DECRET 10

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James Richard regardait le liquide ambré dans son verre et le faisait tourner doucement dans la lumière.

Jolies couleurs.

Doucement.

Dehors, on criait fort et on frappait. On tuait ?

James Richard buvait lentement et aimait la légère brûlure que l'alcool faisait à sa gorge.

Jolies sensations.

Lentement.

Dehors, on tuait sans pitié et on hurlait. On disparaissait ?

La porte s'ouvrit et un vieil homme apparut.

James Richard ne tourna pas la tête, il sourit encore plus.

" Tu es en avance, Willie.

- Pas assez manifestement."

William Matheson s'assit en face de son vieil ami.

Derniers vieillards d'une race en déshérence.

" Comment vas-tu, Willie ?, demanda James Richard, indifférent.

- Le dernier décret ?

- Prêt à être proclamé."

William Matheson respira fort.

Dehors, on disparaissait insensiblement et on gémissait. On mourait ?

William Matheson regarda son vieil ami et murmura :

" Elle n'aurait pas voulu ça."

Le sourire disparut enfin et les yeux devinrent durs et mauvais.

" Elle n'avait voulu que ça.

- Non. Elle n'aurait pas accepté ça !"

James Richard se mit à rire, un rire cruel et vicieux.

" Ho si. Tu l'as oublié."

James Richard se souvenait.

Sa femme, morte depuis tant d'années.

Sa femme, tuée par un cancer et qui en fut si heureuse.

Sa femme qui voulait sauver la Terre.

Il entendait encore sa voix.

" Qu'espères-tu avec tous tes protocoles ? Mon pauvre ami. Un réchauffement climatique stabilisé à 2° C ? La baisse du CO2 ? La transition énergétique ! Déplorable."

Et il s'entendait répondre, scandalisé :

" Tous les pays se sont réunis et ont signé ! En 2050 ! Tu verras ! On y arrivera !"

Elle le vit et rien n'arriva. Elle se moqua de ses rêves et de ses espoirs.

Elle lui parla des baleines devenues folles et se suicidant.

Elle lui parla des coraux morts et qui ne reviendront plus.

Elle lui parla des souffrances de la Terre.

Et des promesses vaines des pays et des hommes.

Il fallait faire un choix, lui avait-elle dit.

Les hommes ou la Terre ?

Elle choisit la Terre et refusa les traitements.

Elle refusa la tombe et lui refusa un endroit pour prier et pleurer.

Elle disparut dans un dernier éclat de rire.

Une dernière caresse.

" Et dire que tu pourrais faire tant, toi..."

Elle ferma ses yeux.

Il se jura d'agir dur et fort.

Pour elle.

William Matheson regardait son ami et ne le reconnaissait plus.

" On a fait beaucoup. Il faut cesser là."

James Richard sourit et assura :

" C'est déjà fait. Il ne reste qu'à le proclamer !"

William Matheson sursauta et écouta.

Le silence !

Dehors, on mourait en silence et on cédait. On disparaissait ?

On disparaissait ?

William Matheson se leva et se précipita sur la fenêtre.

Il regarda la rue.

Les corps jonchaient les rues.

Les cadavres.

Il se tourna, horrifié vers son ami.

" Qu'as-tu fait ?

- J'ai organisé le rationnement, comme prévu.

- Mais ?

- Des années pour trouver le poison adéquat. Pas une heure d'attente, pas d'antitode, pas de risque.

- QUOI ? Mais je n'ai pas vu cela !"

James Richard regarda la couleur ambrée de son alcool et la trouva si belle.

Elle serait fière de lui.

Enfin.

" Tu n'as connu que les décrets et quelques amendements. Mais tu n'as pas tout lu, tu n'as pas lu tous les amendements, tous les détails. Je n'ai pas eu à faire tant de choses en réalité. Un décret et je n'avais qu'à laisser agir les hommes. D'amendements en amendements, l'homme s'est tué lui-même."

James Richard ricana et but une gorgée.

" Elle n'en aurait pas été surprise. Je n'avais qu'à attendre. Les chasseurs d'hommes, les plaintes et les oublis. Tout m'a été offert. Mes collègues ont écouté et ont organisé les choses.

- Tu leur as donné de la nourriture empoisonnée ? Mais comment ? Partout ?

- Distributions officielles et drônes.

- Je n'ai pas voulu ça.

- Mon pauvre Willie. Viens boire un whisky. Il est bon."

Dehors, le silence était profond.

Un silence si profond.

" On entendra les oiseaux. Je l'espère de tout coeur.

- Où sont tes serviteurs ?, murmura Matheson, horrifié.

- Comment as-tu fait pour parvenir ici ?

- Mon Dieu.

- Bois un whisky.

- Poison ?"

DECRET 10 :

IL FAUT SAUVER LA PLANETE.

L'AVENIR DE L'HOMME N'EST QU'UNE UTOPIE.

L'HOMME NE COMPTE PAS.

Lorsqu'un nuisible prend de l'ampleur, lorsqu'il n'est bon qu'à détruire et massacrer, que fait-on ?

On l'éradique.

Être un homme est interdit.

Être vivant est un crime.

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