Course

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Bien que mon congé fût agréable et vivifiant, la performance, cette espèce de débat incroyablement inepte à la maison de la Radio me restait farouchement au travers de la gorge. C’était une horrible expérience. Le présentateur n’avait rien fait d’autre que sauter sur les petites phrases insignifiantes, des thèmes hautement insignifiants et se répéter pour détourner le sujet sur du superficiel. Je l’aurais remplacé par un collégien qu’il aurait mille fois mieux fait.

Même les attaques, justifiées à mon sens, contre le malpropre de Garry, étaient d’une lourdeur sans nom. Rien de concret, juste des impressions bien trop légères pour être prises au sérieux, ou pire, tellement dépourvues de toute substance qu’elles donnaient raison à la misogynie de celui dont il fallait dénoncer les propos. La terrible sensation d’avoir été témoin de quelque chose d’inhumain d’incompétence n’était surpassée que par la certitude que les téléspectateurs venaient d’être floués.

Dans l’immédiat, il fallait évacuer cette frustration qui ne me lâchait pas. La seule façon qui semblait convenir était une séance d’activité physique poussée. La salle de sport s’imposait un peu plus chaque instant. Tous les exercices ne me suffisaient pas. La course, les sacs de sable, les tractions, les haltères, le vélo, rien n’y faisait.

Alors que je me défoulais une nouvelle fois sans grand succès sur les sacs de sable, je fus surprise par une tape délicate dans mon dos : « Ça ne va pas aller si tu es aussi distraite. » Dans sa tenue de sport bordeaux qui caressait délicieusement la silhouette de son corps, Lilo commençait déjà une séance de boxe dans le vide avec des mouvements tout aussi intenses que gracieux. « Tu dois juste améliorer un peu ta technique et rester un peu plus concentrée », conclut-elle au terme de sa démonstration. N’étant pas d’humeur pour des exercices théoriques, je continuai sur ma lancée sur le sac de sable :

« Tu es bien gentille mais je suis venue pour décompresser, là.

— C’est ce que je dis, ça ne va pas le faire si tu n’es pas concentrée. Tu perds en efficacité, tu gaspilles ton énergie et ça ne te détend pas.

— D’accord, concédai-je dans un dernier enchaînement. Qu’est-ce que tu veux que je fasse, alors ?

— J’ai ce qu’il te faut ! »

Tout d’abord, elle m’enleva les gants des mains et les posa par terre. Ensuite, elle s’approcha son visage encore plus près de moi, ses yeux tout droit dans les miens. J’eus un mouvement de recul mais alors que je m’éloignais, Lilo continuait de réduire la distance entre nous. Puis, soudainement, je reçus une tape rapide à l’épaule. « Touchée, c’est toi le chat ! » dit-elle en s’échappant.

D’instinct, je tentai de la rattraper. Plus je me rapprochais, plus vite elle courait et plus grands étaient mes efforts. Je réussis à lui mettre la main dessus, mais aussitôt fait que les rôles s’inversèrent et à son tour la Polynésienne se jeta sur moi. Le jeu se poursuivit pendant quelques bonnes minutes avant que je me retrouve essoufflée par cette course effrénée à lui courir après. À en juger par la mine souriante de la vahiné, il lui restait encore pas mal d’énergie pour continuer, mais compatissante de mon état, elle arrêta sa course et me rejoint assise à même le sol :

« Alors, c’était bon ? dit-elle provocatrice un sourire grivois aux lèvres.

— La ferme ! Les gens vont se faire des idées !

— Mais non, ne t’inquiète pas, je voulais seulement te taquiner un peu. Tu me semblais un peu triste tout à l’heure.

— Ce n’est pas le mot que j’aurais employé, contestai-je.

— D’accord, grincheuse, si tu préfères.

— C’est ça, vas-y, moque-toi de moi !

— Comment te sens-tu, maintenant ? Ça ne t’a pas fait du bien de t’entraîner avec moi ? »

Je me sentais beaucoup mieux grâce à elle. J’en avais oublié les horreurs de la semaine passée. Cette ridicule séance à jouer au chat et à la souris m’avait redonné des forces pour affronter la semaine, plus que je n'y étais parvenue toute seule avant l’arrivée de Lilo. Elle savait y faire avec les gens, elle savait lire en eux et tout spécialement en moi. Je m’étais bien amusée, après tout. Je pouvais au moins lui reconnaître ça : « Oui, je me sens plus détendue, maintenant. » Elle me répondit, satisfaite, qu’elle était contente pour moi. Puis, elle reprit le jeu aussitôt : « Touchée, c’est toi le chat ! » J’avais de la chance d’avoir quelqu’un comme elle dans ma vie.

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