Repas

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Lui, s’occupait du volet juridique, Aurore se chargeait de l’argumentaire et moi, je devais résumer les profils d’une brochette de personnes dont pour plusieurs j’ignorais qui elles étaient. Essentiellement des journalistes, des hommes politiques et autres entrepreneurs en affaires variées. Au-delà de ça, je ne comprenais pas vraiment en quoi le travail consistait.

Bonne nouvelle pour moi, je ne me débrouillais pas si mal à cette tâche. Mais là encore, je ne voyais pas l’impact que je pouvais avoir sur ce projet, sentiment renforcé par d’intenses yeux bleus que je voyais bien trop souvent lors d’interruptions bien trop fréquentes de ma part, trop distraite que j’étais. Ils faisaient le plus dur et je ne pouvais même pas les aider correctement.

Le pire était le patron. Nous avions fait la moitié du chemin. Il ne restait plus qu’une semaine avant de terminer ce travail mais le rédacteur en chef était abattu. Complètement allongé sur le futon de son bureau, casque audio sur la tête et le bras sur le visage. Je ne l’avais encore jamais vu ainsi. Cela pouvait ne rien vouloir dire, mais il ne changea pas de la journée, autrement que pour se dégourdir les jambes quelques instants avant de revenir se rallonger aussitôt.

Le lendemain, son état ne semblait pas s’être amélioré. Inquiète pour lui, je demandai discrètement à Aurore des explications :

« Il ne va pas bien ?

— Il a travaillé sur le mauvais sujet.

— C’est grave ?

— Tu le vois. »

J’ignorais qu’un mauvais sujet pouvait être la cause d’un tel épuisement. Même les meilleurs ont leurs faiblesses. Mais je repensai au responsable de cette situation. Il y en avait de ces goujats, toujours à profiter des autres ! Il n’avait qu’à le faire lui-même son travail, il était payé pour ça, quand même ! Je ne me serais jamais permise de laisser tomber mon travail de cette manière, moi ! Mais certains n’avaient manifestement pas cette gêne.

L’humeur du rédacteur en chef ne changea pas non plus le jour suivant, cette tristesse dans les yeux et la mine abattue lui collaient toujours au corps. Il bougeait néanmoins plus que les fois précédentes, sans toutefois faire preuve d’un grand enthousiasme. Le patron avait aussi l’air d’avoir plus d’appétit, car pour le déjeuner, Aurore avait rapporté quatre plats indiens et ni moi ni elle n’avions commandé une part supplémentaire.

Malheureusement, les portions étant mélangées, je tombai sur la mauvaise. Je ne pensais pas que j’aurais dû me méfier. Mes connaissances en cuisine indienne n’étaient pas exceptionnelles, mais en les voyant savourer le repas somme toute copieux constitué de poisson et riz au curry avec poulet au tandoori, l’idée ne m’était pas venue que j’y risquai ma peau !

J’avais à peine commencé à manger rien qu’un petit morceau de ce poulet à l’aspect délicieux et bien coloré que déjà le goût épicé m’explosait en bouche. Pire encore, dans la panique, je l’avais avalé croyant pouvoir abréger mes souffrances. Terrible erreur, alors qu’il continuait d’enflammer mon palet, je commençais désormais à m’étouffer à cause de la chaleur qui me montait à la tête.

Quelle expérience ! Cela n’avait pas duré longtemps, pas plus d’une minute, mais la bouche me brûlait encore et j’avais incroyablement chaud. Je reçu au moins comme consolation que les deux autres s’étaient un peu inquiétés pour mon sort. Ce ne devait pas être très difficile à rater avec la tête que je devais faire. Aurore me caressa doucement le dos pour me faire passer le choc. Ce n’était pas de cette façon que j’imaginais être chaude comme la braise ou épicer les choses.

Mon superviseur, échangea mon plat avec celui qu’il avait en plus, réparant un peu tard le mal fait : « Navré. Ce doit être le mien », dit-il l’air gêné en guise d’excuse. Après tout ce qu’un misérable bout de poulet venait de me faire, je ne comprenais pas que l’on puisse en manger plusieurs dans ces quantités et l’incompréhension gagna mes paroles : « Patron, vous êtes humain ? »

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