Bonheur

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C’était le quatorze avril, tout juste la semaine suivante, en début de matinée. Il y avait à mon arrivée un duo que je n’avais pas encore eu l’occasion de voir ensemble. Nikola von Lorentz avec ce grand plaisantin de Grégoire, le premier intérieurement dépité, le second tout fier faisant l’exposé de ses recherches. Laissant traîner mes oreilles près d’eux, j’entendis un bref instant leur échange :

« Tu es de mauvaise humeur ? demanda Grégoire sans retenue.

— Non, répondit le patron. Je ne suis pas content de ma performance avec Vileski.

— Mais c’était la semaine dernière.

— Oui. »

Je ne les ai pas plus longtemps espionnés ensuite, sauf en jetant un coup d’œil de temps à autre dans leur direction. Cependant la personne qui attirait le plus mon attention à ce moment-là, c’était Aurore. Son parfum sucré devenait de plus en plus enivrant à chaque fois que je rivais mon regard sur la grâce sublime de ma voisine. La démonstration d’affection de l’autre jour amplifiait aussi grandement cette vision angélique et je me serais probablement fondue en elle si seulement je ne me retenais pas autant et que son élégance ne dégageait pas également une certaine froideur.

Les frissons que je ressentais à l’avoir si près de moi n’enlevait en rien la chaleur dans mon cœur et une question continuait à me brûler les lèvres. Est-ce qu’elle avait vraiment une liaison avec le patron ? Pourtant, à part cette fois-là, à aucun autre moment ils ne s’étaient rapprochés autant, ni avant, ni après. Je me faisais peut-être des idées, après tout, et j’empirais mon cas en fantasmant sur mes collègues.

Et comme par hasard, au moment où je les imagine sur le point d’entrer au plus fort de l’action pour vérifier l’hypothèse de leur histoire, voilà que le couple se réunit devant moi. Sans tension affective, sans regards soutenus, sans caresses appuyées, rien pour indiquer un caractère sulfureux à leur relation. Ils se comportaient normalement, tellement normalement que je commençais à douter de ce que j’avais vu.

En revanche, personne ne pouvait nier l’humeur colérique de Garry. Tout le monde l’avait vu grogner tout le long de la matinée la semaine dernière. Il s’était calmé entre-temps, bien sûr, mais il gardait quand même son regard de tueur et fusillait des yeux quiconque s’approchait trop près de lui. Mais encore une fois, le monde entier voulait me donner tort et même ce fou furieux de Garry n’y échappait pas.

Il était complétement différent, un énorme sourire sur le visage, les yeux pétillants de joie et tout son corps nageant dans le bonheur. On aurait dit une toute autre personne tellement il semblait heureux. C’était sans aucun doute une chance rarissime de voir ce fauve extrêmement dangereux avoir un comportement aussi docile. Je décidai alors d’en profiter, de m’approcher de cette bête sauvage et ne pas manquer la seule fois peut-être que je pourrais le faire.

Il rêvassait longuement. Je ne savais pas à quoi il pensait, ou s’il pensait à quelqu’un, mais ses soupirs langoureux par intermittence renforçaient la seconde hypothèse et une discussion entre lui et mon superviseur la confirma :

« Tu as l’air de bonne humeur, commenta ce dernier.

— Je le suis, répondit l’homme à la peau sombre.

— Qu’est-ce qui t’es arrivé ?

— Rien, Nick. Rien. Elle m’a appelé. Je la récupère demain à l’aéroport.

— Je suis content pour toi.

— Merci. J’ai hâte. »

Même lui semblait avoir trouvé le bonheur. Les couples se multipliaient à chacun de mes pas, jusque dans la rue en rentrant chez moi. Tout le monde qui passait avait quelqu’un de spécial pour lui tenir compagnie, sauf moi. Cette mauvaise pensée continuait de s’accrocher fermement à moi pour m’entraîner dans les profondeurs. La culpabilité qui m’envahissait faisait ressurgir le visage de ma trahison. Je n’avais pas la force de demander pardon et puisque j’étais déjà une mauvaise personne, autant aller jusqu’au bout. Je mériterais mille fois ce sort, mais c’était une pente extrêmement glissante que je n’avais pas envie d’emprunter de nouveau.

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