Blondinet

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Ce n’est que tardivement dans l’après-midi que je retrouvai la trace de mon amie sortant du bureau de mon rédacteur en chef. Dès que je l’appelai, sa mine épuisée fonda en pleurnicheries et s’appuya contre moi, incapable de m’en défaire : « Lea, s’il te plaît, aide-moi ! » supplia-t-elle. Quelles misères pouvait-on bien lui avoir fait subir derrière ces murs ? Apparemment, la charge de travail était trop importante et le surmenage guettait. J’acceptai de lui rendre service aussi parce que ce n’était pas la première fois.

Dans le bureau se trouvaient Nikola von Lorentz à moitié allongé sur le futon et Garry assis à une chaise dos aux tables, les deux regardant la télévision. Pendant que Clara reprenait sa place et moi m’installais près d’elle, l’ambiance devenait de plus en plus tendue, notamment à cause de l’homme à la peau foncée. Peu de temps après, alors que je commençais tout juste à me faire une vue d’ensemble des dossiers, le bruit de la télévision se fit éclipser par un éclat d’indignation :

« Et puis quoi encore ? s’emporta le ténébreux. Je ne vais quand même pas me laisser insulter par un pédé ! Non pas pour insulter les homosexuels. Mais pour l’insulter lui !

— Alors, tu t’occupes de lui et je m’occupe de Vileski ? demanda son confrère sans se défaire de sa posture.

— D’un côté, j’ai très envie de l’envoyer se faire voir, mais ça voudrait dire que je verrai sa sale tronche en face à l’espèce de fumier.

— Donc, qu’est-ce que j’écris dans le dossier ? osa ma petite Clara à ce dernier.

— Mange des pingouins ! »

Soudainement, je compris la mine abattue de la demoiselle. Celle d’avoir à supporter un individu capable d’un comportement aussi odieux. Pauvre Clara. Fort heureusement pour elle et moi, le supplice ne s’éternisa pas trop longuement. Plusieurs longues minutes certes, mais lorsque les deux hommes eurent fini, l’un de maugréer, l’autre d’écouter, ils nous libérèrent enfin et nous pûmes à nouveau souffler.

Même si je n’avais pas exactement de travail urgent à faire, ce n’était pas tout à fait le cas pour Clara, qui devait terminer ces dossiers tant exigeants. Je ne pourrais la questionner que plus tard, à la fin de la journée. Parmi les papiers qu’elle m’avait confiés, je trouvai un certain document dont le contenu m’irrita quelque peu. Il y avait dedans une bonne dizaine de profils de journalistes avec leurs études, leur carrière professionnelle et une brève description de leurs meilleurs articles.

Tous sortaient d’excellentes universités, avaient fait des stages à des postes prestigieux ou étaient majors de leur promotion. De quoi freiner mon enthousiasme et entamer un début de colère. Plus je feuilletais ces documents, plus la tendance se confirmait. Il n’y avait de place dans ce monde que pour l’excellence et quiconque trébuche en chemin ou s’en éloigne se voit immédiatement discrédité avec ses rêves brisés. Mais que les rêves sont beaux pourtant. Rien de mieux, alors, pour oublier cette affreuse journée qu’une crêpe dégustée en bonne compagnie, même si je devais me contenter de Clara :

« Quelque chose ne va pas, Lea ?

— Ce n’est rien, juste l’impression que ça a été une journée pourrie aujourd’hui.

— Tu veux en parler ?

— Ça va, je te dis. »

Sachant très bien qu’elle ne se contenterait pas de quelques mots tout faits, je lui offrais donc une distraction dans l’espoir aussi de découvrir le mystère de la nuit dernière :

« Dis-moi plutôt, il s’est passé quelque chose avec moi hier ?

— Il se passe toujours quelque chose en soirée, répondit-elle.

— Non mais sérieusement, j’étais comment ?

— Normale, je crois. Qu’est-ce qui te tracasse autant au juste ?

— En fait, laisse tomber, je n’ai pas envie d’en parler. »

Juste au moment où elle allait rappliquer, c’est la voix familière de l’espèce de petit blondinet de malheur qui retentit derrière mon dos : « Parler de quoi ? » lança-t-il me laissant prise en tenaille entre ces deux imprévisibles individus. Cependant, il ne me fuyait plus et son regard n’avait plus de difficulté à croiser le mien, comme s’il avait oublié son numéro plus tôt avec moi. Seulement je n’en avais pas finis avec lui.

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