Lucie

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Le reste de février passa sans que rien d’exceptionnel n’arrive. Plus exactement, mon travail n’évoluait pas. Aucun signe d’amélioration ne transparaissait sur le visage de mon superviseur, tandis que les autres journalistes me donnaient l’amère sensation que ma présence ne faisait de toute façon pas la moindre différence dans leur quotidien. Je ne savais pas où j’allais, professionnellement, personnellement, dans ma vie. Un avenir bien flou, tout le contraire de ce que j’imaginais au lycée. Le doute commençait à envahir mes pensées. Avais-je seulement ma place dans ce prestigieux journal ?

Le groupe habituel de gens que je connaissais m’offrais quand même une mince distraction face à cette angoisse existentielle. Grégoire, Clara, Aurore et d’autres qu’il me fallait trop d’effort pour mémoriser leurs noms sans que je puisse laisser une meilleure impression. Ces rencontres après le travail n’étaient pas mauvaises, je m’y amusais bien dans l’ensemble, en réalité. Mais dès que je prenais le chemin du retour, ces instants fugaces disparaissaient trop vite, et avec eux, ma joie. C’est à cela que je me suis habituée depuis mon arrivée à Strasbourg.

Le mois de mars débutait lui aussi sans vraiment rien d’extraordinaire pour l’animer plus que ça. Même mon article était plus ennuyeux que les précédents. Le sujet pas du tout original se prêtait bien à cette humeur et au manque d’inspiration. Le chômage en France. Tellement de gens avaient écrit dessus que si je devais en rajouter une couche, personne ne l’aurait même remarqué. D’un autre côté, je pouvais utiliser ces sources comme base pour présenter quelque chose d’à peu près cohérent au rédacteur en chef et peut-être voir mon travail publié comme ceux des autres.

Ce fut sans grand enthousiasme que j’allai à la rencontre de mon superviseur. L’impression de tricher en copiant des articles qui ne venaient pas de moi ne faisait qu’empirer mon état d’esprit déjà précaire. Ce n’était même pas de la triche à proprement parler, j’avais juste pris quelques références. Au moment d’ouvrir la porte, m’attendant à entrer dans le bureau vide de tout visiteur comme mes venues me le montraient souvent, je vis avec surprise le maître des lieux en charmante compagnie.

Une jeune femme dont la beauté rayonnait jusqu’à éclipser la lumière claire du jour que diffusait un intense ciel bleu. Ses lèvres fines formaient un sourire contagieux de douceur. Ses cheveux dorés flamboyants caressaient ses joues rosées dont les mèches les plus longues chatouillaient ses épaules. Son allure professionnelle venait à la fois de sa posture droite et de son costume deux pièces masculin. Elle était vraiment très belle.

Je ne voulais pas interrompre leur entretien mais l’inconnue avait précédé ma réaction : « Tu peux rester, je n’en avais plus pour longtemps », dit-elle, puis, se retournant vers son interlocuteur « C’est elle la nouvelle ? Qui est son superviseur ? » questionna-t-elle. « C’est moi », dit-il succinctement. « Tu en as de la chance ! Alors tu es d’accord avec nous, tu rentres dans l’équipe ? » demanda-t-elle en posant les mains sur la table du bureau pour prévenir ainsi son départ et hâter la réponse. « De toute manière, c’est déjà décidé. Oui, d’accord, comme tu veux », concéda-t-il.

Satisfaite, la femme se leva conquérante et se dirigea vers l’entrée du bureau, ne manquant pas de laisser un geste de la main d’une particulière douceur à son occupant : « On se revoit ? » dit-elle d’un ton ambigu, moins comme une question et plus comme un ordre. Toujours sur le départ, à deux pas de franchir la porte, elle fit une dernière remarque avant de nous laisser tous les deux seuls : « Ne lui saute pas dessus tout de suite. »

La dernière image de cette blonde fut son costume deux pièces qui paraissait sur elle plus blanc que crème et dont les paroles troublantes me firent également l’effet d’une bourrasque de neige que notre rencontre en coup de vent ne faisait qu’accentuer ainsi que son sourire mystérieux. L’avertissement devait certainement s’adresser à mon superviseur dont je ne pouvais pas voir le regard, détourné vers les fenêtres. À moins qu’il ne m’était destiné ? Cela ne m’aurait pas étonnée que je donne cette impression. Il ne m’était pas un instant venu à l’esprit qu’il pouvait être dangereux.

Je devais me rendre compte de l’évidence, que le journaliste de légende que j’admirais tant restait avant tout un homme. Toutes ces fois où mon regard se fixait sur sa mine rebelle, que mon cœur devenait incontrôlable et que mon corps se figeait en sa présence m’indiquaient cela. Ce qui faisait de moi une proie plus que facile, et une fois tombée dans ses griffes, je n’aurais alors plus aucun moyen de me soustraire à son emprise. Sauf si c’était moi qui lui mettais la main dessus la première, mais il faudrait d’abord voir lequel de nous deux allait se jeter sur l’autre.

C’est ce que je remarquai pendant que nous restions silencieux dans ce bureau protecteur pendant de délicieuses minutes, moi, à délirer, lui, à évaluer mon travail, les yeux fuyants. « Qui étais-ce ? » demandai-je aussi bien pour briser l’ambiance taciturne que pour abandonner mes émotions délirantes. Il tourna légèrement la tête vers moi, ses yeux suivant le mouvement : « Lucie Bishop, notre directrice générale. » Le tout ne retarda l’inévitable que de quelques secondes.

Bien évidemment, j’essuyai encore un refus, et me faire encercler par la clique à Clara était clairement la pire façon de remettre de l’ordre dans mes idées. Je l’écoutais d’une oreille distraite mais mon travail ne s’en portait pas mieux pour autant. Telle une plante envahissante, la brune n’arrêtait pas de parler. Bientôt elle m’entraînerait dans ses plans dans lesquels je ne voulais rien avoir à faire, surtout aujourd’hui avec une blonde moqueuse à l’esprit. Une issue de sortie me vint alors en tête.

Au secours ! Elle est trop collante ! Aide-moi !

La réponse arriva dans l’heure, présageant déjà de ma soirée. Sans trop perturber ses plans, Lilo m’invita essayer une séance de sport gratuite à son club d’athlétisme, là où je serais en sa compagnie et pourrait me défouler s’il le fallait encore si mes ardeurs ne s’étaient pas dissipées avec la fraîcheur de la nuit.

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