Turquie

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J’étais sur un petit nuage et me sentais posséder une force puissante pour affronter mon destin, à tel point que je me réveillai une heure plus tôt d’excitation. J’avais déjà des articles à présenter, accumulés depuis quelques jours. Une rapide relecture suffirait tellement il y en avait. Il y en aurait forcément un qui serait bon.

Dans son bureau, le rédacteur en chef Nikola von Lorentz était assis sur le futon, concentré sur la télévision. Se trouvait diffusée une émission sur une chaîne d’information en continu à laquelle participait l’homme à la cravate rouge et au teint foncé :

« Nous allons leur faire payer, au gouvernement turc, au terroristes, tout le monde. D’ailleurs, quelle différence y a-t-il entre eux ? entendis-je celui-ci finir d’exposer.

— Bon, mais d’un autre côte, est-ce que vous n’avez pas une certaine responsabilité dans la mort de ce journaliste ? Il travaillait pour vous. Est-ce que vous n’auriez pas dû faire plus attention pour éviter ce drame ? Est-ce qu’il n’y a pas un peu une forme de négligence de votre part ?

— Non, affirma le ténébreux d’un air grave.

— Vraiment ? insinua le présentateur avant même la fin de la réponse.

— Mettez-vous bien ça dans la tête, Le Dernier n’a commis absolument aucune faute, peu importe vos fantasmes. Au contraire, nous sommes les victimes dans cette histoire. On vide un chargeur sur un journaliste à la sortie de son hôtel en Turquie et la seule réaction que cela provoque, c’est la haine contre nous. Et je trouve cela tout aussi bizarre qu’aucune rédaction en France n’ait jugé utile de s’en indigner. Pire, qu’il y ait des gens pour oser s’en réjouir. Ne sont-ils pas en quelque sorte complices de cet assassinat ? Dans ce pays on viole la loi comme on viole les femmes, impunément. Mais je veux dire ceci. Tôt ou tard, ils devront rendre des comptes.

— Bien, Garry Reus, rédacteur en chef au journal Le Dernier, merci d’avoir été avec nous, il est huit heures cinquante-neuf, merci de nous avoir suivis. »

Ces quelques instants avaient diffusé une tension comme celles que je déteste. La raison pour laquelle je ne regarde pas les informations, sauf très ponctuellement, lorsque je me laisse aller à la tentation d’un trop grand optimisme, ou si elles viennent du Dernier. Peut-être était-ce l’ambiance de l’émission qui m’avait rendue nauséeuse sur le moment, mais les mots de Garry ne voulaient pas me quitter. Il avait immensément plus d’expérience que moi et je ne pouvais pas le juger sur son travail. Sa remarque déplaisante, pourtant, me restait en travers comme pour bloquer des souvenirs aussi joyeux que sombres de mon adolescence.

« Je peux faire quelque chose pour toi ? » demanda mon superviseur de la phrase la plus longue qu’il m’avait réellement adressée à ce jour. « J’ai préparé des articles », répondis-je posant mon ordinateur sur le côté de son bureau. Nikola von Lorentz reprit alors sa place à son fauteuil et inspecta mes œuvres d’un calme rassurant. Il n’y avait plus le bourdonnement de la télévision. Seulement le silence de la pièce et l’agitation de mes pensées.

L’attente dura plus que d’habitude, proportionnellement à la quantité supplémentaire ainsi produite. Les yeux de mon idole balayaient les lignes de mots sans expression négative ni jugement d’aucune sorte. Rien qu’il m’était possible de déceler dans son aura mystérieuse. D’une certaine manière, cela me rassurait. Tant que je ne me faisais pas admonester pour mon incompétence ou autre chose, il restait encore l’espoir que ce pouvait être bien, que je pourrais m’améliorer, réussir un jour.

La réponse demeura aussi impitoyable que les précédentes avec cependant un impact moindre cette fois. L’attente plus longue m’y avait mieux préparée. J’étais déjà partie sur mes prochains sujets plus rapidement qu’il me fallut de temps pour soumettre les précédents articles. Je devais montrer mon dynamisme si je voulais me faire une place ici. La meilleure façon de prouver ma valeur était de me rendre indispensable auprès des autres. J’avais déjà ma première proie en tête. En tant qu’homme, Grégoire tomberait facilement dans le piège de quelques charmes féminins.

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