Chance

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Nous étions la mi-février, ce jour triste, ce malheureux jour. En fait, pas tout à fait. Je pouvais me réjouir un peu malgré la nouvelle que l’on comprenait rapidement avec les brassards noirs distribués à l’entrée du bâtiment et la photo d’un homme blond affichée à côté d’un cahier sur une table. Un mort. Je ne le connaissais pas. Son nom ne me disait rien. Il travaillait certainement pour le journal.

Il n’était encore que la moitié de la matinée lorsque Garry apparut, contrarié, entouré d’une petite foule de gens. Il avait l’air encore plus ravageur avec sa chemise blanche contrastant avec son teint sombre et dont la cravate bleu électrique complétait d’illuminer le visage ténébreux :

« Non mais attend, ils sont sérieux ? dit-il d’une voix forte et déterminée.

— Peut-être bien, mais qu’est-ce qu’on fait ? demanda Grégoire depuis la foule.

— Je ne veux pas le savoir, rétorqua Garry. Débrouillez-vous.

— Et comment on est censé leur répondre ? insista un autre.

— Déjà en arrêtant de couiner comme des souris, coupa-t-il net. Aurore ! Je dois aller dire deux mots à ces ordures. Il n’est pas là ?

— Tu le sais. »

Alors, il s’arrêta et reprit en apparence son souffle en s’installant près de nous, songeur. Ceux qui le suivaient quittèrent ensuite sa compagnie pour ne laisser que lui mais dont la réflexion occupait autant l’espace environnant. Puisqu’il ne regardait pas dans ma direction, je remarquai que ses cheveux foncés caressaient le col de sa chemise et sentis un léger frémissement en moi.

« Bonjour ! fit la voix puissante du président dont l’apparition soudaine me surpris.

— Bradley, répondit le ténébreux.

— Tu ne peux pas aller à Paris à vélo, tu sais ?

— Et à ton avis, pourquoi est-ce que je ne suis pas encore parti ?

— C’est triste ce qui lui est arrivé !

— Ça ne fait même pas six heures qu’il est mort et on a déjà tous ces ramassis d’idiots qui nous tombent dessus. Il travaillait pour Le Dernier, bon sang ! Et ils arrivent quand même à nous mettre ça sur le dos. Mais c’est vrai que ce ne sont pas des journalistes, eux. Ils pourraient dire combien cet acte abject est une attaque grave et immonde contre la liberté de la presse, que c’est une fois de plus la preuve d’un régime tyrannique et corrompus ou même que c’est une menace pour la France en ce que la menace terroriste s’en trouve renforcée. Mais non ! Le problème, c’est Le Dernier. Crétins. »

Alors que ses paroles fulminaient, son visage commençait à esquisser un sourire, et bientôt il dit ces choses horribles avec un rire qui m’était incompréhensible, insupportable et effrayant : « Il a de la chance de s’être fait tué. » Quelque chose se brisa en moi. Mon cœur battit plus fort, ma respiration devint pénible et je tremblai presque d’émotion. La presence de cet homme ne m’inspira plus que terreur et colère. Je quittai alors mon bureau à la recherche d’un peu de répit.

Son insensibilité, son inhumanité, je ne les comprenais, mais elles me faisaient mal. Moi qui, adolescente déjà, horripilait ces guerres, ces famines, la pauvreté, la violence trop présentes dans le monde. Cela me révoltait, mes larmes naissantes peinaient à le cacher. À cause de lui, je n’ai plus rien réussi à faire de la journée. J’étais trop anxieuse parce que ses paroles m’obsédaient.

Le soir venu, je ressentais la fatigue de l’événement. Quelques personnes du journal avaient organisé une rencontre au Belfast en mémoire du collègue décédé. Une façon de lui rendre hommage et faire tomber la pression même si je ne savais pas vraiment si j’y avais ma place. Bien sûr, Clara n’avait pas manqué l’occasion de s’amuser, ce que je trouvais déplacé de sa part. D’un autre côté, c’est bien elle qui m’a permis de revoir la femme aux cheveux rougis, Lilo.

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