Belfast

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Je ne me serais pas laissée emporter par l’enthousiasme de Clara si j’avais pu prévoir un tant soit peu qu’elle s’effondrerait avec le nombre de pintes de bières qu’elle s’était enfilées. Une vraie alcoolique, celle-là ! Son état n’aidant pas, elle était devenue même plus collante que ce que j’avais pu voir en seulement quelques heures. Elle se câlinait somnolente sur moi comme un chat qui se frotte à un arbre ou aux jambes de son maître.

Ma collègue éméchée ayant au moins conscience de son ivresse et de ne pouvoir rentrer seule, j’étais aussitôt devenue sa navette de retour. J’aurais certainement accepté de la raccompagner si seulement elle avait bien voulu me donner son adresse. Au lieu de ça, elle se servait de moi comme d’un coussin, anesthésiée par son taux d’alcoolémie. Je lui avais alors pris son téléphone, mais ne connaissant pas le code d’accès, il m’était aussi utile qu’éteint. L’hôtel restait la dernière solution.

Mais celle-ci ne m’enchantait guère. D’une part, je n’avais pas envie de payer une chambre à une alcoolique, encore moins à cette peste qui s’était laissée aller comme si de rien n’était. Mais je ne me sentais pas le cœur à l’abandonner. Ce joli brin de femme somnolait paisiblement auprès de moi, ouvrant de temps en temps ses petits yeux pour y laisser s’échapper un regard pétillant de tendresse. « Ramène-moi chez toi », dit-elle en se remuant comme un chaton.

Elle me faisait confiance. Moi, une inconnue, à peine une collègue, pas très douée en plus, ni même aussi charmante. J’étais piégée par son air attendrissant. J’allais la ramener : « Je crois qu’on devrait y aller », dis-je doucement à l’endormie, sans succès. Du coup, elle ne me laissait pas d’autre choix que d’utiliser la manière forte. « Ouste ! » lui fis-je en la tirant hors de la table, ce qui réussit un peu à la réveiller.

Pendant tout notre périple, que ce soit à pied ou en marchant, la jeune femme s’était collée à moi comme une chauve-souris accrochée à une branche. Mais d’une certaine façon, cela ne me dérangeait pas vraiment. Je pouvais sentir la chaleur de son corps et la douceur de ses mains qui me serraient fort contre elle. C’était une agréable sensation, comme si je retournais quelques années en arrière dans mon adolescence.

Il était à peine dix heures lorsque nous arrivâmes enfin dans mon appartement. Je déposai alors doucement Clara dans mon lit, enlevai sa veste et ses bottes en cuir. Elle s’endormit aussitôt. La vue de cette femme enivrée tellement vulnérable à ce moment créa en moi une certaine chaleur que j’eus du mal à réprimer. « Belle conquête », pensai-je en la voyant. Non, je ne devais pas penser à cela. Je n’avais fait que la raccompagner chez moi parce qu’elle était trop saoule pour le faire elle-même. Je n’avais pas d'arrière-pensées maveillantes.

D’ailleurs, nous n’allions pas partager le même lit. Hors de question de le faire. Je n’avais plus qu’à me sacrifier en prenant le canapé. La journée avait été tellement éprouvante que je m’étais rapidement endormie cette nuit-là. Mais le lendemain, mon sommeil réparateur avait un goût étrange. Je remarquai que mon appartement était inhabituellement éclairé et que j’étais décidemment plus en forme que mes précédentes nuits. D’ailleurs, je n’avais pas entendu mon réveil.

Mon réveil ! Je me précipitai alors sur mon téléphone pour vérifier l’heure et celui-ci confirma mes inquiétudes. Il était neuf heures passées. J’étais terriblement en retard. Fonçant droit vers ma chambre, je me souvins que je logeais quelqu’un. Ce quelqu’un qui avait bien profité de mon hospitalité à en voir la silhouette dénudée de celle-ci qui exhibait la dentelle de ses sous-vêtements roses. Décidément, elle ne se gênait pas pour prendre ses aises ! Si seulement... Non !

« Réveille-toi ! » dis-je en la secouant amicalement, d'abord. « S’il te plaît, laisse-moi dormir encore un petit peu », gémit-elle comme seule réponse. Et puis quoi encore ? « Dégage de mon lit ! Je dois aller au travail et je suis déjà en retard ! » fustigeai-je, avant de comprendre que je ferai mieux de m’habiller avant de me débarrasser d’elle, peut-être la jeter dans le Rhin. Les premiers habits tombés sous la main et un coup d’eau rapide au visage plus tard, Clara était toujours loin d’être prête. Je n’étais pas sa mère à la fin ! Au moins n’était-elle plus endormie.

« Est-ce que tu peux me prêter des habits ? » demanda-t-elle en me faisant les gros yeux. Par chance, nous faisions à peu près la même taille et sa séance d’habillage ne dura pas excessivement longtemps. Mais qu’est-ce qu’elle était insupportable ! Je n’avais pas tout mon temps, moi ! Et à cause d’elle, ma journée commençait mal et je n’étais même pas partie.

Plus de deux heures de retard avaient ainsi achevé ma terrible première expérience avec Clara. Mon humeur était pitoyable, moi qui détestais être en retard et qui me présentais toujours ponctuelle aux rendez-vous. Je craignais encore plus que tout de me faire réprimander pour mon comportement, ce qui s’est fait sentir sur mon travail.

Profil bas, je ne demandais que des articles mineurs à revoir et corriger pour ne pas me faire remarquer. Mais la journée passant, aucun responsable n’était venu pour me faire la leçon. D’abord rassurée, l’idée que mon travail pouvait compter si peu qu’il ne valait même pas la peine que quelqu'un s'en aperçoive finit de me plonger dans la déprime.

Lorsque le soir arriva, je reçus la mauvaise surprise de voir Clara arriver pour me parler : « Est-ce que tu es libre ce soir ? On pourrait aller au Belfast toutes les deux ! » dit-elle heureuse comme si elle n’avait jamais perdu son énergie, comme si elle ne s’était jamais affalée dans mon lit toute la nuit dernière. « Ça ne t’a pas suffi la cuite d’hier ? » pestai-je intérieurement. « C’est la dernière chose que j’ai envie d’entendre venant de toi », dis-je carrément.

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