Grégoire

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Ce que j’aimais chez Aurore, sur le plan professionnel, c’étaient ses indications claires et précises, ses consignes détaillées, sa voix douce et légère. J’avais la chance de partager mon temps avec cette femme exceptionnelle. Tout le monde semblait se l’arracher. Elle me faisait sentir spéciale et avait toute mon attention.

Un jour, un peu plus accoutumée aux habitudes du journal, grâce aux conseils bien avisés d’Aurore, j’avais fini par être plus détendue et travailler plus efficacement. Mais toujours avec la fougue de la jeunesse et la naïveté qui va avec. Je ne faisait qu'ajouter des notes aux travaux des autres plus que je n'arrivais à me concentrer sur le mien.

Je pensais enfin pouvoir faire réellement mes débuts de journaliste avec mon premier article qui tardait toujours plus à venir. J'hésitais à le proposer à ma superviseuse, entre deux prétendants, lorsque je ne lui serais d’aucune gêne. Mais un visage peu familier en partie caché par des lunettes de soleil attira l’attention de la belle et me coupa dans mon élan.

L'homme était de grande taille et avait la peau mate. Ses cheveux noirs coiffés en arrière accentuaient son air furieux et des gants de cycliste lui donnaient un air intimidant de boxeur. Ce qui ne semblait pas déranger Aurore :

« Tu es en retard, lui dit-elle.

— Je ne veux pas le savoir, répondit le ténébreux. Ce n’est pas un blizzard à la noix qui va m’empêcher de faire mon travail, contrairement au Figaro.

— Je te présente Eleanor.

— Ta nouvelle souris ? Félicitations. »

Suite à ses sarcasmes, il nous ignora et s’installa près de nous avec sa propre charge de travail, le regard dur. Je l’avais déjà vu quelque part, j’en étais certaine, mais je n’arrivais pas à mettre un nom sur son visage. Il n’était pas comme les autres. Aurore ne lui avait pas fait tourner la tête et il n’était pas non plus tombé à ses pieds. Est-ce qu’il préférait les hommes ? Ce qui ne suffisait pas à expliquer son incompréhensible indifférence à son égard.

Cela m'arrangeait bien. J’avais ainsi Aurore pour moi toute seule et pouvais me baigner dans son regard autant que je le désirais. Mais la présence inquiétante de cet homme vêtu de noir à côté de nous calmait mes ardeurs. J’en avais peut-être besoin pour me reconcentrer sur mes articles et me reprendre en main.

Plus tard dans la matinée, un autre collègue, que j’avais l’habitude de voir tourner autour de nous, se présenta à son ami le ténébreux :

« Tu es rentré ! lança l'intrus aux cheveux brun clair.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Je voulais juste te souhaiter une bonne année.

— Arrête de couiner comme souris et va travailler. »

Sur ce, le collègue regagna simplement son poste de travail. Mais, pris d’un doute soudain, le boxeur entreprit d'obtenir une réponse à ses interrogations :

« Attends, il vient d’arriver ? demanda-t-il à Aurore qui confirma son doute. Grégoire ! J’ai fait trente kilomètres à vélo, il neige et tu arrives après moi ! Explique-moi un peu ça !

— Je veux bien, mais si je te le dis, tu vas t’énerver.

— Je suis déjà énervé !

— Tu vois ? »

Devant tant de pitreries, l'homme aux cheveux noirs laissa tomber. Il prit ses affaires et disparut derrière la porte de ce qui devait être son bureau personnel. Moi-même effarée par la scène, j’aurais fait pareil à sa place. Ce jour-là, je pus mettre un nom sur le visage de ce farceur : Grégoire. J’étais loin d’imaginer que je partagerais autant de moments aussi profonds avec lui.

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