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Je relève la tête avec espoir mais à la place de ma charmante petite amie se trouve une femme d'une cinquantaine d'années. Tirée à quatre épingles, le visage froid et sévère, la parfaite bourgeoise me dévisage sans une once de sympathie. J'espère qu'elle s'est trompée de chambre ! Toujours sans un mot, elle s'installe sur la chaise et sa voix tranchante agit sur moi comme une craie sur un tableau :

– Eh bien ? Tu ne me salues pas ?

– On se connaît ?

– Allons, Carolina. Cesse donc ces enfantillages.

– Euh, non. Moi, c'est Jordan.

– Je t'ai déjà dit de cesser de te faire appeler ainsi. C'est ridicule. D'abord, c'est un prénom de garçon, ensuite ton nom de baptême n'est pas négociable.

– Je préfère Jordan.

– Non, tu ne préfères pas. C'est encore une idée perverse de ta traînée et je ne te permets pas de me contredire.

– Ma quoi ?

– Ta traînée ! La petite garce avec qui tu vis et qui te pervertit jour après jour. Mais c'est fini tout ça, je te reprends en main dès que tu sors d'ici.

La colère, cette fois, m'envahit toute entière et je ne me sens plus du tout fatiguée. L'adrénaline a balayé les dernières brumes de mon cerveau et je remets sans plus tarder la mégère non apprivoisée à sa place :

– Je ne vous permets pas d'insulter ma petite amie. Vous vous prenez pour qui, à la fin ?

Elle me regarde, excédée et lâche avec une dignité surjouée :

– Je suis ta mère.

Non. En fait, je dors et je suis en train de rêver. Je ne la connais pas. J'ai beau la regarder, je ne ressens rien. Rien d'autre que de la colère et du dégoût. Elle insiste :

– Bien. Je vais prendre les dispositions pour faire récupérer tes affaires.

– Juste une question : j'ai quel âge ?

– Vingt-deux ans. Pourquoi ?

– J'ai cru un instant que j'étais mineur. Qui que vous soyez, vous n'avez aucun droit sur moi. Si vous touchez à quoi que ce soit qui m'appartient, je porte plainte. Et je vous prie de respecter ma petite amie... ou de passer la porte !

– Ne fais pas l'idiote ! Si je passe cette porte, je te déshérite et tu ne me reverras plus.

– Bon vent, en ce cas.

Elle me regarde incrédule, puis reprend son air supérieur :

– Quand tu auras retrouvé ta tête, tu auras intérêt à t'excuser dans les formes, jeune fille. En attendant, inutile de m'adresser la parole.

Une sortie théâtrale plus loin, je sens la colère redescendre et une certaine sérénité m'envahir. Comme un poids qui me quitte. Ça fait du bien, tout à coup. Ma mère ? Non, mais sérieusement. Je n'ai rien à faire avec une femme pareille. Je ne sais pas grand-chose mais ça, j'en suis sûre. Quelque part, je devrais sans doute me sentir mal ou coupable. Mais, force est de constater que ce n'est pas le cas.

La porte s'ouvre lentement et Angelina passe la tête par l'encadrement. Je lui souris, elle semble tendue :

– Tu n'entres pas ?

– Si, si. Comment tu vas ?

– Bien. Tu es revenue vite. Tout va bien.

– Oui, je crois.

– Tu crois ?

– Je... J'ai croisé ta maman.

– Ah...

– Elle avait l'air furieuse. Mais ne t'inquiète pas, elle ne m'a pas vue.

Je la regarde et j'ai comme un doute :

– C'est à cause d'elle que tu es partie ?

Elle rougit furieusement et ajoute :

– Elle ne m'aime pas. Il valait mieux que je ne sois pas là. Comment ça s'est passé ?

– Je l'ai virée.

– Quoi ?

Elle semble paniquée tout à coup. Elle est toute blanche et elle déglutit péniblement :

– Tu devrais la rappeler. Mais pourquoi tu as fait ça ?

– Certainement pas.

– Je sais que tu as perdu la mémoire mais il faut que je te dise...

– Quoi ?

– Ta mère, c'est tout pour toi. Tu fais tout en fonction d'elle et pour elle. Pour qu'elle soit fière de toi et qu'elle t'aime.

– Sérieusement ?

– Oui.

Elle fond en larmes. Je me lève péniblement et je la prends dans mes bras. Elle s'accroche avec ce qui ressemble furieusement à du désespoir.

– Calme-toi, ma belle. Je ne pense pas que tu portes un amour immodéré à cette mégère. Alors, explique-moi.

– Tu vas me détester pour ça, Jordan. Quand tu auras recouvré ta mémoire, tu m'en voudras, je le sais.

– Bien sûr que non. Il paraît que j'ai vingt-deux ans. J'ai l'âge de vivre sans ma mère, non ?

Ses sanglots s'apaisent petit à petit mais je ne la sens pas complètement rassurée.

– En plus, elle m'appelle Carolina. Je déteste ce prénom.

– Et, elle déteste Jordan.

Nous sourions ensemble et elle semble retrouver un peu de sérénité. Je ne lui dirais pas ce que ma mère pense d'elle. Mais quelque part, je crois qu'elle le sait. Et cela me fend le cœur. Elle ne mérite pas ça.

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