15}B E R T R A N D B E R T R A N D B E R T R A N D B E R T R A N D B E R T R A N D B E R T R A N D B E R T R A N D B E R T R A N D B E R T R A N D B E R T R A N D P A R A D I S B E R T R A N D B E R T R A N D B E R T R A N D B E R T R A N D

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 La torture s’éternisait. Il avait arraché mes menottes et brisé méticuleusement chacun des os de mon bras droit tout en proférant des insanités. Je posais des questions au début, pour essayer de savoir, de comprendre, mais plus maintenant. Je n’en ai plus la force, ni l’envie. Peu importe pourquoi ça m’arrivait, ça m’arrivait et puis c’est tout. Je ne pouvais rien y faire. Après tout, c’est peut-être juste un fou psychopathe, ou peut-être réellement une engeance démoniaque, qu’est-ce que ça change à ma situation ?

 Le fœtus malfaisant ne se contentait pas de ma douleur, il avait également en lui un besoin de se confier. Il m’avait révélée tous ses crimes, tous ses meurtres, toute son existence lamentable, toutes les fois où il est mort, puis revenu à la vie, et toutes ses pensées sombres. Elles avaient pénétré en moi comme du poison. Je m'en sens intérieurement sale et corrompue. Il détruit mon corps en même temps que mon esprit. Quand je perdais conscience, il arrêtait un instant les coups de marteau pour que je puisse l’écouter attentivement.

 Une lumière surnaturelle se présente à moi. Elle emplit de plus en plus mon champ de vision. Je vois des silhouettes se former. Je les rejoins. Au premier plan, mon père et ma mère ; derrière eux, un médecin ; et plus loin encore, des centaines, des milliers, des millions de personnes, des proches, des connaissances, des inconnus, des victimes de Bertrand…

 « On n’a pas fait le bon choix » déclarent à l’unisson les trois âmes les plus proches. Je me sens alors tomber, tomber, tomber…

 Soudain, j’entends autre chose que la voix immonde et le martellement percutant mon squelette. Autre chose que le bourdonnement qui persécute mes oreilles. C’est un vrombissement de voiture.

 La lumière a disparu, les morts aussi. Je remarque alors qu’on est au petit matin. Du ciel écarlate émane des rayons vermeils qui découpe grossièrement le contour du lithopédion. Celui-ci se lève et proclame, en se léchant les lèvres :

— On dirait qu’on a de la visite !

 Le rejeton se dirige vers la porte d’entrée. Je pense à m’ôter la vie immédiatement. Le supplice a assez duré. Je me mets en position pour ramper jusqu’au couteau laissé par terre à quelques pas d’ici. J’attends que le bambin vipérin disparaisse de mon champ de vision pour m’élancer. Je vois son tuyau graisseux se balancer tel un pendule à chacun de ses pas. C’est alors que je comprends ; il s’agit de son cordon ombilical. N’ayant jamais réellement grandi, son cordon ne s’est jamais détaché…

 Je me jette à plat ventre sur le carrelage. La douleur est immense mais je dois continuer. Je ne peux compter que sur mon bras valide et mon torse pour avancer. Je me tortille frénétiquement. Je pense que je progresse, que le couteau se rapproche, mais j’ignore si ce n’est qu’une impression. Il y a l’air de se passer beaucoup de choses dehors, je ne sais juste pas quoi. Et je m’en fous.

 Le manche est presque à ma portée. Je sens son bout frôler mes doigts. Mon cœur saute un battement quand le démon sanglant fait son apparition dans le cadran de la porte.

— Eh ben alors, qu’est-ce que t’essaye de faire là ?

 Il glousse sardoniquement et s’avance sans se presser. Sa trop haute confiance en lui me permet de me saisir du couteau.

— C’est pas vrai ? Tu comptes déjà me quitter ?

 Je visualise alors la lame pénétrant dans mon cou. Mais je n’arrive pas à concrétiser cette image. J’en suis incapable, encore maintenant, alors que la vie n’a plus rien à m’apporter qu’une souffrance immense et certaine. Quelque chose de biologique me raccroche à la vie, en toutes circonstances. Mon corps refuse de mourir, il tenterait tout pour éloigner la mort même s’il ne me restait plus qu’une dizaine de secondes à vivre…

— Allez, rends-moi ça.

 Il est tout proche maintenant. Il s’abaisse, tend sa main vers le couteau. Un instinct, une pulsion. Mon épaule fait un cercle. Je ne sais pas quelle force est venue dans ce coup, juste que toute mon énergie était dedans. Un cri. Le cordon tombe au sol.

— Pourquoi t’as fais ça, Janette ? Ma propre sœur…

 Mon jumeau mort-né flanche. Il me regarde tristement dans les yeux tandis qu’un nuage de poussière se dégage de lui. Ses traits se modifient, ses cicatrices s’estompent. Il a maintenant l’air d’avoir la trentaine. Il rajeunit encore, toutes ses rides ont disparu, tous ses muscles sont revenus. Vingt ans. Un beau jeune homme. Quinze. Un adolescent plein d’ambition. Dix. Un enfant promu à un grand avenir. Cinq. Un tout petit garçon prêt à explorer la beauté du monde. Quatre. Trois. Deux. Un. Plus qu’un bébé fragile. Si fragile. Précieux. Si précieux. Un nourrisson. À peine arrivé sur Terre. L’ultime cicatrice, sur son front, s’efface progressivement. Elle disparaît, Bertrand n’est plus qu’un atome.

Mes yeux se voilent.


 À mon réveil, je me retrouve allongée dans une pièce toute blanche. Je suis recouverte de bandelettes, des tuyaux rentrent dans mon corps de tous les côtés. Je me rendors.

 Les heures défilent. Les jours passent sans que je ne le sache. Je dors tout le temps. J’ai parfois de la visite. Des infirmières, des docteurs, tous très sympathiques. J’ai revu à mon chevet mon ex-mari, choqué. Il me raconte qu’on lui a dit tout ce qu’il m’est arrivé, qu’il sera là pour moi. Des vieux amis font le déplacement pour me soutenir, pour me faire la causette, mais j’ai du mal à parler. Du mal à penser. Mais je suis heureuse de les voir, de les entendre, de discuter un peu. De la famille éloignée vient me voir aussi. Ça faisait si longtemps. Je me sens tellement contente dans ces moments-là. Je ne sais plus ce qui est un rêve ou ce qui est la réalité. Je sais cependant qu’on vient me voir, qu’on me témoigne de l’amour. Je ne pourrais me sentir plus comblée. C’est grâce à Bertrand, tout ça. Je peux revoir des gens. Cet hôpital m’empêche de bouger, mais je vois des gens. Et puis c’est pas comme si je bougeais quand je le pouvais encore. Non, là, même pas besoin. C’est le paradis.

 Bercée sur mon petit nuage de plaisir, je me sens grimper aux cieux. Deux personnes m’accueillent chaleureusement.

 « On a fait le bon choix. On est fiers de toi. »

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