Ce que tu n’as pas commis

de Image de profil de Cirya6Cirya6

   En soit, il ne se sentait pas tellement concerné par le démon. Il n’en avait pas grand chose à faire.

Amalie n’était pas spéciale. Elle avait simplement été la première à le faire voir par-delà les murs de la Haute Cité. Elle était celle qui, sans vraiment l’expliquer, l’avait éloigné de son devoir, de ses responsabilités. L’entraînant toujours plus loin dans ce qu’elle appelait ‘’La vraie vie’’, elle l’a mis dans la panade, et plus d’une fois. Il avait peur d’être associé à ce démon trop vivant pour les immortels, peur de finir par être rejeté, renier, mis au pied pour son mauvais comportement. Elle parlait de choses dont personne n’avait ne serait-ce qu’évoqué l’existence, des choses comme ‘le fun’’, ‘les flemmes’ ou encore ‘les bonheurs’. Ces choses, étaient des choses humaines.

Du moins, c’est ce qu’il pensait.

Ce qu’il savait en revanche, et ce mieux que personne, c’était qu’Amalie était loin, très loin d’être mauvaise. Démon de sang certes, mais bien au-dessus de certains Anges.

C’était pourquoi il se devait de la sortir de là.

Le garde à l’entrée de la prison, le laissa y pénétrer sans plus de questions. En même temps, son rang au sein de la communauté en faisait quelqu’un de relativement important, en trahissaient ses ailes plus grandes, plus fortes, et son bien plus élégante que celle des autres Anges.

De plus, il allait sans dire que le ‘pain frais’’ qu’il lui avait offert allait dans son sens - quel garde normalement constitué ne se méfirait pas d’une miche de pain si bravement offerte ? Tous les Anges ne sont pas de parfaits servants de l’angélisme.

En tout état de cause, le somnifère commençait sans doute à faire effet lorsqu’il commença à avancer dans les dédales de couloirs obscurs de la prison.

Son auréole parvenait à éclairer un certain périmètre autour de lui mais, il ne progresserait jamais assez rapidement en se reposant uniquement sur cette dernière. Alors, il laissa sa main courir le long du mur humide, à la recherche d’un interrupteur. Il savait que les Démons par nature, voyaient mieux dans le noir, et que les éblouir en allumant la lumière des couloirs leur causerait étourdissement et douleur. Cependant, à la seule lumière de son auréole, il ne percevait rien d’autre que l’obscurité dans les cellules. Il ne pourrait pas la retrouver ainsi.

C’est pourquoi il alluma la lumière. Presque aussitôt, une vague de gémissement de douleur lui parvint, serra légèrement son cœur.

Ce ne sont que des Démons, pensa t-il cependant en poursuivant sa progression.

Il devait trouver Amalie, et il devait la trouver rapidement. Il ne possédait que très peu de temps : sa mère devait déjà être au fait de sa disparition, et le pain offert au garde ne tarderait pas à perdre de son effet.

Son avancée se faisait sous les regards méfiants, méprisant des détenus. Tous le fixaient sans mot dire, haine et effroi tapis dans leurs yeux. D’autres Anges, d’autres gardiens moins influent que celui de la grande entrée, le regardaient également, avec un certain dédain. Qu’est-ce qu’un Ange de son rang venait-il faire dans la prison de la Haute Citée ? Eux aussi le méprisaient, mais pas pour les même raisons.

Il cherchait, jetait des regards partout autour de lui, manqua appeler Amalie. Cependant, il se retint car, pour peu qu’un autre détenu la connaisse, il pourrait prendre son apparence. Ou pire, Amalie elle-même pourrait changer d’apparence, afin qu’il ne la retrouve pas. Car, il allait sans dire qu’elle serait contre le pourquoi de sa visite, et que s’il était possible de lui échapper, elle saisirait sa chance.

Amalie devait accepter la chance qu’il lui offrait.

Sur son passage, certains Démons suppliaient sa pitié, tandis que d’autre crachaient en se couvrant toujours les yeux. Entassés dans leurs cellules minuscules, ce spectacle lui serrait le ventre. C’est ainsi qu’il retrouva Amalie, pauvre créature prostrée dans un coin de sa cellule humide, la tête entre les genoux. Ses cheveux avaient poussés depuis deux mois, elle avait aussi énormément maigri.

Malone s’arrêta devant la cellule, et hésita un bref instant. Il se racla la gorge, sentit une boule se former au creux de celle-ci. Il n’avait pas le temps d’être émotif bon sang, le temps lui était compté.

Du bout des doits, il tapota les barrots de la cellule. Presque aussitôt, Amalie releva la tête, lasse, pour écarquiller les yeux à sa simple vue. Son corps se tendit, ses épaules se voûtèrent. Presque invisible dans la blouse sale et trop large qu’elle portait comme un fardeau, elle ne parla pas immédiatement.

— Malone ?

Sa voix était rauque, enrouée, comme si elle ne l’avait plus utilisée depuis qu’ils l’avaient jetée dans cette cellule. Ses lèvres en s’étirant, se craquelèrent, trop sèches pour résister à la torsion soudaine. Elle sourit t cependant, oui, comme Malone l’avait toujours vu.

Elle agita lentement son corps meurtri et maigre, ses ailes battant fébrilement l’air dans son dos. Elle faisait peine à voir. Bien sûr, Malone ne s’était jamais fait de fausses idées sur le traitement réservé aux Démons emprisonnés dans ces cellules, mais il ne pouvait cautionner qu’un tel traitement ait été réservé à Amalie.

Lentement, il extirpa une clef de sa poche. L’objet du délit, la preuve de sa trahison. Volée le matin-même sur le bureau de son père, elle représentait à elle seule, la liberté où la mort.

Il devait faire vite, les utiliser avant que les autres prisonniers ne se rendent compte de la manœuvre. S’ils le démasquaient, nul doute qu’ils hurleraient pour attirer l’attention des gardes.

Il n’avait besoin que de cinq minutes, pas plus. C’était amplement suffisant pour sortir Amalie de ce trou à rat, et courir à travers bois, rejoindre le véhicule qu’il avait caché une semaine auparavant, dans la clairière près de la rivière. Une fois là-bas, il ne leur resterait qu’à partir, rouler en direction de la ville voisine, pour ensuite prendre un bateau, traverser l’océan, et se faire oublier. Bien sûr, ils seraient poursuivis, il en était certain mais, ils parviendrait à être plus rapides. Il était entraîné, et Amalie était sportive, ils n’auraient aucun mal à rejoindre un lieu sur.

— Non, souffla Amalie.

Le cœur de Malone s’arrêta de battre un bref instant. Il ne se souciait pas tant du sort du Démon alors pourquoi ce vif éclat de douleur dans sa poitrine ?

— Viens avec moi, murmura t-il.

Il se rapprocha des barrots, les empoigna, et pressa son nez contre le métal froid. Son cœur tambourinait dans sa poitrine trop étroite, il avait le tournis. Elle n’avait rien fait, la mort n’était pas la solution, elle ne l’avait jamais été, surtout pas pour Amalie.

— Viens avec moi, j’ai... j’ai prévu de quoi fuir, un véhicule avec assez d’eau et de nourriture pour réussir à quitter la ville. J’ai...

— J’ai dis non, Malone, répéta Amalie.

Ses yeux sombres fixaient le jeune homme en face d’elle. La lumière crue du couloir laissaient apparaître ses cernes noires, proéminentes, quelques bleus le long de sa mâchoire.

Les gardes maltraitaient les prisonniers.

Malone sentit sa bouche s’assécher, son visage rougir de colère.

— Ce n’est pas un test Amalie bon sang, croassa t-il. On a pas le temps, on doit partir maintenant.

Une vague glacée le submergea, tandis que contre la serrure, la clef ne parvenait pas à trouver le trou. Elle claquait contre le métal dans un minuscule bruit sec qui tétanisait Malone. Ses mains tremblaient trop.

Soudain, une main recouvrit la sienne, fine et osseuse. Malone réalisa alors à quel point, il devait avoir l’air stupide, à trembler comme un simple humain atteint de peur, comme un simple mortel tétanisé par la panique. Les mains de Amalie, douces et chaudes sur les siennes, le surprirent. Elle ne le touchait jamais d’habitude.

D’habitude, il ne la laissait pas le toucher.

— Non, répéta Amalie, doucement.

Malone se figea. Comme osait-elle, lui refuser cette chance qu’il lui offrait ? Après tout ce qu’ils avaient traversé, tout le mal qu’il s’était donné pour arriver jusqu’ici, après...

— Tu es innocente, grinça t-il sans la regarder.

Son regard était rivé sur les mains du Démon, resserrées sur les siennes, tremblantes. Il ne pouvait défaire son regard de cette peau trop pâle, de ces os trop voyant.

— Tu es innocente.

Des larmes menaçaient de déborder au coin de ses yeux, il se détestait pour ça.

— La Cour n’est pas de ton avis. Quelqu’un doit payer Malone, répondit-elle calmement.

Malone se mordit la joue, fort. Il ferma les yeux à s’en faire mal, ravala sa salive, ravala un flot d’insulte, un flot de haine pour lequel il n’avait pas le luxe d’accorder du temps.

— Tu n’as pas fais ça, je le sais. Si tu n’était pas un Démon ils... ils ne t’auraient pas enfermée ici.

Jamais Malone n’aurait un jour pensé entendre ces mots sortir de sa propre bouche. Jamais il n’aurait un jour pensé admettre son amitié avec Amalie.

Les Anges et les Démons, ne se mélangeaient pas. La règle était immuable. Après tout, la croyance voulait que l’Ange soit bon, courageux, et honnête, tandis que le Démon, le stupide Démon, n’était qu’un poids. Mauvais pour lui-même et mauvais pour l’Humain, dont il ne comprenait de toute manière pas la complexité de l’existence.

Malone pensait ainsi, avant. Et, il avait toujours du mal à admettre que dans une majorité de cas, cette croyance s’avérait fondée. Mais pas Ama. Elle, était intelligente, loyale et bonne. Elle était un Démon qui pouvait aller loin.

Elle aurait pu l’être.

— Malone, murmura doucement Amalie.

Il gronda, et donna un léger coup dans les barrots, ces stupides barrots répugnants derrière lesquels Amalie se trouvait. À quelques centimètres de lui, si proche et pourtant si loin.

Il se mordit la joue encore un peu plus fort, lorsque les mains de Amalie serrèrent les siennes.

— Malone, ça va aller. Tu sais, j’ai vécu une bonne vie. Avec toi. Je suis heureuse, vraiment. Passer toutes ces années avec toi m’a beaucoup apporté, crois-moi.

Il ne voulait pas entendre ça. Ses mains serrèrent un peu plus fort les barrots, ses dents grincèrent, tandis qu’il baissait la tête. Il tenta à nouveau de rentrer la clef dans la serrure, n’y parvint pas, se heurta à l’atroce réalité de sa situation lorsque doucement, Amalie lui demanda de la regarder. Ce qu’il fit, le cœur brisé, trahi.

Elle avait le regard infiniment doux, le sourire aux lèvres. Une larme, une seule, s'échappa de son œil, et roula jusqu’à son menton, tandis que Malone lui, fondit en larmes. Incontrôlables, elles dévalèrent ses joues comme un rideau de pluie, vinrent s’échouer sur ses mains entremêlées à celles du Démon.

— Je t’en supplie.

Et il n’avait pas l’habitude de supplier. Amalie le savait, c’est pourquoi un frisson la parcourut, léger, mais perceptible. Malone était effondré face à elle, et elle ne pouvait rein y faire. Le laisser ouvrir sa cellule, était prendre le risque de le voir sacrifié à son tour et ça, elle ne pouvait le concevoir.

— Je pensais ne jamais te revoir, souffla t-elle. C’est bête. J’ai repensé à cette dernière image que tu aurais eu de moi, ou plutôt... cette fausse image, que tu aurais eu de moi, et ça m’a brisée. Parce que, les choses auraient pu être différents, j’en suis certaine. Si on avait été plus vieux, si... si on était mieux nés, si... tout aurait pu être différent.

Malone gémit. Pourquoi n’avait-il jamais réellement profité du temps qu’il passait avec elle ? Pourquoi ne jamais avoir osé lui dire à quel point il la trouvait formidable, et à quel point son sang ne le répugnait pas ?

Un jour, il s’était interrogé sur la nature de son sentiment pour le Démon. Il la laissait toujours faire ce qu’elle voulait, et ce malgré les lois et la bien-pensance, il lui accordait toujours son pardon. Il la suivait dans ses fous rires et ses écarts, les yeux fermés, funambuliste sans filet. Il aimait la regarder s’interroger sur le monde des Humains, sur comment ils pourraient y vivre, un jour, et ce malgré l’interdiction formelle de la Haute Cité de ne serait-ce que penser rejoindre les Mortels.

— Un jour, reprit-elle, j’ai imaginé finir ma vie avec toi. Je me suis sentis si... égoïste. Parce que, tu mérites tellement mieux. Tellement plus. Alors, peut-être que c’est mieux comme ça. Je n’aurais pas supporté de vivre en te privant de voler, ça aurait été bête hein, pour un Ange ?

Tu n’as pas le droit de dire des horreurs pareilles, pensa t-il en tremblant.

— Je suis là, ça devrait pourtant te prouver le contraire. Te prouver que je veux... que j’exige que tu viennes avec moi !

— C’est le truc. Pour une fois, je sais quelque chose que toi, tu ne sais pas, ou ne veux pas t’avouer.

Ne le dis pas, songea t-il tremblant, par pitié, ne dis rien.

— Tu m’aimes Malone. Et c’est ok, je t’aime aussi. Mais, je sais aussi et surtout que m’aimer, n’est pas la bonne chose à faire. Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux pour toi et...

— Parce que te laisser mourir et la bonne chose à faire pour moi peut-être ? persifla t-il.

Amalie sourit.

— Peu importe ce que tu en penses Malone, je sais que c’est la meilleure chose à faire, pour toi et pour moi. Je vais mourir, c’est un fait, mais.... je suis ok avec ça. Je veux dire, on sait tous les deux que lutter contre le destin, ça sert à rien.

Malone se statufia, encore. Comment Amalie sait-elle lui balancer ce genre de chose à la figure ? Comment pouvait-elle affirmer être d’accord avec le fait de mourir, pour la bonne cause ? Elle avait perdu l’esprit. Il ne pouvait le cautionner, ne pouvait même y penser. Un monde sans Amalie, c’est un monde mort. Il s’en fichait des codes et des lois, de toutes ces putains de chose qui n’avaient aucune importance, tant que Amalie était en vie, à ses côtés.

Elle ne pouvait pas mourir. Pas là, pas maintenant.

— Eh bien moi je ne suis pas d’accord ! tonna t-il.

Il frappa les barrots avec une force qu’il ne se connaissait pas, laissant exploser un son lourd et retentissant dans toute la prison. Amalie serra ses mains plus fort, les caressa mais surtout, y serra bien la clef que Malone s’était évertué à enfoncer dans la serrure.

Les gardes ne devaient pas la voir, ils ne devaient pas saisir le pourquoi de la venue de l’Ange.

— Hé ! brama un garde. Il se passe quoi ici ?

— Malone écoute-moi. Juste... ne viens pas à l’exécution. C’est ma seule demande, d’accord ?

Et, sans lui laisser le temps de répondre, elle l’attira un peu plus contre les barrots, et déposa un baiser contre ses lèvres. Malone tressaillit, avant de saisir le goût, la douceur et la perfection de l’échange, avant d’être brutalement repoussé par Amalie. Sous l’impulsion, il trébucha et tomba à la renverse, se retrouva au sol. Un garde en le dépassant, lui jeta un regard inquiet, avant de s’arrêter face à Amalie.

Et, Malone crut mourir. Droite, l’air fier, elle tenait dans sa main la clef, la fameuse clef, qu’il s’était entêté à vouloir rentrer dans la serrure. Elle l’exhibait, sous le nez du garde, un sourire aux lèvres.

— Toi !

Le garde hurla et, sans vraiment comprendre, Malone regarda une foule de garde armés accourir, l’un d’eux le releva, lui demanda comment il se sentait.

— J’ai vu cet animal agresser ce pauvre garçon, grogna le garde. Tout ça pour lui subtiliser ceci ! Il n’y a plus rien que nous ne puissions faire pour récupérer ce cas, ça suffit.

Le garde qui l’avait relevé, entraîné Malone, en lui agrippant fermement le bras.

— Elle sera exécutée ce soir !

Son cœur se rompit à nouveau. Dans son dos, le garde le réconfortait en lui assurant que tout allait bien, et que l’ignoble Démon ne l’avait pas blessé.

— Merci mon Dieu, murmura le garde, rêveur.

Au loin, Malone entendit Amalie hurler.

— Un Démon de moins pour lequel s’inquiéter.

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