La dame de l'étage

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Un homme m'avait donné la clé de la maison, quand j'étais allé chez le notaire. Je possédais tout, maintenant. C'était triste à dire comme cela, mais d'une certaine manière, cela m'arrangeait. Je traversais une mauvaise passe depuis un moment. Et j'avais beau détester cet endroit où j'avais vécu, il serait pratique, au moins dans l'instant. Alors j'y suis allé. Mais avant que je ne puisse entrer la clé dans la serrure, la porte s'ouvrit d'elle-même. Me croyant seul, je tressaillis de peur. À ce moment-là, je m'attendais à tout ce qu'il y avait de pire. Ma mère venait de mourir, le moment était propice aux histoires de fantômes. Mais il n'en était rien.

Devant moi se tenait Mathilda. Je l'avais complètement oubliée, mais maman l'avait mentionnée dans ses lettres elliptiques. C'était une dame qu'elle avait pris en colocation, quand nous commencions à avoir nos difficultés financières. Et comme je n'étais pas rentré depuis presque six ans, je ne l'avais jamais vue. Elle était plus âgée que ce que j'imaginais. Elle devait être d'au moins vingt ans son aînée. Il y avait un air sévère dans son regard, mais je me rappelais vite que j'avais tout compte fait tenté de pénétrer chez elle.

"Ollie, n'est-ce pas ?"

Ma mère ne pouvait pas avoir omis mon existence après tout.

"Oliver, c'est bien ça. Vous êtes Mathilda ?"

"Je vois que votre mère ne pouvait pas avoir omis mon existence après tout."

Je déglutis. Il y avait de l'étrangeté dans sa voix mais cette dernière était plus douce que son visage. Son carré de cheveux blancs renforçait la dureté de ses traits et sa ride du lion semblait toujours froncée. Ses yeux d'un bleu perçant me scrutaient davantage comme un intrus comme le fils d'une personne qu'elle avait bien connue. Dans un silence ostensiblement véhément, elle me fit comprendre que je pouvais entrer, en me précédant.

Nous nous sommes installés dans le salon. Il semblait plus sombre que dans mes souvenirs, et les meubles, s'ils étaient les mêmes, avaient pris une teinte qui me semblait moins vivante. Toutefois, trônant au-dessus de la télévision, je vis un objet très familier : un coucou. J'avais tanné ma mère pendant des semaines pour qu'elle nous en achète un. J'adorais l'idée d'avoir un petit oiseau pour nous donner l'heure. Ma courte exploration fut vite interrompue par le retour de Mathilda, depuis la cuisine. Elle m'offrit un thé, à contrecœur à voir son expression. Puis elle me parla longtemps de ma mère. Elle m'expliqua à quel point elle était merveilleuse. Les efforts qu'elle faisait pour moi, son fils. Et à quel point elle l'avait aidée, elle, à faire le deuil de son mari. La conversation semblait tourner à l'agréable, quand elle se mit soudain à parler des hommes en général.

"Je ne comprends pas ce qui vous amène, vous, les hommes, à toujours vouloir partir plus loin. A oublier vos racines. Votre mère, Ollie, elle a tant fait pour vous ! Votre chambre est telle que vous l'aviez laissée à votre départ pour l'internat. J'ai vécu avec elle, et jamais elle n'a souhaité la débarrasser pour moi ! J'ai vécu dans la chambre d'amis.

- Vous auriez pu la prendre, rétorquai-je, gêné. Je n'ai pas cherché à la garder.

- Mais elle l'a gardée pour vous."

Aussi poliment que je pouvais le faire dans cette situation, je conclus la conversation en expliquant que je voulais tout revisiter. J'ai vite fait le tour du rez-de-chaussée, où se trouvaient la chambre de ma mère, les sanitaires, la cuisine et le salon dont nous sortions. Puis je me rendis à l'étage. Mathilda s'empressa de rejoindre sa chambre et j'entrai dans la mienne où je fermai la porte derrière moi. Cette femme, sans être excessivement mauvaise, me mettait mal à l'aise. Je sentais qu'elle ne m'aimait pas. Elle aimait profondément ma mère, cela se voyait, mais elle ne comprenait pas son amour pour moi. Pour elle, j'étais sans doute de ces hommes qui déçoivent les femmes dans leur vie. Ceux qui apparaissent pour disparaître aussitôt.

La chambre était exactement comme Mathilda l'avait dit. Tout cela m'était sorti de la tête, mais j'avais tout laissé ainsi à mon départ. Une épaisse couche de poussière recouvrait mes figurines, les cadres de mes photos... En somme, à peu près tout ce qui avait une surface. Je n'avais pas pleuré quand j'ai appris la mort de maman, mais en me retrouvant ici, une boule s'était formée dans ma gorge. En parcourant toutes mes affaires, tous ces souvenirs, une peine commençait à prendre vie. Je ne m'étais pas rendu compte, alors, que si je détestais le versant pitoresque de cet endroit, ma mère me manquait tout de même terriblement. Et puis je sentis quelque chose me traverser. Un froid intense me parcourut, pas comme un courant d'air, mais comme l'ouverture d'une porte sur un blizzard.

"Ollie... Ollie... Ollie, mon chéri."

Depuis tout ce temps, j'avais presque oublié la voix de ma mère. Mais je savais que c'était la sienne. Je n'étais pas fou. Je savais aussi qu'elle était morte. C'était indiscutable. Je n'étais ni endormi, ni fragile mentalement. Cette tristesse étrangère ne pouvait pas être la cause de cette hallucination. Il y avait quelque chose qui m'appelait et qui prenait la voix de ma mère.

"Ollie... Ollie... Ollie, mon chéri."

Je pensais à Mathilda. Cela ne pouvait pas être sa voix. Je l'aurais reconnue, c'était impossible. Cette voix traversait les murs. Il y avait quelqu'un qui m'appelait, ici, dans cette maison. Sortant de la chambre, j'attrapai ma vieille crosse de hockey. J'entrais dans le couloir. Mathilda était toujours dans sa chambre : je voyais son ombre passer sous la porte.

"Ollie... Ollie... Ollie, mon chéri. Viens t'assoir."

C'était en bas. Dans la chambre de ma mère, j'en étais certain. Lentement, je descendis les marches, serrant fort mon arme de fortune. J'entendais Mathilda à l'étage, pestant encore certainement au sujet de mon arrivée. Et plus vite que je ne l'imaginais, je fus devant la porte de la chambre.

Une clé était dans la serrure. Le verrou était enclenché. Alors je tournai la clé.

"Ollie... Ollie... Ollie, mon chéri. Viens t'assoir sur les genoux de ta mère."

Mais la voix ne venait plus de derrière la porte. Elle était là, juste derrière moi. Un souffle d'hiver glissait sur ma nuque et une onde glacée me touchait les épaules pour me détourner de mon objectif. Collée contre moi, la chose qui avait la voix de ma mère me fit avancer jusque dans le salon. Je lâchai ma crosse, malgré moi.

"Ollie... Ollie... Ollie, mon chéri. Apporte de l'eau à ta mère."

Bientôt, ses bras contre mes épaules se mirent à agripper mon ventre. Et ses jambes s'enserrèrent autour de ma taille. Ils étaient rachitiques. Gris. Morts.

"Ollie... Ollie... Ollie, mon chéri. Apporte à manger à ta mère."

Je la portais malgré moi, alors que je me dirigeai machinalement vers le coucou. Il était ouvert, mais il n'y avait nulle trace d'oiseau de bois. Derrière les volets, un petit papier plié. La chose dans mon dos me le fit attraper. Je le dépliai. C'est le moment que choisit Mathilda pour descendre de l'étage.

MATHILDA M'A ENFERMÉE

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