Épilogue

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 J'attends.

 J'attends à en oublier pourquoi. Peut-être que le sable m'avale, que le Soleil me crame. Que le sol tremble, les océans me submergent, les Géants s'éveillent. Que le monde s'ébranle à l'écoute de mes prières.

Je vais t'enterrer sous le sable brulant, Magie. Ne m'en veux pas.

 À genoux, le corps fébrile, je débute enfin le rituel.

Je dessers l'opercule pour en sortir tes restes : les os de ta main droite, celle qui portait ma bague, puis ton coeur endormi. Effroyablement tiède. Je me sens pâlir, je tremble si fort. À t'en laisser tomber, te laisser m'échapper.

 Alors que je t'enfouis, l'émotion me submerge.

Un cauchemar.

Le monde sans toi est un cauchemar.

 Mon coeur se sert, je ne respire plus, mes sanglots virent à la crise.

Tu es là, dans mes mains. Tu n'es plus.

Comme je te hais, Magie.

 Malgré la rancune, je referme ton trou sous le sable. Mes larmes tachent le sol, font de petits impacts. Je me lève, pose un pied sur le vase vide, le presse. Le verre résistant sous ma semelle, je saute à pieds joints jusqu'à ce qu'il éclate sous moi. De gros morceaux volent dans un bruit fracassant.

C'est le moment que je redoute, à ne pas rater. Si j'échoue... oui c'est sûr, je te rejoins pour de bon.

 Je prends une tranche de verre opaque, m'agenouille au-dessus de toi. Je me rappelle ton visage rond et tes airs mondains. Tes lèvres auxquelles je n'ai que trop peu goûtées. Et la chaleur de tes bras, de tes mains sur moi. De ton poids, de ton odeur, de ton sourire et la manière dont tu faisais l'amour. Dont tu me touchais, riais, t'habillais au matin, me regardais le soir.

Ce soir-là. Avant de partir pour de bon, du noir dans les yeux.

 Une colère sourde me revient, au milieu des vestiges. La tienne.

Le long de mes bras, je trace des plaies brûlantes. Le chant des Géants sonne fort contre mes os, contre les leurs, contre les tiens. Mon sang coule sur tes restes, un peu de ma vie sur ce qu'il reste de la tienne. Un peu de moi sur toi, pour beaucoup de nous disparu. Sous mes mains poisseuses, les yeux clos, le sable bout... j'arrive, attends-moi.

 Autour de moi, le noir est persistant. Et si le sable a disparu, si le Soleil ne m'inonde plus, les Géants chantent toujours. Ils émergent du rien, en cercle autour de moi, faits de pierre et de cassures lumineuses. Leurs visages s'assouplissent vers moi, ils sourient. Me sourient.

— Magie ? Magie !

 Je ne trouve pas le tien, entre ceux des êtres antiques. Je ne t'entends pas non plus, et je te cherche. Je te cherche comme un animal fou, poussant de toutes mes forces les jambes démesurées pour voir derrière. Mais tout est flou, et sombre. La roche est massive, je suis faible.

 Les Géants déplient les bras.

 Ils se penchent sur moi, tellement immenses. Ils ne chantent plus, le silence est étrange. Je crie mais aucun son n'éclate. Je me fige, ils sont si proches. L'un d'eux a la figure morcelée, à deux doigts de l'effondrement. J'y laisse traîner une main collante. Ensanglantée.

 Il me cueille comme une fleur, au creux de sa main de feu. Je me vois dans ses yeux brasillants, et je frémis.

 Je suis sur le sable, affalée sur ta tombe et inconsciente. Mon corps se vide, tremble doucement sous la brise chaude, pâlit. J'ai l'air si jeune, si frêle. Si désespérée. Un moment, je saisis les mots de Charlie.

 Et puis un son, comme un éclair, fracasse le silence, brouille mon reflet.

— Ailleurs ?

 Je me retourne avec lassitude. On m'appelle, mais je n'ai pas la force de répondre. Je m'écroule, au chaud, dans la main du Géant.

— Ailleurs !

 Au moment où je me sens partir, on se glisse contre moi. Des bras m'enlacent, chauds et forts pour me maintenir. J'ai envie d'y croire.

— Bon sang, Ailleurs...!

 Croire que c'est toi.

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