Chapitre 5

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NDLA : Hello et vraiment pardon pour le manque de nouvelles ici ! J'ai préféré avancer au maximum mes chapitres avant d'en poster à nouveau. Merci à toutes les personnes qui m'ont commenté jusqu'à présent vous êtes <3 On continue avec un gros chapitre, les suivants devraient moins tarder. J'espère que niveau avancement de l'histoire ça vous va ? J'ai tendance à prendre mon temps dans le déroulement d'une intrigue : ce qui retarde un peu la prochaine apparition des chapitres plus... chauds disons-le, mais ils vont revenir ne vous en faites pas uhu

Sur ce, bonne lecture, je réponds aux derniers commentaires !


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La machine à café cracha un jet d’eau brûlant sur sa main et Dap fit un bond en arrière, renversant un tabouret au passage. Le fracas résonna dans les couloirs silencieux. Il était encore arrivé trop tôt, même Blaise n’avait pas encore pris ses quartiers. Dap passa son doigt brûlé sous le robinet, ajoutant cette nouvelle douleur à son état d’embarras général. Cette journée n’allait certainement pas être meilleure qu’hier, il était bien le seul à blâmer cette fois.

Pourquoi avait-il lâché une telle proposition à Linus hier ? Dap maudissait encore et encore sa retenue légendaire. Il n’avait aucune idée de ce qui lui était passé par la tête. Il avait beau blâmer l’alcool, il commençait à croire qu’un autre problème se cachait peut-être dans sa personnalité si emportée. Linus devait penser de lui qu’il n’était qu’un obsédé, complètement inconscient des risques que leur relation pourrait engendrer si elle s’ébruitait. Une tasse d’eau tiède en main, vierge de tout café, Dap rejoignit son bureau en traînant les pieds.

Son portable clignotait d’un nouveau message et d’un appel manqué. Sa mère. Dap se mordit les lèvres, il avait oublié de l’appeler hier soir pour lui offrir un compte-rendu de sa première journée. Il répondit à son SMS en quatrième vitesse, lui assurant que tout allait bien, tout le monde se montrait très prévenant avec lui et qu’il l’appellerait sans faute ce midi.

Assis sur son siège, face à son bureau tellement petit que ses genoux en touchaient le bord, Dap songea qu’il n’allait pas laisser une nouvelle journée se dérouler sans qu’il fasse tout pour la rendre acceptable. Il but d’une traite son eau tiède, alluma son ordinateur et se plongea dans le premier programme qu’Aysha lui avait présenté hier.

La climatisation lui soufflait dans la nuque, agitant les mèches de ses cheveux lâchés cette fois. Dap avait abandonné sa chemise et son pantalon de costume pour adopter un style plus détendu, à l’image du reste de ses collègues. Il avait même dégotté au fond de son placard, les t-shirts que lui et Flo avaient concocté pour leur équipe de jeux vidéo. Il regrettait de ne pas avoir pris de veste au moins et frissonna sous l’air glacial des bureaux.

— Bonjour.

Dap sursauta sur son siège qui pivota dans le même mouvement. Un des types qui lui avaient adressé la parole hier midi se tenait en périphérie du bureau de Linus et agitait la main dans sa direction. Dap n’avait même pas remarqué l’arrivée de ses collègues. Les corridors bruissaient de leur passage et il voyait des têtes aller et venir entre les rangées de tables.

— Salut, répondit Dap Euh, excuse-moi, je ne me souviens plus de ton nom.

— Béro, sourit l’autre. Tu bois du café ? On va s’en prendre un avant la réunion. Sauf si t’en as déjà pris un, dit-il en désignant la tasse dans la main de Dap.

— C’était tout sauf du café. Avec plaisir. C’est sur quoi la réunion ?

— Tu verras, tu en fais partie aussi.

Aysha venait d’arriver, le nez collé à son portable, une tasse de thé fumant à la main. Elle salua les deux hommes d’un hochement de tête.

— On se réunit tous les premiers mardis du mois pour faire un point. Toute l’équipe est présente et après y’a un déjeuner ensemble.

— L’occasion de dormir, ricana Béro. Vous venez ?

Dap les suivit, non sans s’empresser d’écrire un rapide SMS à sa mère pour lui indiquer que son coup de fil aurait lieu plutôt ce soir. En contournant le bureau de Linus, il remarqua un sac et sa veste en cuir déjà posés sur la chaise. Dap rougit jusqu’à la racine des cheveux. Ce type s’était contenté de poser en douce ses affaires, sans saluer Dap, pour ensuite disparaître il ne savait où.

La cuisine bourdonnait de conversations, à croire qu’ici personne ne savait faire autre chose que parler haut et fort. Dap remarqua que le fait dérangeait aussi Aysha. Elle se glissa en périphérie du groupe et s’adossa dans le couloir, sa tasse de thé serré contre elle, l’écran de son portable à quelques centimètres de ses yeux. Pas une personne du matin, hein ? songea Dap. Il comprenait ça, aussi ne chercha-t-il pas à faire la conversation. Il talonna Béro et lui demanda sans détour comment fonctionnait la machine à café.

— Elle t’a fait des misères ce matin ?

— Plutôt deux fois qu’une, répondit Dap en montrant sa main rougie. J’ai que du café instantané chez moi, je ne sais pas me servir de ces trucs high-tech.

— Rien d’high-tech dedans. Il faut juste t’assurer qu’il y ait toujours de l’eau ici. Ensuite tu choisis une capsule, tu refermes, t’attends que la lumière arrête de clignoter et tu appuies sur le bouton. Et tu mets ta tasse avant bien sûr et pas ta main, railla l’autre.

— J’essaierai de m’en souvenir, répondit Dap sur le même ton.

Ils rejoignirent les autres et Béro commença à lui poser les questions habituelles de circonstance. Dap retrouva parmi leur groupe, d’autres collègues croisés hier au tramway. Il chercha Aysha du regard, se demandant si elle avait vu qui étaient là. Mais la femme demeurait dans son coin.

— Plus de costard cette fois ? s’enquit Béro à la vue du t-shirt de Dap.

— Non, j’ai assez fait bonne impression pour toute la semaine.

— Je déteste les costards, grommela Jerry. Surtout avec cette chaleur, ça fait transpirer des couilles, c’est atroce.

— C’est peut-être tes sous-vêtements qui ont un problème ? répondit Béro.

— C’est pas ce que ta mère m’a dit hier soir !

Des rires goguenards retentirent. Dap arrêta ses lèvres à quelques centimètres de sa tasse. Jerry l’avait salué aussi cordialement que les autres ce matin, et Dap était bien décidé à rester tout aussi poli avec tout le monde. Il sentait pourtant le regard de Jerry s’attarder une seconde sur lui, comme s’il le mettait au défi de répondre. Dap prit une grande inspiration et but une gorgée de café. Pas avant dix heures, se promit-il avec un petit sourire.

Les talons de Lydia résonnèrent dans leur direction. La directrice technique portait une robe tout aussi colorée que la veille et ses yeux pétillaient de bonne humeur. Elle offrit une tournée de saluts, quand bien même ils n’étaient pas loin de quinze personnes. Dap fixait un point derrière son dos, s’attendant à voir Linus arriver d’un instant à l’autre.

— On y va ? dit Lydia à la cantonade. J’ai ouvert la salle, tout est installé.

Dap resta à la traîne et il fut rattrapé par Aysha, toujours collée à son téléphone. Elle tourna un œil interrogateur dans sa direction en voyant que Dap lui souriait.

— Quoi ?

— Tu n’aimes pas trop Jerry.

Elle tiqua mais ne mordit pas à l’hameçon, se contentant d’un vague haussement d’épaule. Mais Dap avait vu l’étincelle sourde dans ses yeux.

Aysha et Dap prirent les deux dernières places autour de la table de la salle de réunion, juste à côté de la porte. Dap posa sa tasse devant lui, recula sa chaise et s’étira de tout son long, bras tirés en arrière. Béro avait raison, c’était l’occasion de se reposer un peu. Passer une heure à écouter des gens parler sans faire autre chose que se concentrer sur leurs paroles et sans avoir d’autres urgences que savoir ce qu’ils allaient manger ce midi, voilà le genre de situation d’entreprise qui plaisait à Dap.

Ses doigts effleurèrent le tissu d’une chemise. La tête tirée en arrière, Dap eut une vue en contre-plongée sur Linus qui tentait de passer juste derrière sa chaise, un ordinateur portable sous le bras, un café dans l’autre main. Les doigts de Dap s’étaient arrêtés sur sa chemise, à quelques centimètres d’un bouton. Ni Dap ni Linus n’esquissèrent un mouvement pendant un battement de cœur. Puis Dap crut qu’un courant électrique le frappait de la tête aux pieds. Il ramena sa chaise contre la table d’un coup sec, manquant de renverser les breuvages de ses voisins. Aysha leva des yeux ronds de son téléphone, tandis que le reste des collègues éclatait de rire.

— Pardon, s’écria Dap au comble de la gêne. Pardon, répéta-t-il en se tournant à moitié vers Linus.

Il n’avait pas bougé d’un pouce et il fallut le raclement de gorge de Lydia à l’autre bout de la salle pour que l’homme reprenne sa marche.

Je vais mourir, songea Dap, avant la fin de la semaine, si je ne suis pas mort c’est un miracle. Ou pire, renvoyé.

La réunion commença et à nouveau, Dap se trouva incapable d’écouter durant la première demi-heure. Lydia salua son arrivée dans l’équipe et Dap ne put répondre que par un hochement de tête. La parole passa à Linus qui fit défiler une présentation sur le projecteur de la salle depuis son ordinateur. Dap ne voyait personne prendre de note aussi choisit-il d’éteindre son cerveau et se concentrer sur les rayons de soleil qui s’étirait sur la table entre les tasses à café. S’il levait la tête, s’il croisait le regard de Linus, il savait que ce dernier allait perdre ces mots. Dap n’arrivait pas à comprendre d’où lui venait cette certitude mais elle répondait à un instinct bien ancré en lui. Un instinct qui refusait de faire du mal à autrui. Et pour une raison inconnue, il percevait le mal être de Linus. Il refusait d’en être plus longtemps la cause.

À la pause, après une heure de réunion, Dap resta quelques instants assis, pianotant sur son téléphone, avant de se risquer dehors. Il n’alla pas au coin cuisine où la voix de Jerry dominait les conversations et plutôt se dirigea aux toilettes. Il voulait un endroit calme et isolé. Hélas pour lui, la cabine la plus éloignée de la sortie était occupée. Dap se rabattit sur celle du milieu et tourna le loquet. Il s’appuya contre la porte, profitant du silence cotonneux du minuscule réduit. De longues minutes passèrent, la minuterie automatique s’éteignit, le plongeant dans l’obscurité. Parfait.

Ce fut plus fort que lui, son esprit vagabondait trop facilement vers des associations d’idées. Avec des gestes mesurées pour ne pas laisser le moindre son passer sous la porte, Dap défit la boucle de sa ceinture. Immobile dans les ténèbres, seule sa poitrine se soulevait par à-coups tandis que sa main glissait dans son pantalon. Il pressa ses doigts contre la dureté dans son slip. La chaleur montait de son bassin et donnait l’impression de se répandre dans toute la cabine. Dap haletait, suffoquait dans cette obscurité. Son esprit était vide de toute pensée concrète mais il savait qu’un saut de puce le séparait d’imaginer le corps de Linus contre le sien.

La porte de la salle d’eau choisit cet instant pour s’ouvrir.

— En même temps, le mec il me dit ça, je l’ai jamais vu faire un seul tour de piste, résonna la voix désagréable de Jerry à l’adresse de quelqu’un d’autre dans le couloir. Ha ha, eh bah on chronométra et on verra bien !

Dap se redressa et la lumière revint dans sa cabine. Il attendit que Jerry s’enferme dans un des compartiments. Il tira la chasse d’eau et ouvrit la porte. Dap se lava les mains en vitesse, son regard sévère fixé sur son reflet.

« Calme-toi, articula-t-il sans émettre un son. Reprends-toi en main bordel, c’est juste un mec, un seul ! »

Il quitta les toilettes et marcha droit vers Aysha, bien décidé à discuter de tout et de rien et à repousser au fin fond de son esprit, toute pensée déplacée.

#

— Quelle serait la date limite ?

Personne n’osa émettre un son pendant que Lydia parcourait le calendrier sur son téléphone. Elle finit par lever la tête, un sourire d’excuse sur la figure à l’adresse d’Aysha.

— Le treize. Tout doit être opérationnel pour le treize au soir.

Aysha se balança sur sa chaise, épaules en avant, jouant avec sa tasse à café sous la table. À ses côtés, Béro, Jerry et les autres suivaient les échanges comme s’il s’agissait d’une intense partie de tennis.

— Aysha ? demanda Linus avec douceur. Dis-le tout de suite si c’est impossible.

— Non, lâcha la femme dans toute sa sobriété habituelle. C’est complètement faisable si on me fiche la paix pendant quinze jours. Cela implique de laisser en plan les projets continus par contre.

— C’est pour ça qu’on a Dap, contra Lydia d’un ton joyeux. Il t’assistera au mieux, il est là pour ça.

— Non, dit Aysha. Je ne peux pas passer mon temps à former Dap et à la fois travailler sur cette urgence. Il faut être réaliste à un moment.

— Nous le sommes tous ici, répondit Lydia et quelque chose dans sa voix laissait affirmer qu’elle n’aimait pas que le contraire soit entendu dans cette pièce. Dap fera au mieux et toi tu feras le maximum. N’est-ce pas ?

Linus s’agita sur sa chaise et claqua sa main sur la table. Le geste ne se voulait pas violent mais tous avait vu la soudaine flamme dans le regard d’Aysha.

— On travaillera en équipe là-dessus. J’aiderai Aysha et Dap à s’organiser au mieux.

— Je n’en doute pas, sourit Lydia.

Elle ferma son ordinateur portable et éteignit le projecteur.

— Le repas est servi au sixième étage. On reprend à quatorze heures, bon appétit tout le monde.

Dap se leva en même temps que les autres mais Aysha ne suivit pas le mouvement. Elle, Lydia et Linus restèrent à la traîne pendant que le reste de l’équipe affamée se dirigeait vers l’escalier. Dap hésita jusqu’à ce qu’un petit signe de tête d’Aysha lui indique de ne pas l’attendre.

— Ça sent les ordres d’en haut, commenta Béro dans l’escalier.

Il s’adressait à deux autres collègues en parlant ainsi et Dap accéléra derrière eux pour mieux entendre.

— Même pas un jour que Linus est revenu de vacances que déjà ils lâchent tous les projets sur lui et Aysha. À croire qu’ils n’ont pas assez déconné avec elle pendant l’absence de Linus.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé au juste ? Demanda Dap.

— Eh bien, s’enquit Béro ravi que le petit nouveau lui prête plus d’attention que ses collègues directs. D’habitude les projets les plus complexes écopent sur Linus, mais en son absence tout est retombé sur Aysha qui a dû mettre les bouchées doubles. Elle a pas pipé un mot parce que c’est une dure mais tout le monde pensait qu’avec le retour du chef, ils se calmeraient un peu.

— Je vois, murmura Dap. Et quand tu dis que ça vient d’en haut ?

— Ouais, Sparkles le directeur. Il est pas très commode ce type.

Ils poussèrent la porte du sixième étage pour faire face aux tables couvertes de nappes blanches et au parquet ciré d’une salle de réception. Le mobilier était pour le moment reléguait dans un coin de la pièce, le buffet étant servi sur la terrasse. Les collègues déjà arrivés après la réunion se promenaient entre les tables à tréteaux, leurs assiettes débordant de petits fours, avant de prendre place sur les bancs délimitant la terrasse.

— Heureusement tu es là pour sauver Aysha, dit Jerry en bousculant Dap et Béro pour attraper une assiette.

— Ça ira, assura Béro face au teint pâle de Dap. Elle a automatisé pas mal de trucs de son côté, tu devrais t’en sortir. Jamais elle laisserait les projets continus se casser la gueule, elle a bien huilé sa machine. C’est pour ça qu’elle peut se permettre ce côté un peu bourru. Comme Linus. Ils ont leurs passes-droits car ils sont bons.

Dap trouva l’information intéressante sans pour autant savoir quoi en faire. Il suivit Béro et Jerry le long du buffet, se servant en salade de pâtes, de pommes de terre et décorant le tout de petits fours salés.

— T’as les boules ? demanda Jerry en tournant un regard goguenard dans sa direction. T’as intérêt à bien écouter les explications d’Aysha quand elle te filera son taf car elle aime pas se répéter.

— C’est ce qui s’est passé avec toi ? répondit Dap.

Béro et Jerry éclatèrent de rire, guères touchés par la réplique du jeune homme.

— Aysha te dévore quand tu fais pas bien les choses selon sa méthode. Et encore plus si tu oses la contredire. Y’a qu’avec Linus qu’elle accepte le débat, elle doit respecter son intelligence plus que la nôtre.

— Ouais, ou peut-être juste qu’ils couchent ensemble et on le sait pas.

La fourchette de Dap glissa de son assiette débordante de nourriture. Il était tellement secoué par tout ce qui se passait autour de lui qu’il ne pensa même pas à remettre Jerry à sa place pour sa remarque idiote.

— Aysha a été très sympa jusqu’à présent. Et Linus aussi, se crut bon d’ajouter Dap.

— C’est que le début, dit Jerry. Attends de voir quand le stress s’empilera sur vos têtes et que tu oseras demander à quoi sert cette fonction, tes oreilles vont pas s’arrêter de siffler pendant deux jours.

Un silence puis Béro se tourna vers Jerry.

— Je ne comprends pas ? Parce qu’ils vont parler de lui dans son dos, ces oreilles vont siffler ?

— Mais non enfin ! Il va se faire hurler dessus jusqu’à avoir des… tu sais… quand tu entends une musique trop fort, trop longtemps, tes oreilles sifflent !

— Ah comme des acouphènes ?

— Ouais ça, grommela Jerry d’un ton hésitant.

— Si je me fais hurler dessus alors je partirai.

Les deux autres levèrent un visage étonné de leurs assiettes. Dap soutint l’évidente moquerie que ses paroles déclenchèrent chez eux.

— Je travaille pas pour me faire engueuler. Si la situation devient merdique, autant partir.

— C’est ton premier job ? s’enquit Béro.

Il cachait mal son ton condescendant mais c’était toujours moins désagréable que Jerry qui ricanait à son assiette. Dap se redressa et répondit par l’affirmative.

— T’as quel âge déjà ? Vingt-un ?

— Vingt-trois, répondit Dap. Ça change quoi ?

— Et t’as jamais bossé avant ? Insista Béro.

— Non.

— Tu t’es jamais fait hurler dessus ? renchérit Jerry. Même à un petit job d’été ou un stage ?

— Non…

Béro émit un faux murmure d’admiration. Jerry se campa aux côtés de Dap et passa un bras sur ses épaules.

— Ok, Dap c’est simple. La première fois où tu vas te faire engueuler par un chef qui, au demeurant, est comme un parfait inconnu, c’est comme la première fois que tu fais l’amour mais en inversé. Ça ne sera pas décevant, mais ça sera rapide, brutale peut-être et très certainement humiliant. On y passe tous et on regrette parfois de l’avoir fait trop tôt ou trop tard.

— J’imagine que tu n’as pas beaucoup gardé contact avec tes premières partenaires vu ce que tu racontes, grogna Dap.

— Elles ont mon numéro, elles savent où me trouver, rit Jerry.

— On plaisante, dit Béro et son amusement sincère suffit à empêcher Dap d’envoyer Jerry par terre. Juste, sois prévenu c’est tout. Ça peut devenir moche par moment.

Ils rejoignirent le reste de l’équipe sur les bancs. Pour la première fois depuis son arrivée, Dap refusa de rester silencieux au vu de son humeur et participa aux conversations. Il ne pouvait s’empêcher de chercher Aysha du coin de l’œil ou même Lydia et Linus, en vain. La pause déjeuner était presque finie quand Lydia apparut mais ne s’arrêta pas auprès du groupe. À la place, elle remplit deux grandes assiettes de salades de légumes marinés avec des tranches de poulets froids. Puis elle disparut dans l’escalier, les deux plats en équilibre sur ses mains.

Dap attendit quelques minutes avant de se lancer à sa suite. Il trouva les deux chefs et Lydia, attablés autour du bureau de Linus, le regard fixé sur les trois écrans, piochant la nourriture rapportée par Lydia. Dap voyait la scène depuis le poste de Blaise, inoccupé à cette heure-là. Il hésita encore quelques minutes supplémentaires, ils avaient l’air tous trois en grande discussion. Aysha au milieu de ces deux chefs semblait diriger la conversation, son ton de voix ne trahissant aucun énervement. Son assurance rassura un peu Dap et il commençait à se demander si les propos de Béro et Jerry n’étaient pas un peu exagérés, voire faux juste pour l’effrayer.

— Alors ce buffet, Dap ? salua Lydia à son arrivée. Sympa pour un deuxième jour, hein ?

— La salade de pommes de terre était excellente. Vous travaillez sur… ?

— Oui, oui mais ne t’inquiète pas, ça ne te concerne pas. Pas encore, ajouta Lydia avec un sourire pétillant. Aysha, tu veux commencer avec Dap ? Ou Linus plutôt ? Je vous laisse vous organiser, je dois aller voir Xavier pour confirmer avec lui la date de la sortie.

Lydia lui céda sa place, sa robe tourbillonnant autour de ses genoux alors qu’elle repartait vers les ascenseurs. Dap n’eut pas le temps de se sentir gêné, Aysha et Linus repartaient dans leurs conversations, échangeant des termes qu’il avait sûrement déjà entendu ou lu dans la documentation mais dont il n’aurait jamais pu, même sous la torture, expliquer. Il parvint à écouter pendant dix bonnes minutes puis il fut perdu. Quand Lydia avait présenté le projet pour l’application, cela lui avait paru simple et évident, mais maintenant qu’il prêtait l’oreille aux difficultés techniques il se demandait comment Aysha n’explosait pas à l’idée de devoir faire tout ça en quinze jours.

— Dap ? fit Aysha en s’arrêtant au milieu d’une phrase. Pardon si on ne t’inclut pas, on est dans l’urgence là.

Derrière elle, Linus hocha brièvement la tête fixant l’écran au milieu de son bureau.

— Ne faites pas attention à moi, répondit Dap. Si je peux aider, faites-moi signe et je réveillerai mon cerveau car pour l’instant c’est la mort clinique.

Aysha esquissa un fin sourire ce qui était le plus proche d’un rire à son niveau. Elle reprit sa phrase comme si de rien n’était. Dap recula pour attraper son carnet de notes et gribouilla le peu qu’il avait compris de la réunion de ce matin. Un moyen comme un autre d’évacuer l’étrange sensation qui lui remuait les entrailles. Il n’avait jamais de sa vie ressenti de crises d’angoisse mais d’après les dires de sa mère, c’était à peu près ce qu’il commençait à lui arriver à un très faible pourcentage. Dap posa son crayon et son carnet sur le bureau de Linus, se dressa sur sa chaise et s’assit sur sa jambe repliée. Il écouta Aysha prononcer un terme qu’il avait mal orthographié et s’empressa de le rayer et de le réécrire juste au-dessus. Les battements de son cœur se calmèrent et même si la technique générale lui échappait, il commençait à discerner un fonctionnement. Sans doute qu’Aysha et Linus étaient arrivés à cette étape à la seconde où Lydia avait fini de leur présenter le projet, mais Dap n’était pas peu fier d’avoir pu démêler ses propos pour les rendre compréhensive même pour un idiot comme lui.

Il sentit soudain un regard appuyé sur sa nuque. Aysha parlait seule depuis un petit moment, guère ponctuée par une affirmation ou deux de Linus. Elle était penchée sur le bureau de son chef, cliquant sur différents onglets pendant que Linus, enfoncé sur sa chaise, braquait son regard sur Dap. Ce dernier retint un sursaut de surprise parce que Linus cette fois-ci, ne détourna pas le regard quand Dap le remarqua.

Linus le voyait pour la première fois. Ce n’était pas cet œil méfiant ou agacé ou furieux ou dédaigneux qu’il avait réservé jusqu’à présent à Dap. Il le voyait vraiment et Dap ne pensait pas qu’un tel regard puisse faire autant d’effet à un autre humain. Comme s’il craignait d’effaroucher une bête sauvage particulièrement revêche, Dap demeura immobile, la respiration lente. Il ignora autant qu’il put, la douleur poignante qui lui remuait les entrailles et la main de fer qui s’agrippait à son cœur et le tirait vers le bas.

L’effet se dissipa aussi vite qu’il était venu. Linus s’accouda près d’Aysha et reprit la conversation avec elle, sa voix basse et douce résumant les points qu’ils avaient établi jusqu’à présent. Dap n’en revenait pas de ce qui venait de se passer et s’il n’avait déjà pas bien suivi les explications, il perdit encore une occasion d’en apprendre plus. La part de responsabilité en lui se révolta contre sa stupidité, tandis qu’une autre, se repassait en boucle la figure de Linus dans sa tête.

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