2014-...

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Ma dernière année d’étude s’achève sans heurts et sans passion. Et sans le moindre progrès sur le plan du cœur. Rennes n’a décidément plus rien à m’offrir. De toute manière, je me rends compte que je ne suis prêt à accepter personne qui ne soit pas Alejandro. A intervalles réguliers – peut-être une fois tous les quinze jours, pour ne pas avoir l’air trop insistant – je lui envoie un message sur Facebook, prétextant de lui transférer un article ou un GIF qui « me fait penser à lui ». C’est faux, évidemment. Je pense tout le temps à lui, sans avoir besoin de prétexte.

Mais le temps se fait long. Noël passé, nos échanges se font plus rares. Alejandro est retourné en Espagne. Lui aussi termine ses études, et commence à travailler pour un cabinet d’avocat. Ses journées de travail sont longues. Le temps lui manque et ses réponses se font tarder. Mais elles finissent toujours par arriver. Et provoquent en moi cette demi-seconde de bonheur au moment où la notification apparait sur mon écran.

Je recherche un stage de fin d’études. Ça n’a jamais été mon fort : fils de professeur, bon élève, je suis plus studieux que débrouillard. Un à un, mes camarades décrochent une place à Paris, tandis que mes demandes restent sans réponse. Je revois mes ambitions à la baisse, et tente ma chance en province. Et c’est à Montpellier que ma candidature est retenue. Le sujet ne me plait pas vraiment, mais n’hésite pas une seconde : Montpellier, c’est si près de l’Espagne.

L’été de mon stage, je reprends contact avec Alejandro. Nous ne nous sommes pas parlés depuis quelques mois, déjà. Il a l’air surpris d’avoir de mes nouvelles. Je lui annonce être à quelques kilomètres seulement de Barcelone, où il a déménagé pour exercer comme avocat. Il m’invite à le rejoindre pour une semaine. Dès que je le serre dans mes bras, à peine sorti de l’autobus, sur un quai de la gare routière de Barcelone-Nord, une agréable sensation de chaleur et de sécurité se diffuse lentement dans ma poitrine. Je suis absolument certain qu’il en va de même pour lui, et pourtant, une forme de pudeur subsiste. Une peur irrationnelle qui m’empêche d’agir, de révéler quoi que ce soit d’intime. Je suis encore traumatisé par mon expérience avec Camille, et refuse de faire le premier pas. Il faudra quatre jours, une pluie d’étoiles filantes observée au clair de lune et une quantité déraisonnable de téquila pour que nous parvenions à nous embrasser.

Le plus beau baiser de ma vie.

Alejandro et moi ne nous sommes plus jamais quittés. Cela fait six ans que je partage sa vie, et lui la mienne. D’abord à Barcelone, puis à Paris, et enfin à Londres. Les débuts ont été merveilleux, dignes d’un conte de fée. J’avais enfin ce dont j’avais toujours rêvé. Un ami fidèle et un amant hors pair. Presque un clone, en négatif sur la pellicule, la peau plus sombre et le poil plus brun. Un compagnon de voyage. Un débatteur féroce. Quelqu’un qui me ressemble en tous points et en même temps, fondamentalement différent de moi, né dans un autre pays, parlant, pensant et rêvant dans une autre langue. L’amour a jailli de toutes ces forces, à tel point qu’il a parfois été difficile de le canaliser. C’est lui qui nous a fait, à tour de rôle, traverser les frontières, abandonner nos carrières toutes tracées, repartir de zéro quelques mois à peine après avoir terminé nos études respectives. Sans l’ombre d’une doute ou d’une hésitation.

Cette passion des débuts est retombée petit à petit, et a laissé la place à un amour plus mesuré, plus stable, plus solide aussi, qui s’est enraciné au plus profond de moi, au point où je n’imagine désormais plus être capable de vivre sans lui. C’est comme une évidence. Rien de plus, rien de moins. Il connaît mes parents, mes amis. Je connais les siens. Il parle ma langue, et moi la sienne. Je demande l’heure et je jure en espagnol aussi spontanément que dans mon idiome maternel. Le soir, je chuchote un « je t’aime » en français à son oreille, avant de plonger dans un sommeil de plus en plus anglophone.

Il a été facile de leur annoncer la nouvelle. « Papa, maman, Laura et compagnie, il faut que je vous dise : je vais me rendre en Espagne de plus en plus souvent ». « L’Espagne » est devenue une sorte d’euphémisme bien pratique pour parler de ma relation avec Alejandro sans le nommer. Ces précautions n’ont pas été nécessaires longtemps. Très vite, tout le monde s’est fait à l’idée. Ni mon père ni ma mère n’ont le moindre problème avec Alejandro, au contraire. Il n’y plus guère que ma grand-mère pour se référer pudiquement au simple nom du pays : « tout va bien, en Espagne ? » - autrement dit : « comment va ton petit ami ».

Je souris et lui réponds que l’Espagne va bien.

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