2007-2010

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Le bus nous dépose devant le lycée de la ville du coin. Nous sommes habillés avec cinq ans de retard sur la mode locale, qui a elle-même cinq ans de retard sur la celle des grandes métropoles. Les filles sont maquillées, et les garçons ont l’air de s’intéresser à autre chose que le football. J’en trouve certains mignons, d’autres carrément beaux. Certains font du théâtre, du skateboard, de la natation ou de la musique. Le carcan social s’élargit quelque peu. Une poignée d’entre eux semblent même me ressembler, d’une certaine manière : mêmes types de fréquentations, mêmes gestes et mêmes intonations. Mêmes remarques parfois. Les plus efféminés sont tournés en ridicule. Je prends garde à ne devenir ami avec aucun d’entre eux, par peur d’être coupable par association.

Antoine est l’un d’entre eux. Il est sublime. Métis, le visage recouvert de taches de rousseur. Il s’habille avec une audace que je ne m’autoriserais jamais. Délicat, il est moqué par certains, mais n’a pas l’air d’en souffrir. Le soir, sur mon ordinateur, je délaisse mes blogs de modèles de maillots de bain, et écris des histoires dont lui et moi sommes les héros. J’ose même en imprimer une, que je colle dans un cahier savamment caché dans ma table de chevet, mélangé à mes fournitures scolaires. J’ai écrit « mathématiques » sur la couverture du cahier. Personne n’aura l’idée de fouiller là-dedans.

Ma préférence pour les garçons est limpide, désormais. Je n’ai plus l’ombre d’un doute. Antoine me plait. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que je n’existe pas pour lui. Il ne m’accorde pas un regard, pas une parole, même quand l’occasion se présente. Et il m’intimide trop pour que j’ose faire le premier pas. Les trois années du lycée me donneront de nombreuses occasions de vaincre ma timidité, mais je n’y parviendrai pas.

Je regarde un épisode de Desperate Housewives avec mes parents et ma sœur cadette. Andrew, le fils de Bree, se révèle être homosexuel, ce qui, à l’écran, perturbe visiblement sa mère un poil conservatrice. Dans le salon, personne ne pipe mot. Je sens un drôle de malaise s’emparer de mon estomac. Je garde le silence. M’efforce de ne pas ciller, et d’accueillir ce développement scénaristique avec une indifférence notoire, pensant ainsi ne pas éveiller les soupçons auprès de mes parents qui n’ont pourtant rien de commun avec Bree van de Kamp. Je ne me doute pas encore que le simple fait de prendre plaisir à regarder Desperate Housewives à un si jeune âge ne laisse que peu de mystère sur ma condition.

J’ai toujours le même noyau dur d’amies. Laura, Mélanie, Estelle et Marielle. Je m’en fais d’autres, Sarah et Clarisse. Clarisse est amie avec Théo, un garçon pas méchant mais boutonneux. Lors d’une fête, Théo boit plus que de raison. Et finit par embrasser Valentin, un ami de Clarisse scolarisé à Rennes, « la capitale ». L’assistance est scandalisée, mais personne n’ose rien dire devant eux. Plus tard, Théo et Valentin se rejoignent pour coucher ensemble dans le lit des parents de notre hôte. Le lundi suivant, tout le lycée est au courant. Il y a quelques remarques, quelques sourires appuyés. Mais finalement, à peine plus que lorsqu’Elodie a perdu sa virginité dans les toilettes du rez-de-chaussée, pendant une heure d’étude. C’est de bon augure. Mes amies n’en ont d’ailleurs que faire, de cette rumeur. Le sujet est abordé comme un autre, puis abandonné à la première occasion. A ce stade, je pourrais leur dire qui je suis sans craindre quoi que ce soit. Mais ça fait si longtemps que je prétends auprès d’elles être un garçon « comme les autres » que je n’ose pas sortir de mon rôle. Après tout, les choses sont bien comme ça, pour l’instant. Pas la peine d’en faire tout un plat. Je leur en parlerai quand il y aura quelque chose à raconter.

Estelle est amoureuse de Djibril, de loin le plus beau garçon du lycée, et ils se sont embrassés à la fête post-bac, organisée au bord du lac, dans la forêt. Je ne crois pas qu’ils aient couché ensemble. Tant mieux, je suis suffisamment jaloux comme ça. De qui, de quoi, je n’en suis pas trop sûr.

Le lycée s’achève. Je me fais prescrire des lentilles de contact dans l’espoir d’attirer un peu plus les regards lors de la prochaine étape de ma vie.

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