50- Alliée ou ennemie

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Assis sur mon lit, côte à côte, nous avons regardé les photos de « voyage » d’Ariel. J’avais vu juste. L’humanité a colonisé d’autres planètes. Mars abrite des humains sous Bulles, comme la Terre, si ce n’est que personne ne vit à l’extérieur des Bulles. Cette planète est un désert rocailleux et rouge à côté duquel le Sahara est un paradis luxuriant. D’autres planètes sont ceinturées d’habitats orbitaux depuis lesquels les humains exploitent leurs ressources, telle Jupiter et ses satellites. Autour de ces gigantesques infrastructures flottant dans le ville intersidéral, j'ai vu des vaisseaux immenses. J’ai aussi contemplé des planètes de glace, d’autres abritant uniquement de vastes étendues d’eau, toutes aux noms évocateurs : Glacia, Oceanus… Je n’aurais jamais pu les identifier si leurs noms n’avaient pas été inscrits sur les photos.

Sidéré, j’ai reposé le casque, il y a quelques minutes.

  • Notre planète n’est-elle pas magnifique, un vrai berceau pour la vie ? m’a soufflé Ariel.

J’ignore ce qu’elle tente de me faire comprendre. Je suis dans l’incapacité de réfléchir pour le moment. L’univers est trop grand pour pouvoir ainsi entrer dans ma réalité. Peut-être l’a-t-elle compris car depuis, elle reste silencieuse.

  • Pourquoi, alors, restons-nous ainsi enfermés dans nos Bulles ? lui demandé-je finalement.
  • Tu le sais bien, Noway. Nous avons abîmé cette planète. Beaucoup trop. Nous ne pouvons-nous permettre de perdre ce qui reste. C’est notre seule maison.

C’est faux ! Elle vient de me montrer que c’est faux !

Elle a dû me sentir tressaillir, car elle poursuit :

  • Autour de nous, il n’y a qu’un univers inhumain et hostile.

Elle m’a serré le poignet sur les deux derniers mots.

  • Selon toi, les Bulles et le DC ne sont pas inhumains et hostiles ? lui rétorqué-je, outré.
  • Si, bien sûr, pour nous les HC, mais pas pour les Bullites…
  • Si Ariel, pour les Bullites aussi ! Pour eux surtout, en vérité ! Ce qu’on leur fait subir, à leur insu qui plus est, est terrifiant !

Elle me lance un regard interloqué.

  • Ils ont une vie tranquille et confortable, épargnée de tous dangers.
  • On les oblige à oublier qui ils sont ! On leur enfonce dans le crâne qu’ils sont heureux ! À coups de décharges électriques, toutes les semaines ! Malgré tout, pour les en convaincre, il faut leur offrir le spectacle du massacre d’autres êtres humains, tous les ans ! Tu appelles ça une vie tranquille et confortable ? C’est même pas une vie ! finis-je, en la fixant d’un regard furieux.

Surprise par mon accès de colère, mais ne semblant pas effrayée, elle affronte mon regard.

  • Calme-toi, Noway. Vu comme ça effectivement, leur existence n’est pas enviable. Mais, je ne comprends pas pourquoi cela te met dans une si grande fureur.

Son ton calme me ramène à un état plus contrôlé. Je m’adosse à nouveau à la tête de lit.

Alka, bien entendu, mais pas que...

  • C’est l’impression qu’on est tous des marionnettes qui me rend fou.
  • Tu t’en étais rendu compte avant, j’espère ? persifle-t-elle.
  • Oui… Je sais bien que nous sommes des pions dans ce jeu macabre. Seulement, il me semble que cela va plus loin… Et j’ignore pourquoi.
  • Je ne comprends rien à ce que tu racontes. Qu’est-ce qui peut bien te faire penser ça ?

Je soupire parce que j’en ai marre de ce jeu d’acteurs, marre de ne pas pouvoir m’exprimer autrement que par des chemins détournés. Malgré ce ras-le-bol, je prends le temps de peser mes mots.

  • Après l’épreuve, j’ai été emmené en salle de diagnostic. Mon examen a montré que j’étais en pleine forme. Malgré tout, j’ai été endormi pour, soi-disant, me réhydrater et me donner des vitamines. Aucun de ceux qui sont sortis indemnes de l'épreuve n’ont eu droit à ce traitement.
  • Comment le sais-tu ?
  • Les autres me l’ont dit au dîner.
  • Peut-être que tu as droit à un traitement de faveur… un boost.
  • C’est ce que William a supposé. Mais ça n’est pas logique. MAGIE a menacé de me tuer, de tuer la femme que j’aime. Et pire encore, si je ne me conforme pas à ces ordres. Or, je ne le fais pas ! Alors, pourquoi me ferait-elle bénéficier d’un traitement de faveur ?
  • Peut-être est-ce l’inverse ? Peut-être qu’elle te plombe ? suppose-t-elle d’un ton peu convaincu.
  • Non, je ne pense pas. Je ne me suis jamais senti aussi bien.

Sa main se pose à nouveau sur la mienne tandis qu’elle regarde un point indéfini devant elle.

  • Peut-être que tu es spécial, alors ? dit-elle avec un petit rire, comme si c’était une boutade.

Sa main agrippée à la mienne me déclare tout le contraire.

  • Je vois pas en quoi, riposté-je en esquissant un sourire en coin.
  • Bah, je sais pas, c’est vrai que t’es quand même unique dans ton genre… Peut-être qu’elle apprécie, finalement, continue-t-elle sur le même ton. Peut-être qu’elle veut te copier en plusieurs exemplaires ?

Ce qu’elle sous-entend me glace le sang, d’autant que je n’en comprends toujours pas la raison. Il faut pourtant que je continue à feindre.

  • Genre… pour pouvoir me tuer plusieurs fois histoire que ça imprime bien pour tout le monde qu’il est inutile de la défier ? grincé-je.

-- Voilà ! Tu vois que ça se tient finalement !

Nous éclatons ensemble d’un rire amer. Celui-ci s’éteint très vite pour laisser place au silence. Perdu dans mes pensées, j’écoute sa respiration ralentir. Je lui jette un coup d’œil. Les yeux mi-clos, le teint pâle, elle semble épuisée et triste. Pour la première fois, elle me paraît vulnérable ou peut-être humaine, tout simplement. Un flot de questions me traversent, se résumant à une seule : par quels chemins cette femme s’est-elle retrouvée ici ? C’est en essayant de répondre à cela que je me souviens que je ne dois pas lui faire confiance. Je serre le poing qui se trouve toujours sous sa main.

À ma grande surprise, elle se rapproche de moi jusqu’à poser sa tête sur mon épaule.

  • Ne t’inquiète pas. Je te protégerai… murmure-t-elle d’une voix ensommeillée et presqu’inaudible.

Quelques secondes après, elle s’est assoupie.

Alliée ou ennemie ? Si j’en crois ses dires, cette mystérieuse armée veut me cloner. Pourquoi ? J’ai beau cherché, je ne vois pas ce que je pourrais avoir de si spécial. Et puis, pourquoi attendre aussi longtemps ? Cela fait des mois que je suis sous les Bulles… MAGIE sait d’où je viens. Il aurait été nettement plus facile de m’attraper dans le désert, ni vu ni connu, et le tour était joué. Pourquoi maintenant ? Ou plutôt depuis quand mon ADN est-il devenu exceptionnel ? Peut-être essaient-ils de me rendre complètement fou avec leurs histoires à dormir debout ? Je ne sais plus.

Edan. Mon instinct me dit qu’Edan, le colonel, est la clef. Lui, il a la réponse. L’a-t-il dit à Ariel ?

L’espace d’un instant, je l’observe, sans défense, endormie contre mon épaule. Elle est affaiblie. Je pourrais la réveiller et la contraindre à me répondre. Craquerait-elle ? C’est une soldate après tout. Elle est dure au mal, elle l’a prouvée dans l’Arène. Et après ? Ils me tueront ? Ils tueront Alka ?

Tandis que j’hésite, la porte coulisse pour laisser entrer William et Ella. D’un doigt sur la bouche, je leur fais signe d’être discrets. Tandis qu’Ella gagne la salle de bains, William s’approche doucement.

  • Ça va ? me chuchote-t-il. Pas de problème avec Alka ?
  • Non, elle voulait juste me rendre le pendentif qu’elle m’avait emprunté.
  • Oh, et Ariel, ça va ?
  • Oui, on discutait… et puis, elle s’est assoupie. Elle est à bout de forces.
  • Oui. Il est tard. Tu veux que je t’aide à la mettre dans son lit ou bien… ?

Le sous -entendu ne m’échappe pas, mais je ne relève pas.

  • Va préparer son lit. Je l’amène.

Il acquiesce et s’éloigne. Je me lève doucement et la saisit. Instinctivement, elle s’accroche à mon cou sans se réveiller. Je la porte et la dépose sur sa couche, puis la borde comme je le faisais avec Kaly, il y a longtemps.

Peut-être vais-je le regretter, mais je suis content de ne pas être passé à l’acte.

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