3- Un Homme de Compagnie

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Maya parle à tort et à travers, comme à l’accoutumée. Je l’écoute d’une oreille distraite pendant que je dessine. Cette activité m’empêche de devenir fou. Par bonheur, cela plaît à ma maîtresse qui s’en sert même pour son travail de créations de vêtements.D’ailleurs, toujours babillant, elle me prend le Pad des mains.

  • Je vais transférer quelques-unes de tes œuvres sur mon cloud, elles m’inspirent. Toi, va te préparer, ta séance est dans trente minutes.

Je la dévisage sans comprendre.

  • Oh, j’ai oublié de te prévenir…Je t’ai inscrit dans une salle de sport ! s’écrie-t-elle, l’air ravie. Ainsi, tu vas sculpter ce corps déjà si beau. Mes amies vont être vertes de jalousie, poursuit-elle, en me caressant le torse d’un air matois.

Je laisse ce frisson de dégoût si familier me parcourir les vertèbres avant de lui demander de quoi il s’agit.

  • Il s’agit d’activités physiques spécialement conçues pour les HC. Allez, dépêche-toi, j’ai déjà téléchargé l’itinéraire sur ton holobracelet, m'enjoint-elle en me poussant vers la sortie.

***

Quelques minutes plus tard, j’arpente ce monde étrange en suivant les instructions.

Avant d’entrer, j’imaginais que, sous Bulle, se cachait le paradis perdu. J’étais persuadé qu’elles étaient des écrins protégeant des fragments du monde merveilleux que nous avions détruit et dont nous percevons parfois les échos quand nous explorons des sous-bois regorgeant de formes de vies multiples, quand nous contemplons un pic si colossal qu’il tutoie le ciel, quand la mer pourtant moribonde, se pare de couleurs chaleureuses pour accoucher de l’astre solaire. Je me trompais. Il ne reste rien de ce monde enchanteur que nous avons perverti, peut-être n’a-t-il jamais existé.

Ici, tout est mort, sauf les humains. Jamais le vent ne vous ébouriffe les cheveux ou ne vous gifle le visage. Il n’y a pas de pluie, pas d’orage, pas de jour de soleil doux ou écrasant, il n’y a même pas de soleil, ni même d’étoiles. Juste un toit aux reflets verts et maladifs. Seule la clarté change.Vous n’aurez jamais de cailloux sous vos chaussures, ni de poussière des chemins sur vos vêtements. Il n’y a que des routes lisses et droites. Tout est carré, fonctionnel et si triste. Les bâtiments sont gris, toutes comme les voies de circulations dont seul le balisage jaune tranche dans ce dégradé de gris. Des formes cubiques aux angles acérées vertes et argentées parsèment les différents quartiers. Il paraît que c’est pour égayer le décor. Pas de courbes, pas d’espace en friche à découvrir, pas d’odeurs non plus. Les Bullites trouvent cela joli, merveilleux et tellement bien pensé. Pas un jour ne passe sans que j’entende l’un d’entre eux s’extasier du génie de MAGIE qui a rendu leur monde sous cloche si parfait.

Au début, je n’ai pas compris comment les Bullites, des êtres de la même espèce que moi, pouvaient s’épanouir dans cet environnement, sans devenir fous à lier.Et puis, Maya m’a parlé de l’Optimem. Ce système infernal, instauré par MAGIE évidemment, qui a fini de broyer les humains.

Alors que j'essaie de me détacher de ces sombres reflexions, j’entre dans le quart des loisirs où se trouve la salle de sport. C'est bien, l'organisation est si simpliste que c'est un jeu d'enfant de se repérer. Je ne peux que reconnaître que c’est parfait pour une population d’amnésiques.Me voilà devant le bâtiment : un grand cube gris ceinturé d’énormes baies vitrées opaques. Deux portes coulissent silencieusement pour me laisser entrer. Devant moi, une gigantesque salle où des hommes s’exercent.

À mon entrée, Je suis impressionné par le nombre et la sophistication des machines mises à notre disposition. Alors que je déambule entre les différents équipements, sans trop savoir par où commencer, une voix m’interpelle :

  • Bonjour, je suis Dan, le responsable de la salle. C’est la première fois que tu viens ici, n’est-ce pas ?

Je hoche la tête à l’attention de l’auteur de ses propos. En sueur et les muscles saillants, il me gratifie d'un sourire courtois.

  • Alors, tu devrais essayer le tapis de remise en forme à programmation intuitive, ce serait un bon début.

Devant mon air interrogateur, il me fait signe de le suivre. Il s’arrête devant un carré noir de deux mètres sur deux qui n’a vraiment rien d’extraordinaire.

  • Ça ne paie pas de mine mais tu vas voir, c’est sympa, me dit-il en m’invitant à me placer dessus.

Tandis qu’il me souhaite une bonne séance, un cube tout juste visible se déploie autour de moi. Il scanne un nombre phénoménal de données biologiques et physiques. En une minute, ce truc sait plus de choses sur moi que n’importe qui… moi inclus : taille, poids, rythme cardiaque, tension, masse graisseuse et tout un tas d'autres paramètres dont je ne comprends même pas la signification.

  • Paramètres enregistrés, déclare une voix synthétique. Veuillez choisir votre objectif. Vous pouvez en combiner plusieurs.

Devant moi, des mots lumineux apparaissent : endurance, résistance, force, souplesse, musculation, affinage de la silhouette…

Je choisis les quatre premiers. En quelques secondes, le cube élabore un programme et déploie autour de moi tout l’environnement virtuel adéquat. Un compte-à-rebours se déclenche. À zéro, un homme virtuel apparait pour me faire signe de le suivre. Je m’élance derrière lui. Il me fait courir, grimper, sauter, à des vitesses différentes, sous des gravités modifiées, dans des paysages complètement fous... C’est hyper immersif ! J’apprécie tellement qu’à peine fini, j’en redemande. J’enchaine sur une seconde séance. J’en sors complètement lessivé, essoré corps et âme. Assis à côté du cube, dégoulinant de sueur, j’ôte mon t-shirt, qui tient plus de la serpillière tant il est humide, quand un jeune garçon s’approche pour s’enquérir de mon état.

  • C’est votre première, n’est-ce pas ?

Je hoche la tête, encore trop essoufflé pour répondre. Je réussis tout de même à me relever pour le saluer. Il est plus petit que moi, une fois debout, sa tête ne dépasse pas ma ligne d’épaule.

  • Moi c’est Noway, et toi ? me présenté-je, en lui tendant la main.

Ses yeux s’écarquillent, il ouvre et ferme la bouche comme s’il manquait d’air. C’est presque comique cependant je m’interroge sur son état mental.

  • Ça va ?
  • Oui, oui, pardon, c'est juste que j'avais jamais vu un pendentif pareil... On dirait des diamants, non ? Et t’as bien dit Noway, c’est ça ?
  • Ouaip, c'est bien ça. Concernant le pendentif, je sais pas, je l'ai trouvé : la seule chose dont je sois sûr, c'est qu'il s'agit d'un papillon, mais j'ignore si c'est du diamant. Et toi, comment dois-je t’appeler ?
  • Euh, Hélio. T’es nouveau, non ?
  • Oui, je… suis HC d’une jeune femme depuis peu…
  • Ah, ça va, t’es verni ! Moi, je suis HC dans une entreprise qui livre la bouffe. Y’a pire mais c’est pas transcendant comme occupation .

Il sautille d’un pied sur l’autre semblant hésiter à continuer.

  • Si tu veux, se lance-t-il, je pourrai te faire visiter… les endroits sympas pour nous ici.
  • C’est-à-dire ? lui demandé-je, circonspect.
  • Ben, tu sais, les bars où on peut boire des coups, décompresser, discuter tranquillement entre nous. Par exemple, ce soir, je sors. Tu peux venir, si tu veux ?

L'idée est séduisante, mais je refuse. Jamais je n’accorde ma confiance à la première rencontre. Mon excuse est toute trouvée, ce soir, la meilleure amie de Maya vient pour dîner. Ma maîtresse a été très claire, je dois être présent et à l’heure. Elle veut me « montrer », m’a-t-elle dit.Je l'explique à Hélio. Il a l’air déçu.

  • Dommage, une autre fois, peut-être ?

J’opine vaguement de la tête pour ne pas trop me mouiller.

  • Tu comptes revenir ici ? s’enquiert-il.
  • Oui, ça m’a plu.
  • Super, on se recroisera certainement, alors.
  • Y’a des chances, en effet. Bon, je dois y aller.
  • Oh, d’accord. Content d’avoir fait ta connaissance et peut-être à la prochaine, dit-il en tendant la main.

Je la serre sans piper mot mais avec un sourire et prend le chemin de la sortie. Il est l’heure de rentrer même si je n’en ai aucune envie.

***

Quand je franchis la porte de l’appartement, Maya et son amie sont en pleine conversation, je décide de ne pas les déranger et de prendre une douche afin d’être présentable. Une fois décrassé, je me rends à la cuisine pour préparer le dîner. Cela n’est pas très compliqué, il s’agit de réchauffer les plats que Maya a commandé au restaurant préféré d’Alka. Pendant que le four fait son office, j’entre discrètement dans le séjour pour dresser la table, elles sont toujours en train de discuter.

Je remarque cependant, le regard entendu que Maya jette à son ami qui lui répond d’un hochement de tête après m’avoir furtivement observé.

Sans broncher, je vais chercher les plats. Quand je reviens, elles sont déjà installées. Je les sers avant de m’asseoir à mon tour.

Durant tout le dîner, elles bavardent. Cela n’empêche pas Alka de me couler des regards en coin. C’est très désagréable, j’ai le sentiment d’être passé au crible. Alka a une présence très « robotique ». D’ailleurs, elle parle presque comme une IA. Maya m’a dit qu’elle est d’une intelligence supérieure et que je ne devrais pas m’étonner si je ne comprends pas tout ce qu’elle dit. J’étais intrigué alors je l’ai écoutée attentivement durant tout le dîner. J’ai bien peur d’avoir tout compris. C’est terrifiant. Cette jeune femme conçoit des êtres humains destinés à diverses fonctions. D’après ce que j’ai compris, elles les paramètre, comme elle dit, c’est-à-dire qu’elle définit leur poids, leurs tailles, leur capacités intellectuelles en fonction de l’emploi auquel ils sont destinés. Ensuite, ils sont fabriqués en série, comme des objets.

L’esprit en feu, Je dessers la table, leur apporte leur infusion de thé jasmin puis me rassoit pendant que Maya prépare la présentation holographique de ses prototypes de robes prévues pour son prochain défilé.

  • D’où venez-vous, Noway ? me demande, de but en blanc, Alka.

Maya m’a aussi informé que son amie étant en quelque sorte une experte en HC, je susciterai certainement sa curiosité. Nous y voilà.

  • De Dehors, lui dis-je laconiquement.
  • Oui, ça, je l’avais vu. Mais d’où, pas des abords de B2 ?
  • Si.

Seul un léger tressaillement de sourcil traduit une émotion mais en est-ce vraiment une ? Elle pianote rapidement sur son Holobracelet. Un écran en jaillit. Il y apparait une liste qu’elle manipule à une vitesse folle.

  • Oui, vous avez un contrat en faveur d’Isa B2260276889, sa progéniture et un de ses ascendants, c’est ça ?

Je hoche la tête sans mot dire.

  • Qui est-ce pour vous ? votre partenaire sexuelle ou, de la famille comme vous dites ?

Dans sa bouche, ces mots semblent laids, ils parlent pourtant d’amour, de tendresse, de plaisir aussi. Ils évoquent la vie, la création, les liens qui unissent les êtres vivants.

  • C’est une amie, réussis-je à répondre platement.

Elle semble à peine écouter la réponse.

  • Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Ces questions indiscrètes posées par cet être sans cœur mettent mes nerfs à rude épreuve. L’effort que je dois fournir pour ne pas l'envoyer paître est presque insoutenable.

  • Alka, ça suffit. Tu vois bien que tu le mets mal à l’aise, intervient, fort à propos, Maya.
  • C’est juste que c’est étrange, il ne correspond pas aux morphotypes standard de B2, ni de…
  • Qu’est-ce que ça peut faire qu’il vienne de la 2, la 3 ou la 4 ? Il est magnifique, c’est tout ce qui compte, n’est-ce pas ?

Alka me quitte des yeux pour acquiescer. Moi, je fulmine intérieurement, je jure de ne jamais m’habituer à être traité ainsi.

Malgré tout, je reste stoïque. Je me dis que j’aurais dû accepter l’invitation d’Hélio. Au pire, je l’aurais semé après qu’il m’ait conduit dans ces endroits où l’on se retrouve entre HC. Je vais avoir besoin de rencontrer des êtres sensibles et conscients sans quoi je vais devenir fou.

Maya me laisserait-elle y aller ? Je décide de tenter ma chance, cela empêchera peut-être Alka de reprendre son interrogatoire.

  • Pardonnez-moi, maîtresse, de vous déranger mais j’ai quelque chose à vous demander. À la salle de sport, j’ai rencontré un autre HC, il m’a proposé d’aller boire un verre. Pour ce soir, j’ai refusé, bien sûr. Je me demandais si vous me donneriez-vous la permission d’y aller si l’occasion se présente à nouveau ?

Maya me fixe, les sourcils froncés.

  • Je suis heureuse que tu aies des interactions avec tes congénères, c’est bénéfique pour ton équilibre psychique, me débite-t-elle, d’un ton mécanique que je ne lui connais pas.

On dirait une leçon apprise par cœur, songé-je.

  • Aussi, vais-je t’accorder l’autorisation. Cependant, il y a des conditions : interdit d’abuser de la boisson ou d’une quelconque drogue, interdit de fréquenter une maison des plaisirs et tu dois être rentré et prêt à travailler avant que je sois levée, soit six heures. Si tu venais à outrepasser une de ses règles, toute sortie serait proscrite. Est-ce clair ?
  • Oui, maitresse, lui affirmé-je en baissant la tête, jouant à merveille, je l’espère, le HC soumis qu’elle veut que je sois.
  • C’est entendu, alors.
  • Merci maitresse. Je vois que vous allez présenter votre travail à votre amie. À moins que vous n’ayez encore besoin de moi, puis-je aller dormir ?
  • Tu peux y aller.
  • Merci. Bonne soirée et au revoir Madame Alka.

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