20- Sortir de sa Bulle ( 2/3)

8 minutes de lecture
  • Noway, prends les sacs avec l'équipement, on y va !

J’ai presque crié. Il se lève en me regardant d'un drôle d'air.

  • Tu es sûre ?

J'ai déjà ouvert la porte d'entrée de l'appartement.

  • Oui ! Va chercher les sacs et rejoins-moi, réitéré-je en me dirigeant vers le caisson.

Un instant après, il me rattrape à l'entrée de celui-ci. Je m'empare du sac qu'il me tend, en silence fort heureusement, et m’enferme dans la cabine pour me préparer. Je ressors rapidement, lui laissant la place mais il semble hésiter.

  • Quoi ? lui jeté-je à la figure avec une hargne involontaire.
  • Pourquoi on s’habille comme ça ? Qu’est-ce que c’est que ça ? demande-t-il en me montrant au creux de sa main, la boule gélatineuse que formait le casque osmotique.

Excédée, Je soupire avant de lui expliquer que la combinaison est composée d’un polymère particulier qui, sur simple pression, se rigidifie, formant une coque ultra fine et résistante pouvant nous protéger en cas de danger. Ensuite, je retire le casque osmotique que j’ai déjà sur le visage. Celui-ci retrouve sa forme de sphère. Je lui fais la démonstration pour l’enfiler. Il suffit de le maintenir sur le front et d’appuyer légèrement, il se déploie épousant les contours du visage, s’insérant dans les fosses nasales et la cavité buccale afin de filtrer l’air.

Il fait la moue et affirme qu’il s’en passera.

  • On n'a pas d’armes ? s'enquiert-il.
  • Et pour quoi faire ? Tu veux chasser ?
  • Non. Mais il y a des prédateurs dans les forêts…
  • Noway ! Tu nous prends aussi pour des demeurés ? Il y a une barrière de protection tout autour du parc et des dispositifs répulsifs. Donc, pas de prédateurs ! Tu veux bien aller te changer maintenant, on n'a pas toute la journée bon sang !

Je remarque qu’il est surpris voire offusqué de mon mouvement d’humeur, mais il obtempère sans un mot.

À sa réapparition, pour éviter toutes tergiversations, j’ouvre le sas et commande aussitôt la Transition et l’ouverture sur le Dehors.

Quelques secondes suffisent.

Pour la première fois depuis ma naissance, plus rien ne me sépare de ma planète.

Dès le premier pas, un ouragan de sensations chaotiques m'emporte, je perds tous mes repères et me désagrège dans un cri strident.

Une force me tire vers l’arrière. Le sas se referme. La pénombre. Le silence.

Ma gorge douloureuse me ramène à moi-même. Mon cerveau malmené réussit tant bien que mal à donner un sens à ce que je ressens : je cherche mes mains, mes pieds, mon corps. Je m’enlace de mes bras croisés sur ma poitrine, je serre fort. je suis entière !

Noway, qui d’autre, m’a mise en sécurité. Il est assis, ses yeux vigilants posés sur moi.

  • Je crois que tu as fait une crise de panique, Alka, dit-il doucement, lorsque je me tourne vers lui.

Je grince des dents.

  • Tu es en colère ?

Je nie d'un mouvement de tête et ferme les yeux afin d'échapper à son interrogatoire.

  • Je veux qu'on y retourne, dis-je d'une voix fébrile.
  • Alka, que s'est-il passé ? insiste-t-il
  • Je sais pas, d’accord ? Il faut juste que je m’habitue. Cesse de m'importuner avec tes questions et allons-y !

Il m’attrape le coude et me tourne vers lui avec une facilité désarmante.

  • Alka, si tu ne te calmes pas, on ira nulle part !

Son regard s’est durci et sa voix vibre de colère contenue. Paradoxalement, je préfère ça.

Je ris d’une manière aussi soudaine qu’hystérique. Une petite voix intérieure me susurre tranquillement que je suis au bord de la crise de nerfs. Je dois me calmer, rajoute-t-elle. M'accrochant à ce vestige de lucidité, Je cherche le banc des yeux pour m’y laisser choir. La tête entre les mains.

  • Dis-moi comment tu te sens ? s'entête-t-il.
  • Je suis épuisée… je suis stressée…

Je lutte pour faire face et mettre en fuite la folie qui me guette, pour mettre des mots sur ce qui m’est arrivé quand le Dehors m’a percuté. Je le sens s’asseoir silencieusement près de moi. Je le supplie intérieurement de ne pas ouvrir la bouche. Je tiens quelque chose, un début de réponse.

  • J’ai envie d’aller dehors mais… il y a tant de choses à appréhender. Je n’y comprends rien, ça n’a pas de sens pour moi, je n’en trouve pas. Ça me rend dingue. Je ne veux pas rester dans ce sas mais je ne suis pas certaine de pouvoir en sortir ! »

Des larmes de soulagement coulent sur mon visage. Je n’ose pas le regarder. Il doit me trouver pitoyable.

À ma grande surprise, il se lève et me tend la main.

- On y va ?

Je le fixe de mes yeux rougis de larmes, incrédule. Il demeure silencieux. Alors, je saisis sa main.

J’avance, je force chacun de mes muscles à bouger alors que chaque cellule de mon corps réclame de fuir. À nouveau, je suis assaillie. Des sons attaquent mon intégrité physique. Mes tympans sont percutés par des ondes sonores aigües arrivant de partout, comme des milliers de petites aiguilles. Leurs vibrations forent un chemin jusqu’à ma boîte crânienne et m’envahissent.. Des cris invraisemblables ! Humains ? Quelqu’un qui s’étouffe, hoquète. Je sombre avec cette image, ce son ne m’appartenant pas mais qui provoque des contractions involontaires de mon larynx, obstruant MA gorge !

Simultanément, des crissements tels d'innombrables et minuscules êtres vivants, prennent l’assaut de mes chevilles et de mes mollets en de longues files urticantes s’étendant en nappes acides sur ma peau.

Et la lumière ! Elle me griffe la rétine ! Des lames de rasoirs chauffées à blanc incendiant mes nerfs optiques, tandis que des petits bouts de paysage tombent comme des éclats de miroirs brisés pour ensuite se replacer de manière anarchique.

Je ne sais plus rien. Où est mon corps, où commencet-il ? Où finit-il ? Ce flot de sensations entre en moi, m’écartèle aussi sûrement que ces engins de torture remis au goût du jour par MAGIE lors d’un DC, il y a quelques années : le chevalet ou le tourniquet…

Alors que ce torrent furieux menace de m’emporter et de me briser corps et âme, une forte pression s’abat sur mes épaules. Tout le paysage tourne autour de moi en un fondu enchaîné multicolore et deux mains viennent percuter mes oreilles. Mon corps s’agite en soubresauts désordonnés pour échapper à cette emprise que je ne comprends pas.

  • Alka !

Sa voix frappe mon visage comme un burin.

  • Tais-toi !
  • Alka, arrêtes de te débattre… C’est moi.

Chaque mot a la violence d’un uppercut pourtant il chuchote.

  • Tais-toi ! Lâche-moi !
  • On rentre.

Cette dernière phrase est un électrochoc.

Non ! je refuse d’abdiquer. Si je rentre, jamais je n’aurais la force de retenter l'expérience.

Alors, je fais la seule chose dont je suis encore capable : Je hurle.

  • NON ! TAIS-TOI ! LAISSE-MOI ! JE VEUX RESTER ICI !

Puis, privée de toutes forces, je m’effondre, vide ! Le souffle coupé, je laisse mes yeux se clore accueillant avec soulagement, cette cécité temporaire. il m'attire contre lui. Ma tête se pose contre son torse, ses mains et les miennes formant un rempart imparfait mais salvateur aux ondes sonores ennemies. Je perçois alors les battements affolés et anarchiques de mon cœur qui semble vouloir s’extirper de ma poitrine. En écho, le sien marque un rythme puissant et régulier auquel Je m'accroche.

  • Est-ce que ça va mieux ? me demande-t-il, quelques instants plus tard.

  • S’il te plait ! Je veux y arriver… aide-moi ! lui soufflé-je en réponse.

Une tension fugace le traverse puis disparait.

  • D'accord. Qu’est ce qui te met dans cet état ?
  • Les bruits. Il y en a trop. Ça me fait mal ! Et la lumière… trop forte.
  • Il n’y a pas moyen que ton casque osmotique atténue ces phénomènes ?

Pétrifiée, je laisse sa question voyager jusqu’à mon cortex traumatisé.

Comment est-il possible que je n’y ai pas pensé ? Evidemment que le casque a cette fonctionnalité !

Aussitôt, je tâtonne à la recherche de l’accroche adéquate et manœuvre pour qu’il couvre mes yeux et mes oreilles. L'enveloppe froide tapisse aussitôt mes conduits auditifs puis recouvre mes globes oculaires. Cela atténue moins que je ne l’espérais, mais la différence est tangible. Le flot de sensations reste difficilement supportable mais j'ai le sentiment de pouvoir l'affronter.

Je regarde Noway et ose un sourire pour lui signifier que cela fonctionne.

  • Bien. Tâchons de mettre du sens à ce que tu entends, pour commencer… ferme les yeux et décris-moi les sons et je t’expliquerai ce que c’est, d'accord ? »

À regret et avec appréhension, je le sens écarter légèrement ses mains de ma tête.

L’instant d’après je sursaute, un flot de sons stridents et suraigüs arrive de toutes parts, me transperçant les oreilles. Il n’attend pas la question. Il s'agit d'oiseaux, des pinsons, des verdiers. Il me les décrit, petits, ils peuvent tenir dans ma main. Si petits à vrai dire, qu’il est difficile d’apercevoir plus que leur ombre voletant de branches en branches. Leur plumage, selon les espèces, arborent différentes couleurs, du brun fauve au jaune citron avec parfois des touches de bleu, de rouge…

Un cri plus grave, rauque, me fait tressaillir. Comme tout à l’heure, quelqu’un qui manque d’air et hoquète. Noway étouffe un rire. C'est,selon lui, un grand Tetras, un oiseau encore, plus gros, au corps sphérique et au plumage noir. À son cri, iI reconnait une femelle manifestement dérangée par notre présence.

Ainsi Noway identifie chaque bruit que je lui signale. Les crissements sont provoqués par de petits rongeurs, les sporadiques bruits de glissade par des lézards et les bourdonnements signent le vol de petits insectes ailés. Il me décrit patiemment chacun de ses animaux, leur forme, leur couleur et leur comportement.

Petit à petit, focalisant sur sa voix et son discours, je m’apaise, mon cœur et ma respiration ralentissent.

  • Je suis prête à regarder, lui affirmé-je en m'écartant un peu de lui.

j’ouvre les yeux ; Prise de vertige, je les referme aussitôt. Il rit doucement, m’attire à nouveau contre lui.

  • Gardes les yeux fermés, je t’emmène. me murmure-t-il.

Il m’entraîne, à pas lents, se place derrière moi et me dit de tendre les bras. Mes mains guidées par les siennes rencontrent une surface dure, écailleuse. À mon oreille, sa voix me chuchote que c’est un arbre, son tronc. Nous l'enlaçons. Je peux tout juste l’enserrer , mon oreille collée à lui. Bizarrement, je trouve ça doux, presque chaleureux, apaisant. Il m’en décrit l’écorce, m’en fait toucher les feuilles, me le dessine avec ses mots. Puis toujours les yeux clos, il me fait faire encore quelques pas, en me détaillant le sol. Moussu et parsemé de feuilles mortes, cela le rend meuble, spongieux. Il attire mon attention sur le son de nos déplacements. Il guide mes mains vers les buissons aux feuilles dures et coupantes, mais aussi aux branches plumeuses qui chatouillent. Il guide mes doigts à la rencontre de l’herbe humide, de la terre. Je sens le parfum des fleurs dont il me donne les couleurs.

Lentement, un tableau naît dans mon esprit. Je commence à imaginer l’espace dans lequel je circule. Les sons, les odeurs, les sensations prennent forme, se colorisent et se lient. Je les nomme, j’en reconnais certaines…

Quand il s’arrête à nouveau, j’ose regarder.

C'est extraordinaire. Je tremble toujours, bien sûr, mais je ne me sens plus assiégée, j'habite pleinement cet espace. Je me tourne vers lui. Il a l’air troublé, inquiet.

  • On continue ? lui demandé-je en souriant.

Il sourit à son tour et nous nous engageons sur le sentier.

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