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Juin 1975

Fernand roule prudemment. Il ne voudrait pas endommager sa nouvelle Vauxhall en heurtant du gibier. La route qui tortille les ramène à Horgnieux où ils sont installés depuis leur mariage deux ans auparavant. Jacqueline tient le bébé dans ses bras. Ils ont passé la douane française juste avant le petit pont sur la Dirn. Les volets étaient tirés, aucun contrôle. C’est tant mieux. Fernand ne supporte pas ces cons de Français en uniforme, toujours à faire de leur important. La différence entre un Français con et un Belge con, c’est que pour un Français, faut aussi mettre la majuscule à Con. Jacqueline sourit et tapote la cuisse de son mari. Leur fils est endormi. C’est un bébé facile, ils peuvent l’emmener partout. Ils sont à mi-chemin. La douane belge est encore loin, à l’entrée de leur village, six kilomètres plus haut, mais elle n’est jamais ouverte après vingt-deux heures. Soudain Jacqueline pousse un cri dont elle a le secret, un sursaut d’angoisse qui ressemble à une expiration d’asthmatique. Cette brutale crispation que sa jeune épouse lui impose régulièrement en voiture exaspère Fernand. Il s’apprête à lui demander si elle a vu un kangourou quand il aperçoit les lumières sur le côté de la route. Les lumières et les silhouettes.

Fernand ralentit. Des automobilistes en panne. Il n’a pas le temps de rassurer Jacqueline, à peine le temps de penser. C’est bizarre, aucune voiture en vue, seulement ces quatre types qui font de grands signes avec des lampes torches, ils ont peut-être eu un accident dans le bois. Il débraye pour se mettre au point mort. La nuit est très noire, mais il baisse ses phares pour ne pas les aveugler. Il s’apprête à tourner la petite manivelle pour ouvrir la fenêtre et demander si tout va bien. Mais les hommes se regroupent à l’avant de la voiture et sans un mot la soulèvent tandis que l’un d’eux clinche la portière de Jacqueline.

Fernand est un instinctif, sa voiture est anglaise, une traction arrière, il en est fier. Il n’hésite pas, donne un coup d’accélérateur, fonce. Les hommes entendent le moteur rugir et se jettent sur le côté. Deux d’entre eux leur courent derrière, mais sont vite distanciés. Fernand continue à accélérer, il faut pourtant qu’il ralentisse sinon il va rater le prochain virage, celui de Bafort (Bafort-la-mort). Il a la mâchoire crispée, se tourne enfin vers Jacqueline. Ben dis donc, heureusement que j’avais fermé le verrou de ma portière. Sa femme l’étonne, elle n’a pas hurlé, elle le regarde avec un brave sourire, ça va, le petit ne s’est même pas éveillé.

Quand ils sortent du bois et arrivent sur le plateau avec le pré et les vaches à l’entrée du patelin, Fernand pousse un profond soupir de soulagement. La lune est là toute petite en partie cachée par de légers nuages. Il roule encore trop vite dans la rue principale, s’arrête devant leur maison et rentre la voiture dans le garage resté ouvert. Tu crois qu’on doit appeler la police, demande-t-il. Bah, à quoi bon pour quatre ivrognes, allons nous coucher.

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