Sheila et Ringo vont se marier

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Sheila et Ringo vont se marier

Alors que je n’arrivais pas à trouver le sommeil, perdu dans des pensées qui moulinent des souvenirs enfuis, un garçon de treize ans m’a raconté une histoire.

Comme chaque dimanche soir en période scolaire, mon beau père nous conduit à la gare pour qu’on prenne le train qui conduit à Thionville. Dominique, mon petit frère, a neuf ans et et moi treize.

Il est cinq de l’après m’, c'est l'hiver et le soleil a déjà posé son cul doré au bord de son lit.

Le contrôleur poinçonne nos billets, nous sortons sur le quai pour attendre la micheline. Il fait froid. On aurait pu attendre le dernier moment pour sortir mais, connement, on a l’habitude de faire comme ça, alors pourquoi changer. De toute façon l’autre n’a même pas pris la peine de descendre de la voiture et a redémarré en trombe, il aurait dit : “ dégagez! et bon débarras “ c’était tout comme.

À dix huit quinze,y fait nuit, on arrive. Deux minutes pour descendre du train avec la valise, pas facile pour deux mômes mais, il faut dire qu’on s’démerdent pas si mal. Après on a le temps, le rendez-vous avec le bus est à huit. Le plus difficile, en ce mois de janvier, c’est de trouver un endroit où patienter et éviter d’se les g’ler.

Je porte les deux valises mon p’tit frangin, avec ses petites guiboles, c’est pris une gamelle y’a deux semaines.

Je m’en veux d’ l’avoir engueulé parc’qu’il chialé mais j’avais eu plus peur que j’lui en voulais. Tout l’monde se r’tournait sur nous. Moi devant avec les deux valoches et lui qui suivait en brayant qu’il avait mal. Faut dire qu’il avait la paume de la main déchirée et mon mouchoir plein d’morve noué autour de son genoux pour éviter qu’ça saigne trop. Un coup pour se r’trouver à la DASS. Le pire c’est que quand on est rentrés l’samedi, j’ai raconté qu’il était tombé dans la cour de récré de peur que l’autre y trouve encore une excuse de nous punir pendant les prochaines vacances et les quelques heures qu’on passe à la maison.

J’vous laisse compter.

Sachant que le train du retour arrive à 4 de l'après-m’, couché à 7 du soir( alors que la fermeture de l’épicerie qu’ils tiennent ferme à sept.trente), levée à 9 du mat’( pour ne pas déranger monsieur qui dort) fin petit dej à 10, “allez voir dehors voir si j’y suis” jusqu’à 13( quelque soit le temps) fin de la sieste à 16, départ pour la gare 16.30. Calculez le temps passé avec ma mère.

Pourquoi elle dit rien vous m’direz ? Ben demandez pas, je comprends pas.

J’devrais avoir honte mais j’ai trouvé l’moyen de piquer des sous dans le porte-monnaie d’la vieille. Pas trop pour pas qu’ça vois mais un peu quand même.

(Ah, la vieille, c’est pas ma mère, c’est la mère de l’autre. Une saleté qui s’fait un plaisir de raconter le moindre de nos écarts et même d’en rajouter).

J’arrive à l’alléger de cinq francs en général. Je sais que si j’me fais piquer il est capable de m’emmener aux flics mais, j’men fout.

Pour l’instant on est dans une p’tite galerie commerciale assis sur un banc on s’tape chacun un cornet d’marrons chauds à un franc et que j’découvre cette chose incroyable en gros titre du magazine que j’viens d’acheter deux francs cinquante: “Sheila et Ringo vont se marier”.

Je mets la couverture de Podium devant les yeux de mon frère.

“ T’as vu Dom ! c’est incroyable”

Dom, y s’en fout, de toute manière il est trop p’tit pour comprendre.

Sept heure et quart, on va rejoindre la place de la liberté, où nous attendent les copains qui comme nous prennent le car pour rejoindre le pensionnat de la Sainte Machine à Bidule, en Belgique.

Je suis en cinquième. J’me suis pris une année de retard.

Quand j’suis arrivé l’année dernière en cour d’année, en France j’étais déjà en cinquième. mais comment faire pour rattraper une année sixième avec neuf heures de latin par semaine.

Pour éviter un double redoublement, j’ai passé mon été au pensionnat, j’étais le seul élève. Ah ça a du lui couter bonbon à l’aut’ con.

Le père supérieur m’a donné des cours particuliers pour rattraper mon retard et bien croyez moi si vous vous voulez, j’ai passé deux mois formidables.

Hormis les trois heures de cour de latin le matin,on m’a emmené au théâtre, au concert, au cinéma et même à la ducasse.

Je mangeais à la même table que les pères (et ils se contentent pas de la nourriture spirituelle) c’était meilleurs qu’à la cantine. j’avais le droit à mon verre de vin et le soir, si le programme le permettait, je pouvais même regarder la télé en leur compagnie.

Cette année en cinquième y’a moins de latin, cinq heures seulement. À la place pendant les quatre heures qui restent c’est grec, c’est pas mal non plus.

Je crois que je suis plus heureux ici que chez moi.

Par exemple, C’est jamais la même personne qui t’sort de tes rêves. Ce matin c’était Nathalie. Mais ça aurait pu être; Mathilde, Bécassine, les belles dames, la fanette, les tantes Jeanne, la mama, Jacky, l’oncle Archibale ou Christobal, les deux pigeons, milord, Jezebel.

Ce soir à la place du ciné club c’est un concert dans la nouvelle salle “l’oiseau de feu “ qui paraît. La semaine prochaine ce s’ra un film: “L’aveu” j’crois. on regarde le film et après on nous explique ce qu’on a pas compris.

C’est comme ça ton école à toi ?

Bon ! Faut qu’j’te laisse, j’ai une version à terminer, j’crois qui a Caesar qui veut passer le Rubico, j’vsai essayé d’lui jeter un sort vite fait.

Après j’irais jouer au foot avec les copains.

Y’en a un qui m’prête sa super colle pour recoller la s’melle de mes “CLARK” (qui s’barrent sur le bitume de la cour) histoire que j’me r’trouve pas toute l’année (comme la dernière) avec des sandalettes en plastique pour m’empêcher d’taper dans l’ballon. Le problème c’est qu’c’est plus dure de r’coller des lanières de plastoc que des s’melles en caoutchouc.

Du coup il a dit aux pères de ne pas m’inscrire dans l’équipe de l’école. Par chance, y paraît que joue pas trop mal alors j’ai découvert qu’la confesse ça doit marcher puisque j’joue sous fausse licence. Pas facile de jouer sous une fausse identité. J’suis comme un agent secret en plus, j’joue numéro sept.

“On va quand même pas laisser gagner les laïques” qu’il a dit le Père Sup.

Y m’ont même trouvé une paire de chaussures à crampons. Moi, j’dis, que s’ils étaient tous comme ça, y’aurait plus de monde dans les églises.

Quand je pense à l’autre con qui croit m’punir. Faudra qu’un jour j’lui dise merci, rien qu’pour l’emmerder.

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