De Cette à Toulouse (fin)

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De Cette à Toulouse

5ème partie

Le parfum de Mazamet

La ville est en grand chantier, on y construit la ligne de chemin de fer.

A plusieurs reprises de grosse explosions se font entendre, ce qui n’arrange pas ma crainte.

Mon père m’explique qu’il faut faire sauter à l’aide de dynamite des morceaux de montagne pour permettre aux trains de passer.

Tiens ! bizarre !

On a pas dormi ? Ni mangé ?

Nous traversons de nouveaux paysages.

Nous longeons une route sinueuse qui suit un vallon dominé par des collines qui deviennent de plus en plus hautes au fur et à mesure que nous avançons.

- Elles sont hautes les collines ici.

- Tu as raison, on m’a dit que quelques unes atteignent plus de 1000 mètres et que par temps clair, de leur sommet on peut voir les Pyrénées et même la méditerranée.

Je ne sais pas si je dois le croire. Ne m’a-t-il pas affirmé que de ne pas croire les adultes était devenir grand.

Mais je vois que nous allons bientôt atteindre un village, je vais te résumer la fin de l’histoire.

Deux semaines plus tard, les vendanges vendangées, les moissons moissonnées, il existait, depuis deux ans un nouvel événement aux alentours du quinze septembre, contesté par certain et loué par mon père,

la rentrée des classes.

Dès qu’il en avait l’occasion il me répétait et répétait encore la chance que la France me donnait de pouvoir m’instruire et peut-être un jour de devenir quelqu’un d’important pouvant changer la vie des gens. Mon père avait la fâcheuse habitude de me parler comme à un grand alors que (il est bon de le rappeler) quand cela l’arrangeait j’étais trop petit pour faire cela ou comprendre ceci. Bref souvent ces long discours me passaient au-dessus de la tête. Pour te donner une idée à quel point ceux-ci me survolaient je dirais qu’ils pouvaient voir les Pyrénées et la méditerranée.

Je suis donc rentrée un jour de septembre à l’école laïque pour garçons de Mazamet.

J’étais plutôt bon élève et je ne sais pourquoi l’instituteur, qui était pourtant d’une grande sévérité, me prit à la bonne persuadant même sa femme de m’accepter pour le goûter après la classe pour m’aider à faire mes devoirs.

Mon père travaillait dans une tannerie, au délainage.”

Maintenant tu connais l’origine de mon trouble au sujet de l’odeur qui flottait en sortant de Dijon.

Elle m’était complètement sortie de la mémoire.

Comment cela est-il possible ?

Cinq ans que j’y suis resté.

Les odeurs des pages de cahier, des craies blanches que le maître balançait, depuis l’estrade, en direction de celui qui osait bougeait une oreille, des murs, des portes, sans parler des vêtements, des draps et même la nourriture imprégnés par la soude et les bouillons de nettoyage des peaux. Comment ai-je pu oublier La pourriture se déversant dans l’Arnette?

Un jour, je ne sais pour quelles raisons mon père a disparu. Comme ça, sans rien dire.

Ça devait être... en 86, juste après les élections du conseil général. Je devais donc avoir... quatorze ans.

Ce fut pour moi un choc énorme et j’en tombais malade de désespoir et d’incompréhension.

Tout le monde savait que mon père et l’instituteur soutenaient un candidat socialiste, ce qui n’était pas le cas de la majorité. Les ouvriers étaient parfois plus réactionnaires que la famille Reille, alors patron des délainages et de la ville.

Mon père ne jurait que par Jaurès et voulait que vite les choses changent. Son ami lui conseillait de patienter et que le temps ferait son travail.

Mon vieux répliquait, que quand la lance est plantée dans les pavois, c’est celui qui pousse le premier et le plus fort qui gagne. À ces arguments le maître répondait que l’esquive était aussi une arme.

Je sais que le paternel ne supportait pas la demi-mesure, je pense qu’il a dû pousser trop fort et (comme quatre ans plus tôt) disparaître, mais cette fois-ci, sans moi.

Quand monsieur Lignac m'a appris la nouvelle (comme je l’ai déjà dit) je ne l’ai pas supportée et une fois remis, je décidai de tourner le dos à la montagne noire pour Toulouse.

Je n’y suis jamais retourné.

Mon bon maître Lignac me trouva une chambre chez un de de ses collègues à la condition que je rentre au collège et que je devienne instituteur pour faire honneur à mon père.

“Il n’a pas eu le choix, et je lui ai promis que tu changerais la vie des gens.” me disait-il

Pour lui, donner la connaissance aux enfants c’était leurs promettre une vie meilleure et donner du pouvoir au monde ouvrier.

J’ai promis et j’ai accompli le contrat. Je suis devenu instituteur.

Je sais avoir changé la vie de quelque uns et d’après ce que j’ai cru comprendre à la lecture de quelques articles de journaux, il paraîtrait que le corps enseignant (les hussards de la république d’après un certain Péguy) serait pour beaucoup dans la victoire.

Tout bien réfléchi je ne suis pas sûr de pouvoir m’en réjouir. Faire des enfants de futur jeunes gens prêts à se sacrifier pour la patrie est ma foi une noble cause.

Voir cette même jeunesse déchiquetée par la mitraille, enterrée vivante sous la terre soulevée par les obus, brûlée vive par les lance-flammes, écrasée sous les chenilles où asphyxiée par le gaz-moutarde ne me rend pas fier du travail accompli.

Je leurs souhaitais une vie meilleure pas un sacrifice.

Mais je te raconte ma jeunesse, c’était au siècle dernier et je dois bien t’ennuyer avec mes histoires. Tout ça pour une odeur.

Une dernière chose,

Le jour arriva où il ne me resta que deux billes, je devais avoir pas loin de douze ans et j’ai décidé de ne pas jouer leurs vies.

Regarde ! Levieux met la main dans une poche.

Aujourd’hui encore, deux agates continuent de m’user le fond de la poche. Quand mes doigts les rencontre je me rappelle les paroles de la vieille dame qui pleurait en mangeant sa soupe.

Voilà ce que je souhaitais léguer à mes élèves, des agates”

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