De Cette à Toulouse (3ème partie)

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De Cette à Toulouse

(3ème partie)

Une nuit à Puimachin

- Où on va papa ?

- Pèire m’a conseillé de rejoindre Toulouse.

- C’est loin ?

- Je pense qu’il nous faudra deux semaines pour y parvenir.

- Deux semaines ?

- Hé oui, en comptant les jours nécessaires de pose.

- Papa !

- Oui.

- Je vais retourner à l’école

- Bien sûr, dès que nous aurons trouvé un coin pour nous poser.

- Très bien !

Mon père me regarde et sourit. Sans doute, est-il surpris par ma réponse qui ne souffre aucun commentaire.

Après un petit crochet nous rejoignons le canal du midi.

Si la distance est plus longue, emprunter le chemin de halage offre le double avantage de la tranquillité et de l’ombre des platanes.

Un léger vent d’autan fait danser le reflet vert des platanes sur l’eau.

Quelques vieux somnolents, aucun danger pour les poissons. Comment se laisser berner par un ver accrochés depuis trop longtemps ?

Aux abords de quelques hameaux des lavandières tapant le linge de leur battoir, discutent et rient d’histoires cent fois racontées. Quel tapage !

Nous passons quelques écluses où des bateau-patrons attendent. Les bateliers en profitent pour faire boire chevaux et mulets.

Comme nous nous sommes arrêtés pour un peu de repos, j’entends qu’on s'inquiète de l’importance que prend le chemin de fer. Je n’ose demander des explications à mon père, mais après mûre réflexion, ils me paraissent stupides.

Je leurs donnerai bien mon point de vu mais :

“ Les enfants ne doivent pas se mêler des conversations des grands.”

Comment faire comprendre à ces marins d’eau douce que le train c’est formidable, un point c’est tout.

Ça fait cinq heures que nous marchons, les premières habitations de Bézier se profilent

- On est arrivé ?

- Non ?

- On est encore loin ?

- Oui

- Beaucoup ?

- Oui, tu m’as promis d’être courageux.

- Je sais.

- Et alors ?

- Rien, je vais bien.

- Tant mieux.

En réalité, je n’en peux plus.

Mes mollets sont en feu. Je veux m’arrêter, me poser là, dormir et dormir encore et manger aussi, si possible en dormant.

Mais comment décevoir mon père après tous les chagrins que nous avons vécus.

Avant, toujours il chantait, toujours il riait, toujours il râlait aussi, pas après nous, non non! Après des gens que je ne connais pas, ils s'appellent “Bourgeois”, “Patron” et même “ Ptitchef”.

Moi, à l’école, mes copains ne s’appelaient pas comme ça. Encore des grands certainement.

Je ne lui ai pas dit, mais la nuit dernière j’ai rêvé de maman.

Je suis blotti contre elle, elle me chantonne une chanson dans l’oreille. Elle est belle, ses grands yeux noirs me regardent avec amour, sa peau est douce et son souffle sur le cou me fait frissonner de bonheur.

Puis son souffle devient glacial ainsi que le contact de sa peau. Elle essaye de chanter mais des quintes l’en empêchent, Une femme en blanc vient m’arracher à elle. Une autre, drapée de noir, le visage caché par une capuche l’emporte, je me retourne pour m'accrocher à maman mais déjà l’horrible femme quitte la pièce transportant dans ses bras ma mère, la tête renversée, les bras et les jambes ballants. Dépassant de la toge sombre il me semble distinguer une grande lame courbée en acier luisant. Je me suis réveillé dégoulinant de sueur, il ne me restait plus qu’à pleurer en espérant que personne m’entende, surtout pas Sabina qui dormait à quelques pas de moi.

- On va où alors ?

- Il faudrait qu’on arrive à Puisserguier avant la nuit.

S’il fallait arriver pour la nuit à Puimachin, j'avais pas fini de serrer les dents.

Mon père a dû deviner mon angoisse. Il décide de s’arrêter pour manger et de se reposer un peu.

- Je n’en peux plus, posons-nous sous ce pont nous serons à l’abri du cagnard. Je commence à me faire un peu vieux. Toi, avec tes petites jambes je ne sais pas comment tu fais pour ne pas être fatigué. J’espère que tu ne m’en voudras pas de vouloir souffler un peu. Tu m’en veux pas dis ?

A dix ans on n’est peut-être pas grand mais on n’est pas idiot.

- Non, je comprends. Mais alors pas trop longtemps. Il nous reste du chemin à faire. Mon père s'ébouriffe les cheveux avec sa grosse main sans rien rajouter, mais comme je le regardais il me semble qu’il est fière de moi.

Mes mollets se font oublier. Le chemin qui nous emmène, alors que nous avons quitté les bords du canal, me paraît d’une grande monotonie. Au loin, la garrigue, au prés, les vignes.

L’ombre est rare, le soleil cuisant. Les douleurs aux jambes se rappellent à moi et une grande fatigue me trouble la vue.

Nous touchons au but, il fait pratiquement nuit. Je ne sais pas comment nous aurions fait si nous avions été surpris par la pénombre, au milieu d’une campagne déserte où même en plein jour nous n’avons pas vu grand monde.

Mon père frappe à la première porte qui se présent pour demander si on peut nous trouver un endroit où nous pourrions dormir.

C’est une femme un peu revêche qui lui ouvre. Elle le toise et lui dit :

- Tu sembles honnête, je vais voir avec mon mari ce qu’on peut faire pour toi.

Mon père m’a demandé de l’attendre un peu à l’écart ne sachant pas sur qui la porte allait s’ouvrir.

Comme c’est une voix féminine qui se fait entendre, il me semble pouvoir m’approcher sans crainte.

Je pointe donc le bout de nez (le reste étant caché derrière les jambes de mon paternel).

- Bonsoir madame.

La femme surprise sursaute.

- Boudi ! Mais t’es pas tout seul, t’as un gosse avec toi.

- Comme vous voyez. Mon père me lance un regard contrarié. J’allai vous en parler bien sûr. Mais si ça vous dérange nous allons passer notre chemin et voir un peu plus loin.

- Et quand tu allais m’en parler ? demain matin sans doute. Je reviens sur ce que j’ai dit t’es Malhonnête....

- Je n’vous permets pas de me parler ainsi. Gronde le père

- C’est qu’il le prend de haut en plus ce malandrin. Non seulement il est pas honnête mais en plus il est stupide.

- Je...

-Tais-toi ! T’as honte de c’gosse, il est pas à toi, tu l’as enlevé ?

- Mais...

- Non, vu sa frimousse c’est toi le père. Bon allez ! Assez discuté ! Entrez tous les deux, il doit bien y avoir de la soupe pour quatre et assez de vin aussi. Pour dormir il y a la chambre du fils. J’irai l'aérer et faire un peu de ménage tout à l’heure. Il est temps que la vie reprenne ses droits. Le lit est pas grand, il vous faudra vous serrer un peu mais vu la crevette qui te suit ça devrait pas poser de problème.

Elle se retourne et tout en nous faisant signe de la main pour qu’on la suive elle marmonne.

- Depuis quand les enfants ça dérangent. A mon Dieu pardonnez-lui, c’est un homme. Il mériterait que l’ gamin dorme dans la chambre et lui dans l’ caveau au milieu des barriques. Mon père se penche sur moi et me dit à l’oreille.

- Bien joué!

La femme se retourne et dit

- J’ai entendu ! T’as d’ la chance qu’il y a l’ gamin sinon c’était dehors. mon père rougit

- J’vous demande pardon

- C’est ça, tu peux. Remarque c’est encore pas sûr y a le mari.

Quel âge peut-elle avoir ? Du haut de mes dix ans je lui en donne cent. La peau de son visage est tanné par le soleil, ses rides ressemblent aux sillons du sable mouillé que les vagues ravinent quand elles se retirent, ses cheveux plus blancs que noir filacent, ses yeux noirs n’ont d’éclat.

Le mari reste absent. Au cours du repas, une porte s’ouvre derrière nous, reste ouverte quelques secondes et se referme dans un léger grincement.

Notre hôtesse lève la tête de son assiette. A-t-elle ressenti le même courant d’air que moi ? Elle me regarde longuement et replonge sa cuillère dans son assiette trop tard pour dissimuler son regard qui se trouble.

Mon père qui ne semble pas ressentir la situation demanda :

- Votre mari ne se joint pas à nous ?

- Non ! Dit-elle sans lever la tête.

- Notre présence le gêne peut-être ?

- Je ne sais pas si le mot « gêne » est juste mais disons cela. Rassure-toi vous n’y êtes pour rien. C’est compliqué et je n’ai pas envie de m’expliquer devant des étrangers.

Plus petit sur ma chaise je peux apercevoir une larme parcourir une de ses nombreuses rides.

-Je comprends. dit mon père.

-Tant mieux. » Répond-elle dans un souffle.

Le repas se termine en silence. Elle nous conduit dans notre chambre qui malgré ses efforts sent fort le refermer.

Nous nous levons aux aurores afin de reprendre notre chemin. Elle est là dans sa cuisine à nous attendre. La soupe, pendue dans la cheminée, bouillonne. Aucun de nous deux, pour je ne sais quelle raison n’ose parler. Enfin si moi je sais :

« Les enfants ne parle pas à table ».

Quand vient l’heure de partir c’est elle qui prend la parole.

- Tiens, prends ce sac dans lequel j’ai glissé un pain, du lait, un peu de saindoux, du vin et quelques framboises pour le p’tit.

- Je ne peux pas accepter dit mon paternel

- Et pourquoi ? lui demande-t-elle contrariée.

- Parce que....

-Tu prends, j’te dis !

Mon père attrape le sac, sentant certainement que insister serait inconvenant.

- Merci, nous penserons souvent à vous.

- J’en d’mande pas tant. Prends soin du petit. Les enfants c’est ce qu’on a de plus précieux. Tu permets que j’l’embrasse ?

- Bien sûr, quelle question.

- Et toi p’tit tu permets ?

La femme méfiante et fermée de la veille a maintenant le visage traversé par un large sourire elle semble moins ridée et son regard a repris un peu de vie.

Elle vient vers moi et me serre (un peu fort) dans ses bras. Elle m’embrasse tendrement et, contrairement à la veille, elle ne peut retenir ses larmes.

- Tu es encore un peu petit pour comprendre, mais essaye de retenir ce que je vais te dire. Plus tard peut-être cela te servira. Écoute toujours ton cœur, refuse de suivre ceux qui te feront entendre le tintement des pièces d’or. Si l’argent est nécessaire son aura assèche les cœurs et fait perdre le sens de l’honnêteté, de la réalité et de l’amour de son prochain. Elle peut tuer des gens par millier et même des enfants. Ne deviens jamais son esclave. Elle avait raison, je me demandais bien ce qu’elle me racontait.

« Ce n’est qu’après, longtemps après... »

Elle glisse sa main dans la poche de son tablier et me remet un sac en forme de bourse.

-Tiens ! Elles appartenaient à mon fils, il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Il les a perdues dix fois et c’est battu vingt fois pour les reconquérir une à une. Il rentrait en pleur quand une lui manquée et revenait triomphant son trésor recouvré. Essaye de ne pas les abandonner trop vite. Plus longtemps tu les garderas moins vite tu m’oublieras.

Les grands se disent adieux, je les entends parler d’un village qui s'appelle Saint-chiant, ce qui me fait bien rire. Elle lui dit de se rendre de sa part chez quelqu’un dont je ne perçoit pas le nom puis, nous partons.

Je me retourne pour faire un dernier au revoir de la main. Elle a disparu derrière sa porte. Sur un coin de la maison, un homme grand, les mains plantées dans les poches de son pantalon, nous regarde partir...

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