De Cette à Toulouse (2ème partie)

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Sale temps à Agde

En longeant le canal royal, je devine,

que plus jamais je ne verrai mon père du haut de la tintaine, protégé par son pavois et sa lance calée sous le bras, défiant les célibataires des quartiers ennemis,

le visage étonné de celui qui, trahi par les cales, bascule dans un juron vers l’eau rafraîchissante,

ma mère craignant que le trident ne vienne embrocher son champion,

les jeunes filles apeurées qui détournent les yeux pour ne pas voir saigner leur petit fiancé.

le poisson frit aux coins des rues,

mon père, défilant le jour de la Saint Pierre, triomphant le jour de Saint Louis.

Que plus jamais je n'entendrai les hautbois et tambours saluant la victoire,

Les clameurs qui montent vers le ciel,

la ferveur des amis,

leurs rires et leurs chants,

les histoires de marins marinés au Picpoul qui se battent sans user du surin

car c'est à coups de poings à l’écart de la foule que l’on se beigne à la fin du mois d'août.

Nous croisons peu de gens mais à leurs approches, mon champion baisse la tête pour éviter leur regard.

Mon cœur de petit garçon se serre.

Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?

Quel est ce secret qui ne peut être compris que quand on devient un homme ?

Je ne sais plus si je veux aller au bout des 5 heures.

Peut-on devenir un homme en quelques heures ?

Ma logique d’enfant me donne la réponse. “ On verra bien !”

On longe la corniche.

Une longue plage avant d’entamer le chemin sablonneux qui conduit à Agde.

La progression est difficile, on s’enfonce parfois jusqu’aux chevilles et nous devons, à plusieurs reprises, s’arrêter pour vider le sable de nos chaussures qu’on finit par prendre à la main.

Heureusement, nous somme partis tôt, cette journée de mi-septembre s’annonce chaude comme l’ont été les trois semaines précédentes.

On longe la mer. La tramontane qui a soufflé ses neufs derniers jours céde sa place au vent contraire.

Inquiet, le père regarde le ciel qui se voile au sud-est.

“Il ne va pas falloir trainer. Je pense qu’on va avoir droit à une marinade. Décidément le sort s’acharne, cela fait des années que l’on pas vu ça à cette époque de l'année”.

Je sais ce que cela signifie le marin se leve et tout bon Languedocien connaît sa fourberie. *

*( À lire dans l’oeuvre : “ Le tiroir entrouvert” dans le chapitre : “ La fourberie du marin”

La chance nous sourit, le vent ne forcit vraiment que lorsque nous quittons les bords du rivage. L’orage ne commence à gronder qu’à quelques kilomètres de notre but. Le père a du mal à me persuader de monter sur ses épaules( je pense au marché que nous avons passé). Il se fâche et m’y installe de force.

(Je comprendrais plus tard qu’il en allait de nos vies quand des témoins raconteront que la mer a avalé le chemin côtier.)

De grosses gouttes de pluie viennent frapper notre dos.

-Pas assez rapide. Dit mon père

- Quoi ?

- Trop tard

- Comprends pas

- T’inquiéte ! Tu vas vite comprendre. Dommage, on était presque arrivés.

Toujours perché sur les épaules de mon père je m’accroche à son cou car le vent redouble.

Un rayon de soleil transperce les nuages réchauffant mon dos mouillé.

Je hausse les épaules en signe d’incompréhension.

Avant qu’elles n’aient le temps de regagner leur position initiale, la nuit tombe et des murs d’eau nous font obstacle.

Mon père me fait descendre de ses épaules et me prend dans ses bras se courbant pour me mettre au mieux à l’abri.

Apercevant une porte cochère dans une rue perpendiculaire qui semble moins subir l’assaut du déluge, il s’y précipite.

Après de longues minutes, la pluie ne cessant de tomber, mon père me dit :

- Mon grand, si je tiens fort ma main, est ce que tu te sens capable de courir à côté de moi jusqu’à chez des amis qui habitent à deux rues d’ici ?

- Oui !

Je suis mort de peur.

- Très bien ! Je compte jusqu’à trois et on fonce.

on fonce si bien que mes pieds ne touchent pas terre.

Je ne coure pas je vole.

En moins de cinq minutes nous somme devant une porte sur laquelle mon père frappe Elle s’ouvre sur le large sourire d’une jeune femme.

- Ah mes pauvres, vous voilà dans un triste état. Trempés de la tête aux pieds. Mais ce n’est que mi-mal, je vous pensais sur le front de mer et je me faisait bien du soucis.

- Je suis désolé dit mon père, regarde nous sommes en train de t’inonder ton entrée.

- Qu’est-ce que tu me racontes ? Pour ta peine tu attendras encore un peu. Si tu le permets je vais m’occuper du petit. Il va nous attraper mal si on le laisse comme ça. Toi t’as l’habitude. Un marin pêcheur ça a pas peur de l’eau.

-Si tu le dis. répond le paternel.

Elle saisit un drap, me déshabille et, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, je me retrouve nu au milieu de l’entrée.

Elle enroule le tissu autour de moi et me porte dans ses bras pour m’emmener.

En voyant mon père qui attend, dégoulinant, sans bouger à l’entrée de la cuisine je ne peux m’empêcher de rigoler.

Il rit aussi.

D’un geste du doigt il me demande de regarder derrière moi.

Elle sort d’où celle là ?

Une fille de mon âge se tient debout dans la cuisine, la main devant la bouche entre rire et étonnement.

Alors que la pluie m’a glacée le sang et que,quelques instants plus tôt j’en étais encore à trembloter de froid, une intense chaleur me monte aux joues.

Vient-elle d’arriver ? peut-elle m’avoir vu ? Son attitude s’adresse-t-elle à cet homme qui est ridiculement trempé ?

Ce ne peut être que cela.

Sa mère la dépasse pour me porter plus loin, elle se retourne et me montre du doigt avec l’autre main (la première n’a toujours pas quitté sa bouche).

Le pire de cette situation est, (était-ce dû au froid ou à la peur de l’orage que nous avions subit ?), qu’une petit raideur, que les garçons connaissent, s'est manifestée lorsque je me suis retrouvé déshabillé au milieu de l’entrée.

Vu sa réaction, elle a dut tout voir.

Je pense que jamais je n’oserai la regarder ni lui parler. Il faut que l’on parte le plus vite possible je ne veux plus la voir de toute ma vie.

Nous restons deux jours chez Nina et Pèire. Je parle à Sabina, même si je trouve qu’elle pose toujours sur moi un regard un peu moqueur.

Nous quittons Agde, nous sommes jeudi matin, il est de bonne heure il fait grand soleil...

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