De Cette à Toulouse (1ère partie)

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De Cette à Toulouse

1ère partie

Cette, un adieu

“Ma vie de minot à basculer le jour où ma mère est morte.

Mon père n'a jamais voulu me dire la cause de son décès.

Mais un soir, me croyant endormi, j’ai surpris ses confidences à un ami.

Celles-ci m'ont frappé droit au coeur.

Entendre mon père se dire responsable de la mort de ma mère fut pour moi chose terrible.

Le reste de la nuit a suffit à me persuader que c'était impossible.

Ils s'aimaient trop et cela se voyait.

Dans leurs regards, à leurs baisers furtifs volés à la moindre occasions, à leurs sourires entendus, à leurs éclats de rires et à leurs mains qui se frôlent.

Et puis quoi qu'on en dise les enfants sentent ces choses.

Aujourd'hui, bien sûr, je sais.

Les derniers temps, je me souviens d'elle qui jouait avec moi, mais moins longtemps qu'avant.

Se disant fatiguée elle me consolait en posant mon oreille sur son ventre qui s'arrondissait jour après jour.

Un soir nos voisins vinrent me chercher. Cela ne m'étonna pas car il était fréquent que j'aille passé la nuit chez mon copain Georgio.

Après trois jours, les regards sur moi changèrent.

On prit grand soin de moi. Le moindre de mes souhaits m'était accordé avec empressement.

Les femmes me consolaient, les hommes étaient moins tendres.

Les premières me caressaient la tête en me plaignant beaucoup, disant qu'elles allaient prier pour moi et mon père. L'enfant que j’étais se demandait : “ Pourquoi pas pour sa mère ?”

Les seconds s'accroupissaient devant moi et me saisissant les poignées fermement me disaient droit dans les yeux : “ Il faut être un homme, tu as l'air d'un petit gars courageux.”

Quand mon père eut terminé de m'expliquer que le bon Dieu avait rappelé ma mère auprès de lui et qu'il comptait sur moi et mon courage.

Je décidai de ne plus croire aux prières, au bon Dieu et au courage qui ne servent à rien, qui nous crucifie et qui nous abandonne.

Les jours suivants virent mon père sombrer.

Rentrant de plus en plus tard, allant directement se coucher et me laissant livré à moi-même, le sentiment d'être abandonné s’insinua .

La famille de Georgio devint mon refuge.

Chez eux tout le monde vivait dans deux pièces. Il y avait la cuisine avec sa grande table autour de laquelle se retrouvaient Georgio, son petit frère Antonio, sa jumelle Maria, sa grande soeur Angela, ses parents Papa et Mamma et la grand-mère que l'on n'appellait plus vu qu'elle était devenue sourde

et pendant quelques jours il y eu moi.

Contrairement à chez nous où, même du temps de ma mère, le repas devait se passer en silence, ici on parlait fort et presque toujours en italien.

À l'époque je parlais l'occitan qui se rapproche plus du flamenco que de la tarentelle mais ça ne me dérangeait pas.

Il y avait les gestes, l'intonation, les chansons, les plaintes, les larmes( les vraies, les fausses, de joie, de rire, de chagrin). Il me semblait les comprendre tout comme la grand mère, assise en face de moi, dont les yeux s'amusaient à suivre les débats.

Les nuits où j’ai dormi chez eux, les garçons se serraient à trois sur le même matelas, il fallait se faire tout petit et ne pas être gourmand d’édredon même si ce dernier au plein coeur de l’été finissait sur le plancher.

Il n’y avait qu’une seule chambre. Le peu d’intimité avait été obtenue par quelques planches de bois hautes d’un mètre et demi clouées au sol.

Chacun dans son coin, les garçons, les filles, la grand-mère et les parents.

Celui qui avait le malheur de ne pas s’endormir tout de suite avait toute les chances de passer une nuit blanche.

C’était souvent la mère-grand qui entamait le concert de ronflement et ensuite toute la clique y allait de sa petite musique et quand je dis petite je ne parle pas du père.

Quand ce dernier était de bonne humeur, qu'il n'était pas trop tard ou qu'il avait eu un peu trop soif, il lançait aux garçons: “pétons !”.

Le concours de déflagrations était proclamé, ça rendait folles de rage les filles, les garçons fou de joie et grand-mère folle de rire qui, même si les bruits lui étaient épargnés, profitait des odeurs.

Combien de temps suis-je resté chez les Paoletti ?

J'e n’en ai plus la moindre idée.

C'étaient des gens magnifiques de générosité.

Aujourd'hui la grand-mère est certainement morte, Papa et Mamma doivent être bien vieux, j’espère que Maria et Angela ne sont pas veuves et que Georgio et Antonio ont eu la même chance que nous.

Un soir de fin août, il est venu me chercher.

Il avait l'air d'avoir repris le dessus.

Mon père voulut se rendre au cimetière pour déposer quelques fleurs sur les tombes de ma mère et de mes grand-parents.

Nous avons gravi les pentes du Saint-Clair.

Installés dans un coin tranquille, là où l'on peut voir la mer, l'étang et la ville de Cette qui nous a vu naître, mon père nous régala de sardines grillées au feu de bois.

C’est quand le soleil couchant a recouvert d'or les eaux du Thau et que mille flamants ont coloré de rose le ciel enflammé que mon père a pleuré.

Ne voulant pas le blesser, j’ai fait comme si je ne l’avais pas vu.

Et puis, la sentence est tombée:

Maintenant que j'en parle, tout me revient, le moindre mot, les petits gestes, mes pas à ses côtés, tous ceux qu'on a croisés, les chemins empruntés.

Me voilà revenu lorsque j’avais dix ans. Drôle de sensation d’être en suspension au dessus de nos têtes à nous voir, nous entendre et me souvenir de mes pensées d’enfant. Je te dire ce que mes souvenirs acceptent de me montrer )

-Demain nous partons.

- Ah bon ! Où c’est qu’on va Papa ?

-Le plus loin possible.

- Et c’est quand qu’on revient ?

- Jamais.

- Jamais ?

- Non jamais.

- Pourquoi ?

- C’est comme ça, on n’a pas le choix.

- Pourquoi ?

- Plus tard, quand tu seras grand je te raconterais.

- Mais tu dis toujours que j’suis un grand garçon.

- Quand tu seras plus qu’un grand garçon.

- Quand j’s’rais un homme ?

- Voilà.

un long silence, Je vais fêter mes 10 ans quelques jours plus tard et à cet âge, le silence, on déteste.

-Hé, Pa !

-Oui! répond mon père qui se doute bien qu’il ne va pas s’en tirer à si bon compte.

- C’est quand qu’on est un homme ?

- Et bien voilà une question bien difficile. Dans l’immédiat, je n’ai pas pris de quoi nous éclairer et il est temps de redescendre avant qu’il ne fasse complètement nuit. Demain levé à quatre heures.

La nuit n’est pas formidable.

Je renonce à me blottir contre lui pour chercher le réconfort et pour faire un câlin comme j’en faisais à ma mère qui beaucoup me manque.

Quand il me secoue doucement pour me réveiller, il me semble que je viens à peine de fermer les yeux.

Je me sens très fatigué.

- Tu as bien dormi ? demande mon père.

- Oui, oui, très bien

-Tant mieux, On a une longue route à faire

- Où va où ?

- Pour aujourd’hui, je pense que nous allons aller jusqu’à Agde

-C’est loin?

- Normalement à 5 heures vers l’ouest

- 5 heures ça me va

- 5 heures... Pour un homme.

Je saisis la perche.

-Si je le fais en 5 heures tu me diras ?

- Marché conclu, tapes là.

Je tape de toutes mes forces dans le battoir paternel.

- Allez ! On casse une croûte et on prend la route, plus vite nous tournerons le dos à cette ville mieux se sera.

je ne comprends pas le sens de cette phrase mais je m’exécute.

Une demi-heure plus tard nous partons...

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