Pedro Miguel

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Quand le jeune transporté, aux allures d’Apollon, a franchi, pour la première fois, la porte du pénitencier, des hourras et des sifflets admiratifs avaient fusés des rangs des quelques forçats présents. Ils se réjouissaient de pouvoir malmener, au détour d’une douche, ce joli blondinet à la peau mate. Dans un monde galère où la vie est rythmée par des heures de travaux inutiles et les coups de bâtons, la solidarité n’est pas loi. Il faut survivre, c’est le chacun pour soi.
Quelques mois plus tard on retrouva le beau Pedro Miguel recroquevillé, dans “la chambre d’amour” d’un blockhaus où il avait été envoyé pour avoir, un jour de grande chaleur, mit son chapeau sans autorisation.
Les garde-chiourmes l’examinèrent. Sans aucun doute, il était mort.
Les blessures qu’il portait ne leurs étaient pas inconnues.

Comme tous les bagnards il avait un “plan”, ce tube (genre tube à cigare) qui renfermait tout ce qui lui était précieux qu’il cachait, la journée, dans le revers de son chapeau et la nuit pour ne pas qu’on lui vole dans un endroit que je vous laisse deviner.
Ce qu’il y cachait n’était précieux que pour lui, une photo de sa mère, une autre de son village et quelques billets, gagnés pour de menus travaux, qui ne représentaient pas grand chose.
Tous les soirs, chacun leur tour, ils allaient derrière le mur des toilettes à la turc (“la chambre d’amour”) pour cacher leur trésor.
Malheureusement un jaloux ou un amoureux transis fit courir le bruit que parmi le trésor se trouvait assez d’argent et une carte pour réussir une évasion.
Dans la nuit il furent cinq à se jeter sur lui.
Ils le baillonnèrent, puis deux lui tinrent les bras, deux autres lui écartelèrent les jambes.
Pedro se tortilla, il essaya de leurs crier que s’ils le lâchaient, il leurs donnerait ce qu’ils voulaient mais les mots étaient étouffés sous le foulard.
La lutte était inégale, épuisé, il abandonna.

Les quatres l’immobilisèrent sur le sol, le cinquième sauta à pieds joint sur son ventre pour l’obliger à libérer ce qu’ils étaient venus chercher. Quand ils eurent récupéré le “plan” et qu’il constatèrent qu’il n’y avait rien de ce qu’ils espéraient, ils n’oublièrent pas de le violer à tour de rôle. Le sang qui coulait des entrailles de pedro ne les rebuta point.
Il le laissèrent pour mort dans les latrines.
Ce n’est qu’au matin qu’il fut découvert par les gardiens baignant dans son sang.

Le chef désigna deux bagnards pour aller l’enterrer dans un coin où jamais personne ne passe. “les charognards se chargeront de le faire disparaître.” avait-il dit.
Un surveillant accompagna les fossoyeurs pour s'assurer que le travail serait bien fait. C'est à dire que le corps soit bien mis au fond d'un trou.

Ils savaient où aller. Ils commencèrent à creuser. Le risque étant de tomber sur de vieux ossements ou sur un corps en décomposition.
Quand ils jetèrent le cadavre dans la fosse, ce dernier gémit.
Malgré un moment d'hésitation, l'un deux bagnards rejoignit le mort.
-Eh chef ! Il est vivant.
-Et merde, t'es sûr de toi ?
-En tout cas il respire, pas beaucoup, il revérifia, Mais il respire.
-Pas beaucoup ! Comment ça ?
-Ben il respire quoi !
-Encore pour longtemps ?
-Comment ça pour longtemps ?
-Il est plus vivant ou plus mort ?
-Vous parlez d’une question, j’suis pas toubib.
Tapant nerveusement sa matraque sur sa jambe le gorille ne savait quelle attitude adoptée.
Si on soignait Pedro, il pourrait témoigner mais si on l’enterrait, il se rendait coupable d’un crime avec deux margoulins comme témoins qui ne manqueraient d'opérer un chantage pour obtenir quelques faveurs.
Si Pedro se plaignait, le gardien ne lui laissait pas deux jours. Il trancha:
“ Emmenez le dans une cellule s'il doit vivre il vivra”.

Un malheur n'arrivant jamais seul, il se trouva que les trois hommes en charge du mort vivant se trouvèrent à croiser le chemin de la femme du commandant qui venait voir son mari pour une question des plus importante: le manque de personnel de maison mis à sa disposition.
Elle s'était toujours refusée à pénétrer dans cette horrible endroit mais elle n'en pouvait plus.
Cela faisait des jours qu'elle abordait le sujet à tous les repas. Il avait toujours éludé la question.
Ce matin elle avait décidé d'attaquer la bête en son antre et de n'en sortir que quand elle serait terrassée.
( Avouez qu'il y des jours où quand ça veut pas rigoler…)

Son regard fut attiré par le curieux convoi.
Ils étaient coincés.
Poussée par la curiosité elle venait vers eux.
-Qu'est-il arrivé à ce pauvre malheureux ?
- Oh rien M'dame, s'empressa de dire le gardien, un accident à la briquerie. Nous le conduisons à l'infirmerie.
-Mais ça a l'air très grave, je veux le voir.
-Ce n'est pas un spectacle pour une dame de qualité.
-Croyez vous qu'un accouchement soit un spectacle de qualité pour, nous, les femmes. Je pense pouvoir supporter la vue de quelques blessures.
-S'il vous l'dites M'dame.
Elle a eut quand même un mouvement de recul à la vue de Pedro nu, les yeux révulsés.
Mais, allez savoir pourquoi, elle décida qu'il fallait le sauver.
-Très bien emmenez le se faire soigner. Je prendrais de ses nouvelles et je passerais voir s'il se remet de cet affreux accident.
Elle fit demi-tour et rentra chez elle oubliant le but de sa visite.

Son mari, qui avait été mis au courant de l'intervention de sa femme, rentra chez lui très contrarié. Il lui demanda de quoi elle se mêlait.
Elle lui a répondu qu'elle essayait de lui épargner l'enfer. Il a rétorqué qu'il y été déjà.
Elle quitta la pièce en pleurant pensant qu'il parlait d'elle. Comme malgré tout il ne la détestait pas il fut désolé du quiproquo.
Il lui céda et lui facilita son élan charitable.

La charité, voilà un noble sentiment. Pour le peu qu’elle se mari avec la générosité et le don de soi, elle est capable de vous fabriquer une sainte.
Tous les jours on la tint au courant de l’évolution de l’état de santé de Pedro. Deux fois par semaine elle se rendait à l'hôpital pour le visiter. Elle en profitait pour voir d’autres éclopés afin de les consoler eux aussi.

Elle essaya de faire fléchir l'administration sur ses méthodes. Elle alla jusqu’à écrire à des connaissances susceptibles de faire bouger les choses.

Elle avait changeait, son mari le remarqua.
-Vous êtes rayonnante, vos bonnes oeuvres vous vont à ravir.
-Je vous remercie. Je crois que j’ai trouvé un sens à ma vie, je me sens plus légère. Je ne pensais pas que l’on pouvait recevoir plus que ce que l’on donne. Voir autant de reconnaissance dans leurs yeux pour une simple visite me bouleverse.
-Vous me faite peur. Sachez que le puma vous fait les yeux doux avant de vous lacérer.
Ils restent ce qu’il sont. Le jour où ils se retrouveront sur pieds, ils n’hésiteront pas à vous égorger pour un chandelier ou quelques couverts en argent.
L’évasion est leur seul espoir, c’est ce qui les maintient en vie. Si l’occasion se présente, ce n’est pas le souvenir d’un sourire qui les arrêtera. Gardez vos distances sinon vous vous promettez de grandes désillusions.

Il a prêché dans le désert. elle a continué ses visites

Le jeune métis avait, il est vrai, beaucoup de mal à se remettre de la sauvagerie qu’il avait subie. Le temps passait, les améliorations se faisaient attendre. Elle exigea qu’il soit isolé des autres malades. Comme elle était la femme du commandant et une madone pour les détenus, on exécuta sa demande et on ne trouva aucune malice à son souhait.
Plus les jours passaient, plus elle devint joyeuse.
Le commandant dut se rendre à l’évidence, elle était heureuse.
Ses visites devinrent des prétextes, Ses nuit agitées.
Elle rêvait d’étreintes interminables dans les bras de celui qu’elle décidât d’aimer.

Quand son époux était absent, elle se lançait dans la lecture de roman à l’eau de rose et sur le gramophone Offenbach faisait place à Emma Liebel.

Je veux dans une nuit d'amour
Enfin te croire à moi toujours
Sans bijoux et sans voiles Aux clartés des étoiles
T'avoir à moi rien qu'une nuit
Souffrir demain mais t'aimer aujourd'hui...

Elle n’avait rien oublié des exigences qui l’avait mener à traverser pour la première fois la cour du collège.
Elle argumenta que leurs statuts exigés d’être servi à table, que la demeure manquait de soins ainsi que le jardin.
L’atmosphère étant au beau fixe grâce à la bonne humeur de sa femme, le commandant céda au caprice de sa femme allant même jusqu’à lui laisser carte blanche dans le choix du recrutement.
Elle n’en espérait pas temps.
Il n’avait jamais vu Pedro, il compris son erreur.
La pintade avait berné le coq.
Pour plus de classe, lors des services à table, il fut décidé que celui qui présenterait les plats serait Georges.
C’est ainsi que Georges passa des soirées difficiles alors que Pedro profita de journées agréables et de nuits calines.
Ainsi fut la vie de Pedro le bagnard dit “Georges”.

FIN

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