Le coq, le dindon, la poule, la pintade et autres mâles faisans

22 minutes de lecture

ou, ce qui arriva au jeune et con à la fois

tiré de l'histoire " laissons au monde une chance de devenir meilleurs"

Juin 1927

Sept ans et six mois qu’il a débarqué sous une chaleur accablante.

Janvier 1920
Cela faisait trois semaines qu’ils avaient quitté la forteresse de Saint Martin de Ré. Vingt deux jours qu’il était malade.

Quatre mois plus tôt, il était passé devant la commission disciplinaire. Elle avait mis trois mois pour se décider.

Le martinière glissait sur le Maroni. Les eaux brunes se languissaient le long des rives envahies par la mangrove.
Les frégates superbes avaient abandonné le ciel depuis que le bateau avait quitté l’océan pour s’engager sur le fleuve et rejoindre Saint Laurent.
Au dessus des palétuviers des anis, d’un bleu magnifique, pleurnichaient tandis qu’au bord du rivage quelques ibis orangés cherchaient leur nourriture.
Pour lui le dépaysement était total.

On lui avait dit de rejoindre La Rochelle.
Il n’avait jamais vu la l'océan.
Il découvrait un monde qui ressemblait au paradis. Il n'en connaissait pas les profondeurs.

Accoudé à La rambarde du pont supérieur il regardait rêveur le paysage défiler.
Il a pensé que le coton trempé de sa chemise et l'eau qui coulait sur sa peau étaient dû au grand large. il lui faudra attendre longtemps avant de retrouver des vêtements secs.

Le bateau-prison a fini par accoster à Saint Laurent. Le capitaine Leroy a dirigé la manoeuvre.
Ils avaient tous le même uniforme de toile marron, un calot pour les “transportés”, un chapeau pour les “relégués” et leur baluchon sur le dos. Ils ont descendu la passerelle.
Tous, étaient encadrés par des gardes chiourmes tout de blanc vêtus. Il se demanda si c'était par coquetterie qu’ils portaient le casque colonial et la matraque assortis.
En file indienne et tête basse on les a menés jusqu'au bagne pour les trier suivant leur pedigree. On leurs a distribués des tenues rayées.

Pour la science, on les a examinés.
À coup de stéthoscopes, de toises, de mètre-rubans et de pieds à coulisses on a relevé leur poids, leur taille, la grosseur de leur tête, l’écartement de leurs narines, la couleur de leurs yeux...
Toutes les données étaient soigneusement répertoriées puis envoyées à Paris pour que la police puisse les recouper et les utiliser pour mieux reconnaître leurs semblables.

Deux fois par an, sur le quai, des coloniaux assistaient au spectacle du troupeau qui débarque. A quelques pas de là, des commerçants locaux profitaient de l’affluence pour essayer de faire quelques bénéfices (Parmi eux, quelques survivants du mont Pelée et puis quelques coolies déserteurs venus chercher une fortune qui se résumait à la vente d’outils volés ou à se proposer comme guide).
Fraîchement débarqués, erraient des hommes à la recherche d’outils et d’un guide qui pourrait les mener jusqu’à l’eldorado. Certains ont fait fortune, d’autres se sont ruinés quant aux derniers ont ne les a jamais revus. ( disparus au coin de la rue)
Les femmes chuchotaient:
“ Oh ! regardez comme celui-là a l’air méchant”.
“ Vous avez raison ma chère. Et celui là, on lui donnerait le Bon Dieu sans confession”.
“ Mais regardez cet oiseau. Il est beau comme un dieu grec. Si je ne craignais pas que mon mari nous surprenne, j’en ferais ma tasse de thé”. Puis elles gloussaient.
De vieux hommes grélés par la vérole, abrutis par le rhum et affaiblis par le “palu” regrettaient que la sensiblerie des métropolitains les prive de l'arrivée de quelques “pouliches prometteuse sur le marché des plaisirs”.

(Je vous épargne les commentaires sur le poil luisant, la musculature et la blancheur des dents.)

Il avait été muté à Saint Jean, il était arrivé avec un jour d'avance. Il décida d'en profiter pour voir à quoi ressemblaient les lieux.
La ville pénitentiaire était récente. Grâce à la main d'oeuvre nombreuse et bon marché, les rues étaient d'une propreté presque gênante si bien qu'on pouvait craindre de les salir rien qu’en les foulant.
Quelques bagnards travaillaient à fleurir des parterres, d'autres balayaient sans fin les abords des villas. Il n'avait jamais vu d'aussi belles demeures. Il s'arrêta devant l'une d'entre elles. Elle était la plus grande, malgré sa simplicité, il la trouva la plus belle.
Quatre colonnes soutiennent son fronton sculpté. Il a compté dix huit fenêtres en façade. Il a imaginé le soleil couchant sublimant ses murs d'ocre. Les murets blancs maculés plantés de grilles forgées lui offrent son écrin. Elle est moins sophistiquée que celles qui l’entourent mais elle dégage de l'autorité.
Le jardin regorge de fleurs dont il ignorait le nom. On lui avait vanté le rouge de l’hibiscus, la délicatesse des couleurs et le magnétisme de l’orchidée, la magie des buissons ardents, le bruissement des alizées le soir sur les feuilles des palmiers et des ficus. Il a imaginé qu’ils étaient tous présent, il n'a pas pu définir qui du jardin ou de la demeure mettait l’autre en valeur.
À un passant il a demandé à qui appartenait cette ambassade. Le passant a souri: “ Ce n'est ce que vous croyez monsieur, c’est la maison du directeur.”
il a décidait qu’un jour il y dormirait

Le soir venu, il espéra calmer son excitation mêlée d'angoisse en allant traîner sur le bord du fleuve. Des bruits rampants et quelques hurlements venant de la forêt de l'autre côté du Maroni lui firent presser le pas pour rejoindre l’hôtel où l’attendait sa chambre. les pâles qui sifflaient au dessus de son lit n’ont pas suffit à rafraîchir l’atmosphère. Il a négligé d’ajuster la moustiquaire. c’est le visage boursouflé qu’il s’est présenté à l’administration.
On l’a orienté vers l’intendance afin qu’il prenne possession de son nouvel uniforme.
Celui qui l’a reçu n’a pas osé sourire en le voyant arriver l’oeil droit au trois quart fermé.
- Ah ces foutus moustiques… On s'est tous faits avoir. On m’a prévenu de votre arrivée, tout est prêt. Vous pouvez vous changer avant d’aller voir le commandant.
Il n’a pas aimé le ton avec lequel le soldat lui parlait. Il aurait pu lui ordonner de se reprendre, lui rappeler qu’il était son supérieur et que son petit air condescendant pouvait lui coûter cher. Le souvenir d’un passé encore proche lui conseilla de se taire. il s’est habillé de ses beaux habits tout blanc, il a confiait ses affaires au soldat qui les rangea dans un coin de la pièce et après avoir demandé son chemin, il a traversé la cour pour se rendre au bureau du directeur...

L'entretien n'a été qu'une formalité.
Il devait prendre le premier convoi pour Saint Jean.
Le commandant lui a dit qu’il allait y trouver l’enfer.
Dans la rue qui menait à la gare, en voyant un couple de aras survoler un jardin avant de se réfugier dans la canopé, il s’est dit qu’il voulait lui faire peur et que ce ne devait être qu’un simple bizutage.
Quand il est retourné prendre son paquetage.
Juste avant de sortir le soldat l'arrêta.
-monsieur !
Son naturel a repris le dessus.
-Mon adjudant, on dit Mon adjudant. Vous vouliez me dire quelque chose ?
-Non Mon adjudant. Je pensais avoir oublié de vous préciser quelque chose.
-Très bien! Vous pouvez me saluer.
Le soldat l'a salué.
Il est parti prendre son train.
En s’approchant il entendit le signal du départ imminent. Il a couru, il ne pouvait pas se permettre de louper le voyage.
C’est essoufflé qu’il grimpa sur une des plateformes sur lesquelles on avait fixé quelques bancs abrités par une simple bâche.
il se retrouva assis près d’un gardien.
- Mes respects mon adjudant. On vous attend à Saint flour. Tout le monde est au courant de votre arrivée. Il n’y avait que la date qui nous était inconnue.
-Mais je vais à Saint Jean.
-Saint Flour c’est le nom que les gens d’ici donnent à saint Jean.
-Ah ! très bien, merci de me le dire.
- De rien, c’est normal. Si vous avez des questions, n’hésitez pas. nous avons un peu de temps devant nous.
-Très bien, dites m'en un maximum.
- En premier lieu, vous avez de la chance, c’est le dernier aller-retour de la loco.
-C’est impossible ! Comment allons nous faire pour acheminer les détenus ?Vous pouvez m’expliquer.
-La société qui gère la ligne a décidé qu’elle n’était pas rentable. Elle refuse de payer pour le transport et pour l’entretien de la voie. De son côté, l’administration ne veut pas dépenser un sou de plus.
-Et donc ?
-Démonter les rails reviendrait trop cher. Ils les ont donc cédés à l’État.
-Et qui va conduire la loco ?
-Personne.
-Pardon !
-Le calcul a été simple. Nous possédons une énergie gratuite et qui se renouvelle tous les six mois, il nous suffit de l’utiliser.
- Je n’ai pas eu connaissance de ce miracle technologique. J’ai bien compris que vous parliez de la grande et petite saison des pluies. Je fais confiance au génie français. J'imagine que l'on va se servir de la force hydraulique mais cela doit demander des travaux énormes. Il va falloir attendre des mois.
Le train, qui n'a pas eu le temps de prendre de la vitesse, attaque le premier raidillon.
Un paysan les salue en les doublant.
-Je vois que l’on ne vous a pas prévenu Mon adjudant.
-Prévenu de quoi ?
-Des flammèches qui s’échappent de la cheminée et qui vont brûler votre uniforme tout neuf. D’habitude le gars de l’intendance met les nouveaux arrivant au parfum.
-Le sale con, c’est donc ça qu’il voulait me dire avant que je sorte.
-C’est bizarre, je le connais, il est plutôt sympathique ce mec.
-J’en doute pas.
-Vous avez eu des problèmes avec lui ?
-Rien qui vaille le coup d’en parler. Mais dite m’en plus sur l’avenir de cette voie.
-Avant tout prenez ce bout de bâche. Vous ne serez pas très élégant, vous aurez encore plus chaud mais ça vous évitera quelques déboires. Croyez-moi, ici, les gardiens ont guère de loisirs, pour les prisonniers les occasions de se marrer sont rares et tous sont cruels. Plus qu'ailleurs c’est la première impression qui compte. Je n'ose pas imaginer le surnom dont ils vous affubleront si vous arrivez avec un casque, une chemise et un pantalon mités.
De mauvaise grâce il se protège. En effet, drapé jusqu'à la tête dans la toile de jute, il est ridicule.
-Je vous interdit de même esquisser un sourire. Continuez votre histoire.
-Normalement la voie Decauville devait faire trente kilomètres. Le tracé après Saint Jean c’est révélé trop compliqué. La déclinaison obligeait à faire des courbes trop brutales. Déjà là vous verrez que quelques unes vous font serrer les fesses. Excusez-moi pour l’expression mais c’est celle qui me semble la plus juste.
-Je vous en pris, je peux comprendre. Continuez
-La ligne s’est donc arrêtée au pénitencier, ce qui n’a pas permis à la compagnie de faire les bénéfices qu’elle escomptait faire grâce aux transports des récoltes agricoles et de bois précieux à quoi il faut ajouter le transport de l’or.
-Mais il lui restait les bagnards.
-Non, le droit d’installer la ligne était lié pendant 20 ans à un acheminement gratuit vers le pénitencier quelque soit la marchandise. Pour le personnel le retour vers Saint laurent était également offert.
-Nous voilà bien avancés. Depuis que nous roulons, je n’ai vu aucun travaux qui pourraient me mettre sur la piste de cette nouvelle énergie.
-Excusez moi Mon adjudant, mais il me semblait que cela vous paraîtrez évident. Sans vouloir vous vexer.
-Éclairez-moi.
-Oubliez la locomotive qui finira abandonnée et dissociez les plateformes. Et maintenant, posez vous la question de savoir quelle est la force motrice la moins chère dans ce coin de paradis.
-Disons que je ne suis pas encore officiellement votre supérieur et considérons que ce train est un no man's land. Il vous reste peu de temps pour vous permettre de me faire comprendre que je suis un ignare. Profitez en et surtout révélez moi ce grand secret.
-Vous n'êtes pas ce que vous dite, il vous manque de connaître les affres des berges du Maroni.
-Je crois comprendre, mais si je suis ici c'est, paraît-il, à cause de la noirceur de mon âme et de mon manque d’humanité.
-Croyez-moi, je vous vois, pendant que nous parlons, regarder avec émerveillement la nature qui se trouve autour de nous. Comme vous, quand pour la première fois j'ai suivi ce chemin, j'étais comme un enfant qui feuillette un grand livre d'images.
Comme moi, vos dernières illusions s’envoleront au terminus de notre voyage.
Voici la solution qui vous aurait paru évidente si vous étiez avec nous depuis quelques temps.
L’administration a estimé que six hommes pour un wagon chargé de quatre cents kilos ou quatre pour deux individus (comme nous par exemple), permettraient une navette d’être aussi “rapide” qu’aujourd’hui.
Il était stupéfié. Il ne se pensait pas du genre à s’apitoyer sur le genre humain.
Le gardien s’en amusa.
-Je peux comprendre votre étonnement et vos états d’âme. Quand vous aurez vu l’engeance. Vos réticences disparaîtront.
Pendant les deux ans qu’il est resté à Saint Jean, il a vu arriver tous les petits multirécidivistes de France et de ses colonies. Ils étaient voleurs, souteneurs, sans abris.
Il a découvert comment de marginal on pouvait devenir bête sauvage. Certains ont révélé leur vraie nature les autres essayaient de survivre aux attaques des premiers.
La nuit, dans chacune des seize cases, cinq cents hommes survivaient. On violait, on tuait pour un “plan” ou pour une dette de jeu.
On payait les gardiens pour qu’ils détournent les yeux lors des règlements de compte.
La journée, il y avait ceux qui vivaient en semi-liberté.
Après les corvées, ils pouvaient aller vendre à Saint Jean la récolte de leur jardin, les petits meubles qu’ils avaient ouvragés ou proposer aux gardiens d’entretenir leur maison ou leur jardin moyennant une rétribution. La condition était de répondre aux deux appels.
Les“pied de biche”,eux,travaillaient sans relâche du matin au soir sous la surveillance de gardes chiourmes sans pitié.
Dans cet enfer, il a perdu toute charité.
Il n’a pas hésité, à laisser des hommes moisir au fond d’un trou au milieu de leurs déjections pendant des semaines, à en faire condamner d’autres à la guillotine pour une simple tentative d’évasion.

1923
Il est nommé à saint Laurent.
Un jour, on lui annonce qu’un journaliste anglais a reçu la permission de visiter son petit monde.
Il a viré le secrétaire qui lui avait fait passer l’information.
Ce dernier avait mal interprété le message.
Un matin, Albert Londres a débarqué sur le port de Saint Laurent.

(petit aparté: Un matin, un enfant rejoignit la rivière qui passait dans sa ville natale avec à la main deux cannes à pêche. Un habitant de Vichy le voyant passé se dit: “ Tiens! Voilà Londres qui rejoint l’allier avec deux gaules”. CQFD.)

On le laissa aller et venir comme il l’entendait. Le problème était qu’Albert était intègre. Ses articles sur ce petit coin de paradis firent du bruit jusque dans le landerneau.
On fît attention pendant quelques mois puis tout redevint comme avant.
Il se fît vite remarquer.
Le commandant a décelé très vite sa potentielle cruauté nécessaire pour prendre du galon.
Le dindon a pris le coq sous son aile.
Il a fallu moins d’une année pour que ce dernier intègre la cour.
Toute basse qu'elle fut, une cour est une cour pour un coq aux dents longues.
Il se retrouva en bonne place à la chapelle et à la meilleur à table chaque dimanche.
À sa place, entre le père et la fille et face à la mère qui le dévorait des yeux et qui ne manquait jamais de le complimenter.
Quand le caquètement de la mère et le cacabement de la fille cessaient, le commandant enchérissait sur sa droiture et son sens du devoir et du commandement.
On peut être jeune et con cela n’empêche pas de savoir saisir sa chance.
Son plaisir dominical était de faire l’état des lieux de la demeure.
Il sentait que la promesse qu’il s’était faite prenait forme. Pourtant il avança ses pions avec prudence.
Les premiers temps il fit comme s’il n’avait rien compris à la manoeuvre.
Voyant de l'agacement et le doute qui s’installait, il frôla la main de la fille et confia à sa mère (entre la salle à manger et la salon):
“ Madame, votre beauté illumine cette maison”.
Il a vu qu’il avait visé juste, la mère fut flattée.
Sur le chemin du retour, il se dit qu’il pouvait être fier de lui. Tout se passait comme prévu. Cette idée de remplacer “fille” par “beauté” lui était venue comme ça, sans réfléchir. Il se pensait rustre, il se découvrait poète.
On peut savoir saisir sa chance, cela n’empêche pas d’être jeune et con.
Le dimanche suivant, la mère poule réussi, il ne su par quel miracle, à se débarrasser pour de longues minutes de la pintade et du dindon.
Elle se jeta à ses pieds. Elle le remercia dix fois de l’aimer et elle lui avoua sa passion.
Il voulut se défendre, lui dire qu’elle se trompait, qu’il y avait confusion mais quand il vit qu’elle venait de comprendre et que l’humiliation lui serait insuportable, il fit marche arrière.
Le poète vira acrobate. Il lui expliqua que bien sûr il l’aimait mais qu’il ne voulait pas faire de peine à sa fille ni décevoir le père.
Elle a dit que sa fille était folle d’amour mais qu’elle était trop jeune pour l’emmener vers les cieux. Qu’elle avait quarante ans, qu’elle s’y connaissait mieux et que leur liaison ne serait pas mise à jour.
Il objecta le commandant.
Elle a dit qu’à son âge il fermerait les yeux. Qu’il fallait à présent qu’au lit elle le ménage, qu’il était maintenant pas très loin d’être vieux.
Le soir même, il entendit gratter à sa porte. C’était elle. Il ne put esquiver. il ne pouvait pas prendre le risque d’un scandale. C’est au fond de son lit que la poule lui prouva qu’il lui restait encore quelques beaux arguments.
Un jour il lui demanda comment elle faisait pour venir chaque soir le rejoindre dans son lit sans éveiller les soupçons. Elle éclata de rire.
“ Et bien mon bel ami, nous sommes en guyane. Il y a quelques plantes, dont la forêt foisonne, qui permettent au mari de piquer un bon somme”.
Sans préliminaires, elle le poussa sur le lit et elle le chevaucha.
Le commandant n’était pas dupe. Il connaissait lui aussi les vertues des plantes. Il en avait usées pour pouvoir assumer les vingt ans qui le séparait de sa femme. Il continua à faire semblant de prendre les tisanes que sa femme amoureusement lui préparait.

1926

Le commandant se décida à mettre cartes sur table.
Nous sommes en Août. On lui a confirmé sa mise à la retraite.
Il pensait demander à un sénateur d’appuyer la nomination de son futur gendre au poste de commandant et voilà qu’il se retrouve à écrire une lettre à celui qui, un mois plus tôt, a été nommé ministre des colonies.
Perrier a usé ses culottes sur les mêmes bancs de la communale de Tournon que son frère cadet. Les deux sont restés très amis et ont suivi le même cursus. Par ricochets les familles sont devenues familières.
Depuis vingt ans qu’il est en guyane, il se sont écrits régulièrement et ont entretenu de très bonnes relations.
Dans un an il allait retrouver les côteaux de l'ardèche et les douces froideurs de l’hiver. Il fallait faire vite.

- Asseyez-vous.
Léon, était entré dans le bureau et avait ignoré le salut réglementaire (le commandant l’en avait dispensé sauf en présence d’une tierce personne.)
(Vous pensez que j’ai commis une erreur, qu’il aurait été plus judicieux de le surnommer “paon”. mais comme vous je viens de découvrir cette information. )
- Asseyez vous vous dis-je ! et prenez une cigarette. Je déteste le cigare. Je trouve vulgaire un homme qui fume le cigare. Mais ça vous le savez, je ne fais que radoter.
- je ne me permettrais pas, mais oui je le sais.
- Très bien, je vous reconnaît bien là. Ne jamais mordre la main qui vous nourrit.
Léon ne sait comment prendre cette réflexion.
Le commandant sourit, il le sait pris au piège.
- Allons, ne soyez pas vexé. Dans nos métier, il y a ceux qui mordent et ceux qui font le beau. Il y a le temps de la guerre et le temps de la paix. Le tout est de savoir faire quoi à quel moment. Mais il me semble que vous avez payé pour l’apprendre… Comprendre ses erreurs est une grande qualité.
Ne sachant quoi répondre, il encaisse.
-Passons aux sujets qui nous préoccupent. J’ai une bonne et quelques mauvaises nouvelles. Je sais ce que vous allez me dire, je commencerais donc par les mauvaises. Vous allez épouser ma fille, vous allez lui faire des enfants, il vous reste un an pour faire le premier et pour finir de satisfaire ma femme.
Voilà pour les mauvaises, quant à la bonne si tout se déroule comme je l'ai prévu, dans un an vous prenez ma place ce qui entraîne votre nomination au rang de commandant.
-Quant pensez-vous ?
-Je ne sais trop quoi dire, à part vous remercier.
-Me remercier de quoi mon garçon. Dès que vous êtes arrivé, j’ai su que j’avais trouvé à caser mon idiote de fille. Plus tard quand vous avez déjeuné à ma table, j’ai applaudi à ne plus subir les assauts de ma nymphomane de femme. Tout cela vaut bien une promotion.
- Vous savez ? Léon n’en revenait pas.
-Mais tout le camp le sait et rit derrière mon dos. Sauf Eugénie l’ingénue qui décidément est trop bête. Mais je les emmerde. Dix plus tôt je les aurais passés au fil de mon épée. La sagesse de l’âge les a sauvés.
- Je suis désolé.
- Menteur. Ce qui vous désole c’est d’avoir cru me manoeuvrer alors que c’était moi qui tirais les ficelles. Avouez!
- J’en conviens.
Le coq venait de prendre un grand coup sur la tête.
-Ah! enfin un peu de franchise, c’est mieux ainsi. Je vais donc vous rendre la pareil. Vous êtes fait pour diriger cet enfer. Vous êtes sournois, cruel, intelligent ( pas toujours) et surtout, vous ne craignez pas de vous retrouver seul contre tous. Je me trompe ?
Léon ne répond pas.
-Je ne me suis donc pas trompé. Ce n’est pas un cadeau que je vous fais. En soit, je dirais même que c’est ma petite vengeance car quand même, j’ai ma fierté. Il vous reste un an. Les vingts années qui vont suivre, vous serez seul. Comme je l’ai été. Vous serez le roi d’un pays où brille la noirceur.
Vous avez deux jours pour réfléchir à ma proposition.
Le lendemain, il donnait sa réponse.

Juin 1927
Sept ans et six mois qu’il a débarqué sous une chaleur accablante.
En septembre de l’année dernière on a fêté leurs fiançailles.
À croire que le dindon craignait qu’il ne revienne sur sa décision.
En novembre ils se mariaient
La poule a insisté pour qu’ils s’installent définitivement sous son toit. Elle avait des arguments de poids. Il ne purent refuser.
“ Cette demeure sera la vôtre d’ici dix mois. Cela permettra d’éviter à ma fille de partir et revenir et à vous mon gendre de prendre vos repères. N’est ce pas mon ami ?”.
“ Bien sûr mon amie, vous avez raison. Comme toujours”, répondait son mari.
La pintade devrait accoucher dans les jours qui viennent. La grossesse se révèle difficile. Cinq mois que le docteur lui a interdit de quitter le lit.
Il se fait du soucis, sincèrement. Elle est la mère de son futur enfant.
Sa belle mère passe toutes ses journées au chevet de sa fille. Elle lui fait la lecture, lui raconte les derniers potins lui décrit les gravures de mode qu’elle découvre dans les journaux qui arrivent de la métropole.
Il va la voir quand il rentre. Si elle ne dort pas, elle lui demande si sa journée s’est bien passée, Il lui répond que oui que la journée a été calme. Il lui demande comment elle va, elle lui dit qu’elle est fatiguée. Il lui pose un baiser sur le front puis il quitte la chambre.
Il dort dans une des chambres d’amis. Le docteur lui a dit que ça valait mieux ainsi, qui fallait la laisser se reposer et que tout rentrerai dans l’ordre quand l’enfant sera là.
Il va sans dire que profitant de la nuit, le coq et la poule se volent dans les plumes.
Albert Londres avait comparé Saint Laurent de Maroni à Paris. Il n’est pas certain que sa comparaison incluait le vaudeville.
Son fils a le bon goût de naître le 14 juillet. Il se fait baptisé François.
Il revêt son uniforme de commandant en septembre
La poule et le dindon prennent le bateau en octobre. Pendant les trois semaines de traversée, il rêve des truites qu'il va pêcher dans les rivières ardéchoises, elle pleure les caresses perdues à jamais.

1932
Cinq ans ont passées. Il est le maître de la Guyane.
Il est l'heureux père d'un second enfant. C'est Une fille. Ils l'ont appelée Isabelle. Elle a quatre ans.
Il ne dort plus dans le lit conjugale.
La grossesse a été difficile, l'accouchement une catastrophe. Elle ne veut qu'il la touche.
Il pourrait aller en ville voir “le filles” mais il imagine la honte de croiser ses hommes.
Il pourrait forcer sa porte, après tout la loi l’y autorise, mais il imagine la honte de croiser un miroir.
Il y a longtemps que la nuit est tombée. Il est seul au milieu de l'immense terrasse. Il se balance dans son rocking chair en rotin en sirotant un verre de cachiri. Sur la table basse la bouteille est à moitié vide. Il l'a finira avant d'aller se coucher.
Il est contrarié.
Demain, il y a encore un journaliste qui débarque pour faire un article sur les conditions de détention. Il en a assez de “ses écrivaillons” qui se prennent pour Londres. Ils feraient mieux de se consacrer aux raisons qui font que de plus en plus de vagabonds se retrouvent à s’entasser à Saint Jean. Il a désigné un homme pour accueillir “le fouille merde”.

Il y a quelques jours, il a reçu un courrier suite à une lettre anonyme envoyée à un journal métropolitain. Cette lettre prétendait qu’un crime aurait été perpétré au coeur du pénitencier de Saint Laurent. Ce même journal prétendait avoir diligenté un reporter pour l’interroger sur ce grave méfait parvenu sous son autorité.
Les murs de son bureau avaient tremblé.
“ Mais pour qui ils se prennent ces merdeux. Est ce qu’il savent au moins à qui ils ont affaire. Un crime dans un bagne, sans blague. Est ce qu’ils s'étonnent de l’eau dans la mer ou d’un arbre au coeur d’une forêt? Non! Alors, qu’est qu’ils viennent me faire chier! On va lui faire visiter la région au baveu, y va pas en revenir”.
Il ne comprend pas qu'un fait pour le moins banal ait pu déclencher la curiosité d'un “torchon” parisien et surtout comment il a eu vent de cette affaire.

Septembre 1933 (sur cette même terrasse)

Au garde-à-vous derrière lui, dans sa livrée, il y a Georges.
Georges, c'est l'homme à tout faire. La journée aux ordres de Madame et le soir à ceux de Monsieur. Il est jardinier, homme d'entretien, maître d'hôtel. On lui a appris les bonnes manières. Sa patronne est fière de ce qu'elle en en fait. Les invités qu'il sert à table disent que c'est une perle.

Contrairement à sa femme, il déteste Georges.
-Apporte-moi une autre bouteille.
- Bien Monsieur.
-Fais vite celle-ci va être vide et j'ai envi d'aller me coucher.
Georges revient avec ce que son patron lui a demandé.
- Tu peux aller te coucher Macaque, le reste c'est entre elle et moi.
Il se lève péniblement et part dormir sur la chauffeuse de son bureau en compagnie de sa bouteille.
En passant devant la psyché il vérifie son cou. Il craint d’y découvrir le goitre du dindon.
Il se couche, il laisse rouler la bouteille vide sur le plancher en teck.
Demain un commissaire, envoyé de Paris, vient l’interroger sur la disparition d’un journaliste.
“ Il aura quand même réussit à m’emmerder celui-là”.
Il se retourne, il dort déjà.
Elle s’était endormies, c’est entrant dans le lit que Pedro la réveille.

Un an plus tôt.
Un homme accueille le journaliste fouineur.
Il lui dit que le commandant est parti sur l’île des lépreux.
Il lui propose de découvrir les beautés de la Guyane. Une petite excursion en forêt afin d’y admirer le coq-de-roche orange, le perroquet amazone, le toucan ariel et plus surprenants encore le mouton paresseux, le cabassou, le singe tamarin, le tapir, le myrmidon et avec de la chance, si les eaux s’éclaircissent, dansant dans l’onde calme de l’embouchure du fleuve un groupe de lamentins.
Dans ce décor de rêve où poussent les palmiers, les orchidées et les yuccas de toutes sortes il lui fit miroiter des peuples sauvages aux femmes magnifiques vivant à demi-nues.
Il oublie de parler des moustiques, des serpents à la morsure mortel et des sables mouvants.
Le journaliste est flatté de tant de sollicitude.
Ils embarquent sur une pirogue.
Le journal parisien recevra une lettre émouvante dans laquelle, on regrettait: "la disparition de cet homme attachant, qui avait su s’attirer la sympathie de tous mais dont une curiosité, compréhensible, pour la faune locale l’avait conduit à l’imprudence". On renvoya toutes ses affaires au rédacteur en chef, en précisant que l’on avait trouvé celles-ci flottant à la surface d’un marais infesté de caïmans.

Léon n’aura jamais connu ni la guerre ni la gloire.
À partir de 1938 plus personne ne sera envoyée au bagne.
Entre 1939 et 1942, par manque d’approvisionnement, Il verra des centaines de prisonniers mourir de faim.
En 1946, c’est lui qui mettra la clef sous la porte.
Il a finit sa carrière dans un bureau poussiéreux du ministère de la justice, à Paris, miné par la malaria.
Michelle obtiendra le divorce.
Héritant d’un joli pactole à la mort de son père, Elle retournera sur sa terre natale, à Saint Laurent, où elle vivra heureuse.
Elle souhaitera y être enterrée.
Longtemps on vit un homme venir déposer des fleurs et des sanglots sur sa tombe.
Le dos courbé, s’appuyant sur sa canne, Pedro s’en allait rejoindre la maison coloniale que lui avait laissée sa madone amoureuse.
FIN
enfin, pour ceux qui ne sont pas curieux et qui ne veulent pas savoir qui était Pedro...

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