Chapitre 12.2

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Les pouvoirs de l'enfant semblaient en bonne voie pour égaler d'ici peu le seid maternel. D'une seule formule, elle avait réussi à paralyser le corps du pauvre Gitz qui se retrouvait figé en une posture grotesque.

Les genoux légèrement pliés, les bras en l'air, le génie de l'onde avait l'impression de ressembler à une vieille souche d'arbre. Le plus dégradant, cependant, était sans aucun doute cet accoutrement ridicule dont Hnoss était en train de l'affubler. Pour que les vêtements de l'esprit des bois aillent de paire avec son nouveau nom, la fillette avait fait confectionner une tenue d'épouse. Par dessus les vieilles frusques, la petite peste avait posé un large bonnet conique, une longue robe chemise et une chasuble maintenue en place par deux fibules ovales, marquées d'un cœur renversé duquel dégouttaient trois grosses larmes de sang. À cela venait s'ajouter un lourd collier de perles, ainsi qu'un châle de soie qui empestait l'essence de rose.

« Comme tu es belle, Amma ! » gloussa Hnoss, d'un ton qui mêlait innocence et perversité.

La chambre était spacieuse. Sur le sol dallé de marbre, d'étranges peaux de bête étaient disposées – certaines terminées par une gueule d'ours aux canines pointues ; une cheminée, taillée dans la pierre brute, brûlait d'un feu mystérieux qui n'avait pas besoin de bois ; la tête d'un grand lit de frêne massif arborait deux menaçantes figures de chiens stylisées ; un peu en retrait, une table étrange retenait de sinistres chaînes desquelles pendaient des menottes de fer gravées de runes à demi-illisibles ; à ses pieds, une montagne de poupées et de figurines, horriblement mutilées, attendaient qu'un bras salvateur puisse leur redonner une seconde jeunesse ou les détruire pour de bon ; des instruments de musique, des livres par dizaines et des boîtes aux formes singulières contenant des cristaux magiques et autres poudres parfumées trônaient sur une série de petits meubles adossés aux murs recouverts de voiles dorés.

« Si je te libère, il faudra me promettre de ne pas chercher à t'enfuir, négocia la gamine, l'œil plein de malice. Tu me le jures, alors ? »

La bouche anesthésiée, Gitz ne put rien répondre, si bien que Hnoss prit ce silence pour un oui et s'empressa de lever le sortilège. Un début de mobilité retrouvée, le nixe voulut bondir en arrière ; il ne réussit qu'à perdre l'équilibre et à tomber maladroitement sur le dos. Ses muscles étaient engourdis et sa nouvelle tenue lui paraissait plus lourde qu'une tunique de mailles.

« Je ne suis pas sotte, tu sais, dit la fille de Freyia. Cette robe est magique, vois-tu. Elle est légère, soit, mais si tu essaies de t'enfuir, elle te cloue sur place. Je n'en suis pas peu fière. Je sens que je vais beaucoup m'amuser avec toi, Amma !

— Je m'appelle Gitz ! vociféra le petit diable bleu. Je m'appelle Gitz ! Gitz ! Gitz ! Gitz ! Et je suis un garçon ! Tous les nixes sont des garçons !

— Peu m'importe ton nom, répliqua la fillette dans un vilain rictus. Je me moque de ce que tu as été. Aujourd'hui, tu es à moi et rien qu'à moi ! Tu n'es plus un nixe, tu es un jouet. Tu n'es plus un garçon, tu es une fille. Tu ne t'appelles plus Gitz, tu t'appelles Amma. »

Terrorisé, le génie de l'onde déglutit. Il devait réfléchir à quelque chose de suffisamment malin pour lui permettre de décamper. Fouiller en ses souvenirs lui rappela son coup d'éclat dans le château de Hogni. S'il avait réussi à ensorceler la servante de Hild, il n'y avait pas de raison qu'il ne puisse faire de même avec cette petite morveuse qui le maltraitait ! Avant toute chose, il devait parvenir à pénétrer son esprit tors : la règle sine qua non pour pouvoir charmer quiconque.

« Oublie ça, petit futé ! Je suis une déesse et non une vulgaire humaine dont le cœur s'emballe pour le moindre mâle qui rôde. Tes tours de passe-passe ne te serviront à rien avec moi. J'ai le regret de te dire que tu ne pourras pas sonder mes pensées ! »

Puisque la séduction ne marchait pas, il ne restait plus qu'à se métamorphoser en humain. Sous cette forme, Gitz parviendrait peut-être à soulever la fillette et l'attacher à l'étrange table de torture. Décidé à fuir cet endroit maudit, il se concentra et ordonna à son corps de se transformer. Cinq secondes passèrent, aucun changement ne survint. Le lutin était toujours habillé en vieille femme ; le damoiseau à l'élégante allure n'avait pas daigné se montrer.

« Que croyais-tu ? jubila Hnoss, guillerette. Cette robe t'empêche également de te changer en homme. J'ai appris bien des choses depuis que Grimnir t'a amené en ces lieux. Hinrik ! Page cent soixante-quinze. Chapitre six : créatures chtoniennes et magiques. Paragraphe sept : les nixes. »

D'un claquement de doigts, elle appela un gros grimoire qui dormait sur l'une des étagères. Mû par une force invisible, le livre poussiéreux s'éleva dans les airs et rejoignit la petite magicienne. Un visage se dessina sur l'épaisse reliure de cuir. Les pages de l'ouvrage se tournèrent à une vitesse prodigieuse. Une voix d'homme récita le passage demandé :

« Les nixes de la déesse Iord sont des génies de l'onde, à l'instar des ondines. D'une nature amoureuse et romantique, ces petites créatures au teint bleu, d'apparence chétive, ne comptent que des spécimens mâles. À sa naissance, chaque individu se voit confié la garde d'un étang, d'une mare ou d'une cascade. Cet abri de fortune est en permanence protégée par une forme de magie primaire qui maintient en suspension le plafond d'eau – car, contrairement à ce que l'on pourrait croire de prime abord, les nixes n'ont rien de créatures amphibies. Bien que fragiles, maladroits et peureux, ils jouissent d'exceptionnelles particularités qui leur confèrent une grande valeur aux yeux des braconniers spécialisés dans la capture d'êtres enchantés. Outre leur faculté de pénétrer durablement l'esprit des femmes, ils peuvent également prendre la forme d'un cheval ou d'un homme aux pouvoirs de séduction redoutables. Il est intéressant de noter qu'on les dit immortels et capables de rendre la vie aux trépassés. En effet, il semble que le sang de nixe, en quantité suffisante, puisse ressusciter les morts… »

Interrompu par la voix aiguë de Hnoss, Hinrik ne put en dire davantage :

« Tu comprends, maintenant, Amma ? Je n'ignore rien à ton propos. »

La fillette se désintéressa soudain de ses deux interlocuteurs pour tournoyer au son des lyres, des flûtes et des cithares enchantées que sa chambre abritait. Dans ses yeux dansaient les flammes de la folie. Il fallait dire que la disparition de son père lui avait rongé les sens. La petite fille sage de naguère avait laissé la place à une enfant instable et venimeuse ; dans ses veines, le sang bouillait en permanence ; elle voulait que les choses aillent si vite qu'elle ne puisse penser ni à ce qu'elle avait perdu ni à ce qu'elle était en train de gâcher ; elle désirait punir ces mondes et cette vie qui l'avaient fait tant souffrir ! Laisser la démence l'envahir la rendait invulnérable, ainsi avait-elle le sentiment d'être heureuse et de tout contrôler.

Pourtant, il y avait une chose qu'elle continuait à ignorer : Valgard n'allait pas tarder à arriver. Gitz, quant à lui, avait confiance en son ami. Il savait qu'il était sa seule chance de ne pas finir comme les jouets malheureux de cette petite furie.

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