Chapitre 10.3

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Par malheur, cet instant de jouissance fut interrompu par une désagréable et inédite impression. Quelque chose paraissait vouloir s'échapper de sa poitrine. Non, cela ne pouvait être ce nixe ! Il avait été avalé. Pire, digéré.

Et pourtant, le Dévoreur dut recracher l'essence de Gitz, qui regagna son enveloppe originelle. Ce ne fut que lorsque le lutin rouvrit péniblement les yeux, que Grimnir comprit :

« Tu es immortel… À travers les neuf mondes, peu d'êtres vivants peuvent se targuer d'avoir semblable pouvoir. Aucune importance. J'ai lu ce que ta mémoire recelait ! »

Un poignard fendit l'air. Avec aisance, Grimnir s'en empara avant qu'il ne le blesse au front.

« Puisque mon identité ne t'est plus inconnue, pourquoi ne pas m'en dire plus sur celui qui ose s'en prendre à ceux qui me sont chers ? Ainsi, nous serons à égalité.

Dans le chambranle de la porte, Valgard se dressait fièrement, bravant son adversaire du regard. C'était la deuxième fois qu'il se trouvait face à cet être impénétrable dont il ignorait le nom. Et si, lors de leur première rencontre, le fils de Hel s'était révélé incapable d'inquiéter son opposant, là, le demi-dieu ne ressentait nulle peur. Pourquoi aurait-il frémi puisqu'au fond de son âme il entendait la voix fluette du garçonnet qu'il avait combattu et vaincu lors de l'ultime leçon de Modgud ? Cette petite voix qui l'exhortait à tuer, se mêlait à celle, plus rocailleuse, de la sanglante Bloddrekk. Ensemble, elles faisaient croître l'appel tentateur du carnage.

« Ton esprit est déchiré en deux, lâcha Grimnir, tout sourire. Une part de toi voudrait me combattre. Une autre, au contraire, t'implore de calmer cette rage, de ne te laisser guider ni par la haine ni par ton sang mêlé. Je te rassure, un jour viendra où nous nous affronterons. Les neuf mondes trembleront sous le choc de nos courroux. Et quand l'un de nous périra, ce sera l'apothéose de nos deux existences ! Mais tu n'es pas prêt. Cela attendra. »

Valgard tenta d'expulser la soif de meurtre qui menaçait de s'emparer totalement de lui. Sans qu'il puisse se l'expliquer, se retrouver devant cet atypique personnage réveillait les pulsions meurtrières qui l'avaient presque contraint jadis à tuer son propre maître. Un dialogue animal s'engagea alors entre les instruments de mort : imité par l'inquiétante hache de Grimnir, le chef-d'œuvre des Réprouvés vibrait comme si Bloddrekk et Hungrad abritaient des entités sosies.

« J'aurais dû m'en apercevoir plus tôt. Tu manies l'une des quatre tueuses de dieux. Voilà d'où tu tires ta puissance, souffla Valgard entre ses dents.

— Effectivement, nos lames sont sœurs mais tu commets une erreur en pensant que nos pouvoirs viennent d'elles. Ce sont nos bras qui les rendent redoutables. Il est si difficile de résister à leur voix que cela témoigne de notre valeur. Nous surpassons les hommes et égalons les dieux. Orlög a rapproché nos destinées !

— Ces armes se sont perdues.

— La compagnie des damnés de Hel t'aurait-elle rendu naïf à ce point ? Il y a de nombreuses choses que tu ignores.

Elma parvint à se redresser péniblement. Ses muscles engourdis lui répondaient à peine. Ses dents claquaient. La sueur collait les mèches rousses sur son front.

— Cette femme… Cette déesse… Freyia… Elle a enlevé Hild… »

Grimnir éclata d'un rire franc. Sur une simple pression du pouce, la poignée de Hungrad se rétrécit jusqu'à ne plus faire que la moitié de sa taille initiale. Puis il la cala dans son dos, entre sa cape et ses omoplates.

« C'était là son plan, dit-il. Cristalliser en une seule âme tout le désespoir et la souffrance engendrés par cette bataille. Celle que vous appelez Hild est devenue le catalyseur dont Freyia avait besoin pour satisfaire ses desseins.

— Quels desseins ? demanda le champion des morts. Seriez-vous les responsables de cette guerre ?

— Évidemment. Si la haine que ressentait Hogni à l'égard de Hedin était vivace, il a fallu en attiser la flamme. L'intérêt de Vanadis était que les deux camps s'affrontent. Et pour combler le déséquilibre de forces entre les deux factions, elle a pu compter sur moi.

— Dans quel intérêt ?

— Cela, tu le sauras bientôt. Crois-tu que le cauchemar soit fini ? La bataille des hiadningar ne fait que commencer !

— Hild est-elle toujours en vie ?

— Bien qu'elle ne soit pas véritablement morte, elle n'a plus rien d'une vivante non plus. Plongée dans une prière sans fin, elle n'a plus aucun lien avec la réalité. Peu enviable est le sort qui lui a été réservé par la déesse de la beauté.

— Où l'avez-vous emmenée ?

— À Asgard, voyons ! Plus précisément, à Folkvang, où réside la fille de Niord. Il existe peut-être une chance de sauver cette mortelle. Vole à son secours et restaure cet équilibre qui t'est si cher. Saisis cette opportunité, car tu n'en auras peut-être plus de pareille. »

Imitant sa comparse, Grimnir rejoignit l'ombre gigantesque pour quitter cette ruche d'humains grouillants, fragiles et insignifiants.

« Tu dois affronter ta destinée et je veillerai à ce que cela soit fait », acheva-t-il.

Aussitôt, Gitz fut soulevé dans les airs par une force invisible. Puis, la main gainée de fer empoigna le nixe par le cou et le jeta dans les noires abysses du passage maintenu ouvert.

« Une raison supplémentaire pour retrouver notre trace ! Découvre le chemin du jardin des dieux. Je t'y attendrai. »

Le fils de Hel eut à peine le temps de dégainer son arme que le passage avait déjà avalé Grimnir et disparu. Sur les dalles de pierre, les vapeurs magiques d'un sang vert fumaient encore.

« Les chiens ! pesta Elma. Comment pourrions-nous nous rendre en Asgard ? Personne ne sait où se trouve le huitième monde ! »

Le champion des morts bouillait d'une colère plus intérieure. Son visage avait beau rester impassible, Valgard se maudissait de n'avoir su prévoir la dernière ruse de son mystérieux rival. Il s'efforça enfin de penser à Hild et à Gitz, dont les vies étaient menacées, et conclut qu'Asgard devait être atteint par tous les moyens. Au plus vite.

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