Chapitre 8.4

3 minutes de lecture

Mon empreinte dans la neige. Mon pied s'enfonce. Je dois lutter pour l'en ressortir. Derrière moi, il n'y a plus aucune trace de mon passage. On a effacé le souvenir de mon voyage. Une force immense me poursuit, qui, affamée, réclame toujours plus de vie. Dans son sillon, tout devient blanc. J'ai beau tâcher de me presser, déjà je m'embrase et me consume.

Je suis mort.

Étrangement, je me sens bien. Mon fardeau me pesait de trop. Il me rendait las. Les pensées me quittent, une à une. Je dérive dans l'infini maelström cosmique. Ma dépouille se désagrège en une poussière des plus fines. Le Ginnungagap pénètre mon essence et la dilue lentement dans la sienne. Ses légions d'yeux, de cœurs et de cerveaux se retrouvent connectés à ce qui reste de mon être.

Soudain, un flot de nouvelles images m'assaille, qui brise ma sérénité. Je suis aspiré mais ne cherche pas à lutter. Le temps où je me battais contre des adversaires invisibles est révolu.

Il y a une femme, hideuse et sale. Elle rampe parmi les rats. De la mousse s'échappe de sa bouche. Des râles de douleur, en même temps que des glaires verdâtres, fuient son larynx. Meurt-elle aussi ? Soudain, une gerbe de sang gicle de son entrecuisse ; les lattes de bois du plancher en sont maculées. L'odeur qui se répand dans la pièce me donne la nausée.

Et puis, comment ignorer ces trois choses recouvertes d'humeurs et de caillots brunâtres ?

La première, semblable à un serpent, gigote en sifflant. Elle commence à s'asphyxier et cherche à quitter cette mare de liquide nauséabond. Il en va de sa survie.

La seconde se traîne péniblement sur ses quatre pattes, agitant un bout de queue atrophiée et dégoulinant. Des couinements aigus l'accompagnent. Quelle pitoyable créature !

La troisième, sur le dos, remue bras et jambes. C'est un monstre. La partie droite de son corps, chétive, ridée et rabougrie, tranche avec les formes rondes et attendrissantes de sa partie gauche. En dépit de ses paupières closes, je sens son regard me pénétrer d'un "je t'aime"… Je la reconnais… C'est ma mère. Je voudrais la serrer contre moi.

On entre dans la pièce. C'est un homme aux cheveux noirs de jais. L'aura qu'il dégage me remplit d'effroi. Il enferme aussitôt les trois nouveaux-nés dans un grand sac de toile.

Angrboda, la iotun, le supplie d'épargner ses enfants. Au dehors, s'étend l'impénétrable Forêt de Fer. C'est le début d'un cauchemar dont je ne fais que recevoir les échos.

Le décor se brouille, l'époque change. C'est un temple ou un palais. Il n'y a pas de torches aux murs, seulement des hallebardes brillantes. Au centre de la pièce, un grand bassin accueille une eau bourbeuse. Auprès d'un autel, des parfums de vase se répandent dans l'air. Il y fait chaud. On étouffe presque. Ma vision se trouble. Je crois apercevoir cinq profils au bord de l'eau. Je n'ai pas le temps d'en voir plus, une brume épaisse s'étend.

Tout redevient blanc et je me retrouve au milieu de cette terre glacée, de la neige aux genoux. Finalement, la mort ne veut plus de moi. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'elle me rejette. Fatigué, je soupire. Quel est ce bruit qui martèle mes tympans ? On dirait les pas de plusieurs milliers d'hommes. Je scrute l'horizon. Ce sont eux, les défunts. Ils marchent sur moi. Ils portent armes et armures. Leurs grands yeux jaunes crachent des flammes qui font fondre le paysage.

À leur tête, une femme aux contours flous brandit une lame qui rougeoie, comme si le marteau du forgeron venait de la battre sur l'enclume. Leurs cris déferlent sur moi telle une vague irrésistible. Mes oreilles explosent. Mes yeux s'ouvrent. Je connais cette sensation : le moment du réveil…

Ce fut dans un grand sursaut que Valgard se releva. Les hurlements des damnés semblaient l'avoir poursuivi jusque dans la réalité. Une odeur de métal et de sueur emplissait la plaine cependant que les soldats marchaient au combat.

Gitz, terrorisé, avait agrippé une jambe de Skinfaxi. Sous leurs yeux qu'agrandissait l'horreur, une gigantesque explosion emporta deux bataillons aux couleurs de Hogni ; un nuage de fumée envahit la scène ; des morceaux de chair calcinés retombèrent lourdement sur le sol.

La guerre venait de commencer.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Erène ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0