Chapitre 7.1

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Curieux anniversaire. Le vieillard gardait la tête baissée. Le regard rivé sur ses genoux, il ne parvenait plus à réfléchir correctement. Son esprit était tétanisé par la peur. Devant lui, ses généraux attendaient qu'il leur donne des ordres. Les troupes de Hogni avaient débarqué sans que la moindre résistance ne leur soit opposée ; pour beaucoup, il fallait riposter tant qu'il en était encore temps.

« L'ennemi dirige des soldats mieux équipés. Cela dit, nous avons la meilleure cavalerie qui soit, fanfaronna l'un des chefs de clan. Malgré les pertes récentes, nos hommes sont exaltés comme jamais. C'est une opportunité à saisir, votre altesse. Profitons de la relative fragilité de l'assise adverse pour attaquer !

— Nous sommes ici chez nous, sur un territoire que nous connaissons parfaitement ! fit un second. C'est un avantage non négligeable et je suis d'avis que nous passions à l'offensive sur le champ !

— Selon vos souhaits, nos guerriers ont été regroupés aux abords de la cité, ajouta un troisième. Ils ont fait savoir qu'ils étaient fin prêts à défendre leur terre. »

Entendait-il seulement ces paroles ? Leur voix était déformée par le bruit assourdissant du sang contre ses tempes. Quelques heures auparavant, il aurait sans hésiter sonné la charge ; une impression étrange lui nouait la gorge à présent, qui faisait voler en éclat tout le calme dont il avait fait montre ces derniers jours. Sa confiance dans le Destin avait subitement disparu. Il n'était plus sûr de rien, qu'il s'agisse de sa victoire ou de ses chances d'en réchapper. Il se reprochait de réagir ainsi. Son attitude était indigne d'un roi. Cependant, s'il s'en voulait de trembler autant pour sa propre vie, il ne se sentait plus capable, en ce moment critique, de penser à autre chose qu'à sa petite personne.

Il fallait qu'il prenne une décision, mais laquelle ? Attaquer ? Défendre ? Jouer la montre ? Relevant lentement la tête, il balaya du regard l'étendue de la grande pièce. Ses meilleurs combattants et sujets étaient disposés à obéir à la moindre de ses directives. Ses enfants, sa bru et ce mystérieux voyageur aux cheveux de neige étaient également présents. Il y avait même cette chose maigre et bleue, ce génie de l'onde vêtu de guenilles dégoûtantes.

Sa vision se brouilla : il crut apercevoir, adossée contre l'un des murs de pierre, une silhouette de femme encapuchonnée, habillée de blanc. Une hallucination, sans doute. Ses sens parurent soudain le quitter tandis qu'un effroyable mal lui ravageait les intestins. Après une gorgée de vin, les choses semblèrent revenir à la normale.

« Père ? Vous êtes souffrant ? » s'inquiéta Hedin.

Devait-il en vouloir à ce fils qui avait agi si sottement ? Lorsqu'il était revenu, une princesse à son bras, le vieux roi était rentré dans une colère silencieuse. Par amour pour Hedin, par égard pour ses exploits, Hiarrandl s'était tu ; son cœur, lui, avait commencé de saigner. Bien qu'il eût gagné une nouvelle fille, belle et lumineuse, une lame funeste était soudainement apparue au-dessus d’Allgronngard ; une épée sur le point de s'abattre ; une épée d'or et de haine ; une arme nommée Dainslef. Néanmoins, fût-il un chef, comment ce père aurait-il pu haïr le fruit de ses entrailles ? En vérité, il n'en avait pas la force.

Hild lâcha subitement la main de son amant et se jeta aux pieds de son beau-père. Elle lui caressa les souliers, le supplia de ne pas envoyer ses soldats affronter ceux de son géniteur. Il devait forcément exister une solution pacifique à cet épineux problème !

« Je vous en prie, laissez-moi aller le trouver et lui dire que je suis heureuse. Laissez-moi lui montrer à quel point j'aime Hedin. En échange de sa bénédiction, je lui donnerai cette bague, souvenir de ma défunte mère qu'il recevra en gage de ma sincérité ! »

Elle pleurait à chaudes larmes. Ses belles joues étaient devenues rouges. En la voyant sangloter de la sorte, le vieil homme réalisa qu'il n'était pas le plus à plaindre. Par faiblesse, il avait cru que tout ce qu'il avait construit au fil de ces trente années de règne s'écroulerait inéluctablement quand il ne tenait qu'à lui de le défendre. D'un geste de la main, il invita Hild à se relever puis lui saisit les poignets. Derrière la silhouette longiligne de la princesse, l'ombre blanche reparut lentement.

Quoiqu'il fût sans doute le seul à la voir, Hiarrandl la dévisagea longuement. De sous le bord supérieur de sa capuche de laine blanche, elle soutenait son regard. Son teint était pâle. Ses lèvres parme s'ouvraient et se fermaient sans qu'aucun son ne s'en échappe. Le souverain comprit alors quelle voie le Destin avait choisi de lui faire emprunter. Ses peurs s'envolèrent et il recouvra son aplomb habituel.

« Avant de donner l'assaut, je tiens à m'assurer qu'il n'est pas possible de régler ce conflit autrement, déclara-t-il, revenu à ses sujets. Combien de guerres auraient pu être évitées grâce au dialogue ? Il y a peut-être un moyen pour que Hogni et sa flotte reprennent le chemin de leur terre sans que nous ayons besoin de les combattre. »

Il se leva de son trône et descendit les marches qui le séparaient de sa cour. Hild croyait devoir l’aider avec toute l'attention que l'on porte aux malades, mais les jambes du vieux roi s'étaient faites aussi dures que des perches de bois ; elles le soutenaient sans mal, maintenant. Hiarrandl était un homme neuf, prêt à faire face à sa destinée. Rien, dorénavant, ne pourrait plus le faire reculer.

« L'anneau sera donné, tu peux me faire confiance. Cependant, tu resteras ici car je ne voudrais pas que Hedin se retrouve à nouveau éloigné de toi. J'irai porter à mon ennemi l'offrande de sa fille et c'est de ma bouche que jailliront les paroles de paix. Jadis, nous avons été amis. J'ai bon espoir.

Le prince grimaça.

« Père, c'est de la folie ! s'écria-t-il. Vous ne comptez pas réellement chevaucher jusque dans le camp adverse ?

— C'est mon plan, rétorqua le suzerain de ce royaume en sursis. Si Hild se rend là-bas, Hogni te l'enlèvera encore. Toi ou n'importe quel autre émissaire serez brutalement exécutés. En revanche, notre ancien allié acceptera de m'écouter, j'en ai la certitude.

— C'est impossible ! Nous ne pouvons pas vous laisser partir seul ! Acceptez au moins qu'une escouade de nos meilleurs combattants vous accompagne.

L'attention de Hiarrandl se porta à nouveau au fond de la pièce. Un chaperon blanc acquiesça ; un doigt long et fin désigna le briseur de trolls.

— Bien, accepta-t-il. Valgard viendra avec moi. Il sera inutile d'être plus de deux. Sa curieuse épée sera assez rapide et tranchante pour me protéger. »

Des murmures s'élevèrent. Malgré l'étonnante prestation du fils de Hel lors de la bataille de Manenmark, certains hiadningar continuaient à se méfier de ce nouvel allié. Pour nombre d'entre eux, cet étranger était un monstre grimé sous des airs de mortel. Pour d'autres encore, son refus de témoigner respect et obéissance aux Ases ne pouvait être qu'une source inévitable de malheur. Au sein de l'armée, rares étaient ceux qui lui accordaient une pleine et entière confiance.

« Je n'y suis pas favorable ! objecta Herulf. Je me méfie de lui. Quels que soient ses pouvoirs, je doute qu'il puisse réellement vous défendre au cas où les choses s'envenimeraient. D'ailleurs, je le vois plutôt s'enfuir ventre à terre que vous venir en aide. Si vous voulez un brave, je viendrais avec vous ! »

Le champion des morts demeurait silencieux. Si Hiarrandl voulait que Valgard l'escorte au campement ennemi, le demi-dieu s'exécuterait. Par respect pour les dernières volontés d'un homme prêt à se sacrifier. Et peut-être même par amitié.

« J'accepte, fit-il, la mine grave. Je t'accompagnerai tandis que tu lui remettras la bague, souvenir de son épouse. S'il le faut, je ferai de mon corps ton bouclier. Que tes sujets se rassurent. »

Les réticents n'eurent d'autre choix que de se taire. Les héritiers du roi, sceptiques, prièrent afin que rien de fâcheux n'arrive à leur père. Hild, quant à elle, implora silencieusement les dieux pour qu'ils choisissent la voie de la paix plutôt que celle de la guerre.

Sans perdre de temps, on fit atteler Engill, le cheval du roi, et Hottur, que Hedin céda à Valgard pour la seconde fois. Gitz, ne se sentant pas le courage d'approcher le farouche Hogni, préféra rester auprès d'Elma.

Comme Hiarrandl et son escorte réduite passaient les portes de Hostengard, le peuple retint son souffle.

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