Chapitre 6.4

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Les vaisseaux déchiraient la mer. Leurs extrémités, taillées dans la chair épaisse de chênes centenaires, arboraient des têtes de dragons ou de rapaces. Ces gigantesques embarcations, longues de plus de vingt mètres, n'avaient pour gouvernails que leurs seules et grandes pagaies. Munies d'un nombre impressionnant de rangées de rameurs, elles filaient à vive allure, leurs voiles rectangulaires gonflées par la respiration soutenue du vent. À leur bord, on comptait une dizaine de chevaux couchés sur le flanc et attachés à même la quille. Il y avait aussi une quarantaine de guerriers vêtus d'armure ou de cotte de mailles, brandissant boucliers et armes d'hast, arcs et épées. Pressés d'en découdre, ils n'avaient d'yeux que pour ce rivage qui s'approchait de plus en plus et leur promettait de sanglants combats. Ô joie, une nouvelle page de leur histoire allait être écrite à l'encre de sang dans un grimoire de peau humaine !

Sur le plus grand et le plus en retrait des navires, de colossales cages de métal avaient été disposées. Recouvertes de chaînes et d'immenses pans de tissu, elles semblaient révéler par moments, l'espace d'une seconde, des ombres monstrueuses, sans cesse en mouvement.

Le bateau du roi Hogni, quant à lui, arborait un mât noir et luisant, terminé par une impressionnante voile marquée de son sceau. À la proue, le belliqueux souverain balayait le large d'un regard hardi. Ses doigts rudes caressaient les lumineux quillons de Dainslef. Les yeux levés de temps à autres vers le ciel, il attendait l'apparition de la lance d'Odin.

« Pourquoi ne vient-elle pas ? N'est-elle pas sensée survoler le camp des vainqueurs choisis par les Ases ? demanda-t-il, un brin inquiet.

— N'aie crainte, lui répondit Grimnir. Le Père des dieux n'a qu'une parole et, s'il a juré de t'offrir la victoire, il le fera. Pour le moment, profite donc de l'air marin. Ne sens-tu pas la petite odeur de mort qu'il transporte avec lui ? Ce sont nos narines qu'il flatte de la sorte. C'est un présage de plus, tu peux me faire confiance.

— J'espère que tu dis vrai. Je n'aimerais pas me rendre compte, en posant le pied au sol, qu'un fou au visage masqué s'est amusé à me mentir. Tu pourrais payer cher le fait de m'avoir trompé.

— Je te le dis et te le répète, tu peux être tranquille. Tu vas récupérer ta fille et obtenir ta vengeance. Au nom du Père des dieux, tu vas envoyer à Hel de nouveaux malheureux, car aucun ne sera accueilli dans les lumineuses halles divines.

— Oui, ce privilège est réservé aux forts ! Pas à une vulgaire bande de voleurs ! À Helheim, ils se maudiront de m'avoir provoqué. »

À plus de dix nœuds à l'heure, les navires eurent tôt fait de rejoindre la côte et d'y aborder avec fracas. Dans un chaos raisonnable, les troupes mirent pied à terre. Les chevaux furent conduits doucement sur le parterre de sable, qui s'en allait rejoindre un tapis de mousse et d'herbe verte. Les sabots et les semelles s'enfoncèrent dans le sol gorgé d'eau. Très vite, les piquets furent plantés, les tentes installées. Avec une précision et une efficacité sans pareille, les guerriers édifièrent un camp que seule une armée entière de trolls aurait été capable de détruire.

Les hommes d'Ari, second du roi, s'installèrent derrière une muraille de rochers tranchants. Le combat à la lance était devenu leur spécialité, si bien qu'on les appelait "disciples de Gungnir". Dans leurs vigoureuses pognes, de superbes vouges et piques acérées pointaient vers le ciel. D'autres chefs de guerre s'étaient joints à leurs meilleures escouades : les bretteurs du comte Vragi, réputés pour leur habileté sans égale, s'établirent près des archers du seigneur Létta que l'on disait incapables de rater leur cible. Tous avaient prêté serment devant Hogni. Jusqu'aux portes de la Valhalle, ils marcheraient côte à côte.

Un cor sonna. Dans le royaume, on sut que l'ennemi était là. Trente jours à peine après la défaite d'Adalrik, Hiarrandl et les siens allaient devoir se frotter à un adversaire d'une autre trempe.

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