Un nouveau départ

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Elle se releva seule.

Les quelques cris étouffés qu’elle avait entendus n’avaient visiblement poussé personne à lui tendre la main. Elle ne jeta pas un regard en arrière, récupéra les morceaux de la théière et des tasses, les arrangea sur le plateau et franchit le seuil de la cuisine. Dans son dos, elle sentait les regards appuyés de ses visiteurs, les trois paires d’yeux qui, depuis le petit salon, observaient sans la moindre gêne une femme faire ce qu’aucun d’eux n’aurait été capable de faire.

Sur un plateau sale rangé au fond d’un placard, quelques herbes et une fiole attendaient sagement. Lorsqu’ils revirent la lumière, leur terreur fut telle qu’ils auraient préféré n’avoir jamais été créés. Les mains qui les tenaient ne tremblaient pas. Les yeux qui les fixaient ne clignaient pas. Le souffle qui les balayait restait constant. Identique. Chaque respiration, chaque regard, chaque mouvement, calculé à la perfection. Chaque goutte versée, chaque feuille remplissait son rôle à merveille, sans la moindre once de chance.

En quelques instants, la théière et le service complet avait retrouvé son éclat d’antan, les morceaux leur place éternelle et le tout son placard de rangement. Fiole et herbes retrouvaient elles aussi la confortable obscurité de leur emplacement désigné. Une simple formalité pour l’Impératrice. Mais pas pour les autres. L’enfant derrière la porte s’extasia dans sa langue, l’exclamation des deux plus grands lui parvint plus clairement. Elle fit mine de n’avoir rien entendu et rangea ses coupes toujours ébréchées dans un placard, à côté de sa théière réparée. Sur le chemin du retour, son pied heurta le squelette qui dormait dans le coin.

— Désolée Stella, murmura-t-elle sans y faire attention.

Et elle claqua la porte derrière elle.

Le silence qui l’accueillit ne la surprit pas. D’un pas lent, elle alla se placer derrière la jeune femme et posa ses mains sur le dossier du fauteuil. Son visage n’exprimait pas la moindre émotion. Doucement, du bout des lèvres, elle dessina chaque mot :

— Je veux la vérité.

La jeune fille essaya de se lever, mais les mains de l’Impératrice se posèrent sur ses épaules.

— Je vous ai invités à rester chez moi. C’est comme ça que vous respectez les lois de l’hospitalité ?

— Je… Non, mais…

La voyant en difficulté, son compagnon se dressa et posa l’enfant sur le fauteuil.

— Restez assis, jeune homme, susurra la maîtresse des lieux tout en se déplaçant entre la table et la porte, sa main caressant le tissu. Restez assis, vous m’offensez. Je ne vous en demande pourtant pas tant, je crois. Expliquez-moi qui vous êtes, pourquoi vous êtes là, pourquoi moi. Et ce que Méridien me veut. Et soyez clair, s’il vous plaît.

— À une condition, tonna l’impoli, toujours debout.

— Asseyez-vous. Et expliquez-moi.

Il s’exécuta et ouvrit la bouche.

— Ne me faites pas répéter, le coupa-t-elle. Quelle condition ?

— La liberté.

Un instant de silence offensé suivit ses mots. L’ombre qui était tombée sur le visage de la terrifiante adulte ne semblait pas perturber particulièrement son interlocuteur.

— Est-ce que vous avez réfléchi avant de me poser cette question ? Vous savez quel temps il fait dehors ? Vous voulez vraiment vous retrouver avec un enfant en plein milieu d’une tempête de neige ? Elle soupira. Je vous laisse une autre chance. Essayez d’être un peu plus intelligents, sur ce coup. Tu as le droit de parler aussi, Melinn, s’il y a quelque chose que tu veux.

— Ce que je veux… N’importe quoi ?

— N’importe quoi. Dans la limite du raisonnable. Et de l’intelligent. Après, je peux vous mettre dehors, mais si vous mourez, ça ne sera pas de ma faute. C’est comme vous voulez.

— Je veux…

— Oui ?

— La sécurité.

— De qui, de quoi ?

— De nous trois. Rien, je dis bien rien ne doit nous arriver à cause de toi. C’est suffisamment intelligent ?

— Ça l’est. J’accepte. Dites-moi, donc. Commençons par le début. Qui êtes-vous ?

— Je suis Melinn Goldberg, j’ai 22 ans et je suis fille de marchand. Ma mère, femme mariée, a été violée par Méridien, m’a donc conçue hors mariage et par conséquent a été exilée. Elle a vécu comme réfugiée et m’a élevée dans le grand bazar d’Endéan, suivant l’exemple de l’Étoile de Feu, espérant n’obtenir qu’une infime parcelle de ce que Fan’hara a obtenu. Elle en est morte. J’ai survécu dans les bas-fonds, j’ai grandi, j’ai prouvé ma valeur et je suis partie. Je n’en pouvais plus. Je suis allée voir la Guilde des Prophètes, les voyants de Belmerar, ils m’ont reconnue comme fille de Divin et je me suis retrouvée à la Cour de Ghé. J’y ai passé quatre ans. Et j’ai dû fuir. Encore une fois. J’ai rencontré ces deux-là, ce sont de simples villageois, sa femme l’a quitté après avoir accouché, elle s’est mariée avec un autre qui se fichait bien qu’elle soit pure mais qui ne voulait pas de l’enfant. Il est encore en apprentissage chez un antiquaire.

— Leur âge ?

— 18 ans et 1 an et demi.

— À part Méridien, un autre Dieu impliqué ?

— Pas à ma connaissance.

— Et vous êtes là parce que… ?

— Intrigues de palais. Vous savez ce que c’est. On l’a accusé d’avoir empoisonné les chiens de la Reine, lui qui avait été engagé pour les soigner, moi, on essaie de me tuer.

— Donc un bébé, un adolescent et une jeune adulte qui fuient un palais où on veut les tuer et qui se retrouvent ici par hasard.

Elle hocha la tête.

— Ça me va. Classique et suffisamment complexe pour ne pas avoir été inventé sur le coup. Ça vous correspond déjà mieux. Je ne crois pas vraiment au hasard mais j’imagine que j’aurais ma réponse suffisamment rapidement. N’est-ce pas Méridien… ?

Elle soupira et secoua la tête en voyant les deux jeunes gens regarder vers le ciel, un air bête sur le visage.

— Bon, venez avec moi, je vais vous installer.

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