La Danse des Marionnettes

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— Qu’est-ce que vous avez fait ?

— Sortez, vous verrez.

— Dites-nous ! Qu’est-ce que vous venez de faire ? C’était une vengeance, hein ? Un meurtre ? Vous avez brûlé des champs, des granges, des gens, à l’instant, parce qu’on vous a mise face à vos responsabilités ! Vous ne méritez pas de régner, vous ne méritez même pas de vivre ! Les Dieux ont tout fait pour vous ! Ils vous ont élevée, nourrie, ils ont béni les terres sur lesquelles vous vous teniez, ils ont veillé sur vous depuis votre plus tendre enfance et vous les tuez ! Vous ne méritez même pas le nom d’humaine si vous voulez verser le sang des Dieux, le sang de votre propre famille !

— Ma famille ? s’esclaffa-t-elle en se détournant d’eux. Vous ne m’avez pas bien comprise, peut-être ? Le sang des Dieux ? Le nom d’humaine ? Vous croyez que ça m’intéresse, tout ça ? Réfléchissez un peu, rien qu’un peu. Regardez-vous, soyez honnêtes : de quel droit vous me jugez ? Vous n’êtes qu’une bande de gamins. Vous n’avez rien vécu qui soit ne serait-ce que l’ombre de mes jours les plus sombres. Regardez-vous. Des brindilles, des enfants. De mon temps, vous n’auriez même pas le droit de porter des armes. Vos têtes résonnent, pleines de l’écho des montagnes. À part servir de marionnettes dans une guerre qui ne vous concerne pas, quel est l’intérêt de votre présence ici ? Et puis, sérieusement, vous feriez mieux de mettre des pantalons doublés de fourrure au lieu de vos jupes et de vos robes ridicules ! Il y a tellement peu de tissu que vous devez mourir de froid sans vos charmes. Partez, je refuse de tuer des enfants qui n’ont aucune idée de ce dans quoi ils mettent les pieds. Vous ne comprenez rien à ce que vous faites, vous ne comprenez pas que tout ce qu’on vous fait croire n’est qu’un conte que les Dieux ont créé de toutes pièces pour vous monter contre moi. Et ils vous utilisent parce qu’ils ont trop peur pour venir directement me confronter. Ils devraient finir par comprendre que m’envoyer des jeunes enfants ne sert strictement à rien. Partez, maintenant. Vos blessures ne sont pas suffisamment graves pour que vous ne puissiez pas retourner d’où vous venez.

Il y eut un instant de silence. Les quatre paires d’yeux incrédules pointés sur le dos d’Isladora la firent frissonner. Soudain, elle se retourna et, d’un ton qui n’avait rien d’imposant, ajouta :

— Et puis dîtes aux prochains de ne pas se pointer aux heures de repas, s’il vous plaît ! J’en ai assez d’être réveillée au beau milieu de la nuit ou de devoir mourir de faim pendant que je dois repousser les escarmouches ridicules des prétendus envoyés des Dieux !

Cette dernière offense poussa les quatre aventuriers hors de leurs gonds. Ils étaient les Élus de Méridien, pas un vulgaire groupe de vagabonds qu’on pouvait se permettre d’insulter ! Et puis comment osait-elle, cette terrible femme, les traiter comme des enfants ! Ils attendirent qu’elle leur tourne le dos, puis d’un commun d’accord, ils se jetèrent sur elle, usant de leurs dernières forces.

— Hors de question.

L’Impératrice les immobilisa d’un geste de la main. Un mur enfermait les quatre adolescents dans une poignée de mètres.

— Décidément, vous ne changez pas. Plus vous êtes jeunes et plus vous vous entêtez. Je suis désolée, mais ne vous mêlez pas des affaires des autres. C’est déjà suffisamment compliqué comme ça, si en plus je dois être harcelée par des bandes d’entêtés tous les six mois, je ne suis pas près de me venger des Dieux. Lâchez l’affaire, s’il vous plaît, rentrez chez vous, rappelez à Veirn ou à Luculia qu’elles feraient mieux de venir elles-mêmes au lieu de vous envoyer vous faire massacrer. Je l’ai dit, je n’ai pas de temps à perdre avec vous. J’ai suffisamment de travail et de recherches à mener.

Malgré le sortilège, les jeunes gens luttaient, elle le sentait. Ils frappaient sur les murs transparents, hurlaient, se déchaînaient sans retenue. Ils mettaient leurs dernières forces dans l’annihilation d’un projet dont ils ne savaient rien. Leurs armes se brisaient petit à petit, sans égratigner la barrière.

Elle leur jeta un regard désespéré, puis soupira et leur trancha la tête. Elle secoua la sienne. Depuis vingt ans qu’elle s’était établie ici, elle n’avait eu de cesse de repousser de potentiels gêneurs. Si au départ elle était parvenue à en recruter quelques-uns dans sa lutte contre les Dieux, désormais ils ne lui envoyaient que des têtes de mules qui feraient mieux de retourner dans leurs villages prier les divinités qui les utilisent comme des marionnettes dans leurs luttes enfantines.

De combien de guerres avait-elle été témoin pour des histoires de religions ? Combien de meurtres, d’attentats, d’abus au nom des Dieux ? Combien d’Églises s’enrichissaient sur le dos de leurs fidèles, combien de morts, combien de tortures, de souffrances ? Combien avaient succombé sous la loi divine ? Combien, comme elle, avaient été brûlés vif par des croyants, torturés jour et nuits pour ce qu’ils étaient, affamés, abandonnés ? Elle avait tout perdu au nom des Dieux, elle avait tout commis au nom des Dieux, elle avait tout subi au nom des Dieux. Elle savait mieux que personne ce que cette formule signifiait. Les crimes humains en devenaient des actes de foi et de piété, tandis que les Dieux se fichaient divinement de ce qui pouvait bien se passer sur ces terres.

C’était pour ça qu’elle les haïssait, plus que tout au monde. Parce qu’ils étaient responsables et qu’ils s’en fichaient complètement. Et ça, elle leur ferait payer.

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