Chapitre 6 - Partie 2

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En fin d’après-midi, il retourna à l’hôpital Gastronika un peu plus frais grâce à sa douche, mais toujours plongé dans une angoisse collante. Vassily tentait de lui changer les idées en lui parlant de sa vie passée. Il avait une petite sœur, Raya, qui rêvait de devenir policière ou pompière : de défendre les gens, qu’elle disait. Ses parents craignaient pour son avenir, car visiblement la Russie avait quelques problèmes sécuritaires à cette époque, mais ils ne voulaient pas détruire tous ses songes. Vassily en parlait à la fois avec douleur et douceur. Aspen se souvenait aussi qu’il avait fait référence à une petite amie, mais se gardait bien de mettre le sujet sur la table pour l’instant. Peut-être avec le temps en apprendrait-il plus dessus.

Le garçon se surprit à s’intéresser à cette vie bien lointaine. Cela lui permettrait de mieux comprendre Vassily à l’avenir, ce n’était pas négligeable. Son compagnon de fortune était bien plus ouvert que lui, et sûrement qu’en discuter l’aidait à accepter sa condition actuelle de prisonnier. Le terme était rude, mais il ne fallait pas se voiler la face. Vassily était retenu dans la cage qu’était le crâne d’Aspen, subissant son mauvais caractère et sa froideur.

La pluie s’était remise à tomber. Une ambulance passa en trompe à côté de lui, l’éclaboussant avec violence.

« Bordel. »

Quelle journée de merde. Les véhicules de secours étaient les derniers à avoir le droit de rouler. Ils étaient également le seul à être approvisionné en essence, ressource devenue rarissime que Kort, dans un souci de justice, avait décidé de préserver pour les urgences. Voilà bien un des uniques avantages notables qu’Aspen reconnaissait à leur Divin. Il frissonna quand le vent se glissa dans sa chemise pour lui caresser le torse et s’abrita sous le porche de l’entrée secondaire de l’hôpital pour respirer. Les antalgiques faisaient effet, mais il avait besoin de retrouver un peu de courage avant d’affronter cette soirée. Anya allait certainement lui sauter dessus et… alors que son regard vaquait, hagard, sur le parking où étaient entreposées de lourdes caisses de stockages, il remarqua une silhouette féminine qui courrait pour se réfugier près de lui.

Cette jeune femme n’était nulle autre qu’Alba.

« Salut ! »

Elle était essoufflée par sa course et Aspen ne réagit pas immédiatement, occupé à la dévisager avec de grands yeux de merlan frit.

« T’étais plus poli avec de l’alcool dans le sang. »

Ça n’a rien à voir, se retint-il de rétorquer.

Elle réajusta sa chevelure et ses mèches humides. Son maquillage avait coulé sur ses joues, laissant de longs sillons bleus sur son passage. Le garçon retrouva l’usage de sa bouche quelques secondes après, mais certainement pas comme elle l’aurait voulu :

« Qu’est-ce que tu fais là ? C’est de l’autre côté l’entrée pour les urgences.

— J’ai l’air d’aller mal ?

— Non, mais… »

Alba, plus petite que lui, devait lever la tête pour le regarder. Ses prunelles brunes étaient malicieuses. Elle n’était pas venue à l’hôpital, elle était ici pour le voir.

« Comment tu sais où je travaille ?

— J’ai demandé au barman, il avait l’air de te connaître. »

Aspen n’en croyait pas un mot. Mikhaïl et lui n’étaient pas des habitués du Kholli et jamais il n’aurait parlé de son boulot au sluzbe. Jamais il n’aurait parlé de lui tout court. Méfiant, ses paupières se plissèrent.

« Sois gentil avec elle, t’as vu tout le chemin qu’elle a fait ! »

Sois gentil ? Mais tu m’as pris pour qui ? Un prince charmant ?

« Est-ce que tu voudrais qu’on se fasse une soirée ensemble ? »

Aspen, qui s’était jusque-là concentré sur Vassily pour lui répondre, se tourna pour la dévisager, comme si une seconde tête venait de lui pousser. Elle n’était pas gênée, car elle ajouta même :

« Tu sais, toi et moi, et plus si affinité. »

Elle n’avait définitivement pas froid aux yeux.

« Tu ne peux pas refuser », argua Vassily.

Pris de court, Aspen bégaya.

« Euh… Je, fin c’est que…

Ça te fera du bien !

— Je suis un peu occupé en ce moment…

Tu ne peux pas refuser ! »

J’ai autre chose à faire, genre, dormir, nettoyer mes vitres, m’inquiéter de ce que Zenon me réserve !

« Je peux aussi comprendre que tu sois occupé, mais je peux attendre tu sais ! La semaine prochaine peut-être ? glissa Alba.

Aspen ! vociféra Vassily.

— Oui ! »

Il avait répondu à haute voix à son compagnon de fortune, ce qui passait pour une franche affirmation aux yeux de la jeune femme. Il blêmit, maudissant Vassily de tous les Divins.

« Super ! »

Elle sourit, angélique, heureuse de s’être trempée jusqu’à l’os pour obtenir un rendez-vous avec un démon maudit peu bavard et malpoli. Et Vassily qui ne la quitterait pas de la tête de toute cette soirée ! Il se souvint des mots de la jeune femme : « et plus si affinité ». Comme lui expliquer qu’il était incapable de répondre à ses désirs sexuels avec un homme dans son crâne ? Et ses cicatrices ! Elle poserait un milliard de questions. Et puis elles étaient encore trop fraîches. Aspen eut envie de s’écrouler au sol, mais il garda la tête hors de l’eau suffisamment longtemps.

« Alors on se fait ça quand ? Je suis libre tous les soirs.

— Samedi je travaille l’après-midi, mais je suis disponible après, grommela-t-il.

— C’est parfait alors ! Tu préfères que ce soit chez toi ou ailleurs ? »

D’un côté, il n’avait clairement pas assez d’argent pour se payer un dîner dans un restaurant. Et de l’autre, le faire chez lui permettrait à une femme beaucoup trop entreprenante comme Alba de l’amener direct à son lit. Alors qu’une soirée à l'extérieur, il avait une chance de pouvoir y échapper. Les lèvres pincées, il décida un entre-deux.

« Au jardin d’été ? C’est un peu loin, mais c’est beau. »

Il n’aurait pas à payer son dîner pour paraître galant et serait à l’abri de toute tentative de passer à l’acte. Et si elle trouvait par miracle une façon de le faire, il s'enfuirait d'une façon ou d'une autre.

Son sourire était radieux.

« Vingt-heures samedi alors ?

— C’est ça.

— Je note et je vais te laisser travailler. Amuse-toi bien », le quitta-t-elle d’un clin d’œil.

Encore sous le choc, Aspen ne lui fit qu’un vague signe de la main, le regard pourtant rivé sur cette jeune femme qui retourna braver la pluie. Peut-être qu’elle l’avait simplement croisé au hasard en allant quelque part ? Mais pourquoi avoir menti ? Vassily riait à gorge déployée.

« Tu me le payeras, marmonna Aspen à son intention, en entrant dans l’hôpital.

Arrête ton cirque ! Elle va t’en faire voir plein les couleurs, tu me remercieras. »

J’en doute.

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