Chapitre 3

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Aspen releva la tête et scruta son minuscule appartement plongé dans le noir. La voix n’était pas enfantine, c’était celle d’un homme d’âge mûr, un poil craintif et apeuré. Cet endroit était pourtant trop petit pour cacher un tel gabarit. L’individu ne pouvait pas se terrer ici. Tout était trop exigu, et puis Matvey était là depuis plusieurs heures déjà ! Personne n’aurait pu entrer à son insu.

Évaluant toutes les possibilités, Aspen ne répondit pas immédiatement. Il n’avait pas envie de sortir de son lit et encore moins de se plier pour regarder en dessous. Il était trop épuisé, et son dos… Peut-être que tout ça était irréel, que son cerveau dépravé le faisait tourner en bourrique. Avec un peu de chance, s’il ne bougeait pas, sa matière grise cesserait de graviter et s’endormirait avec tout le reste de son corps, en arrêtant par la même occasion de le rendre fou.

Mais les supplications revinrent, entêtantes, signe qu’il n’avait pas rêvé.

« S’il vous plaît ! Quelqu’un !

— Je vous entends, répondit Aspen d’une voix égale, sans cacher sa méfiance.

Où est-ce que je suis ? »

Il ne saisit pas.

« C’est plutôt à vous de me dire où vous êtes. Vous êtes chez moi, mais je ne sais pas où vous vous cachez. Qui que vous soyez…

Il fait sombre, je ne vois rien. »

D’un geste agacé, Aspen alluma la lumière du salon grâce à l’interrupteur au-dessus de sa tête, et se redressa. Méfiant, il attrapa son glock sous son matelas. Il cligna plusieurs fois des paupières pour habituer ses prunelles et regarda enfin la pièce dans son ensemble. Personne. Ni ombre cachée dans un coin ni couteau sous la gorge. Un mauvais coup de Luidovic ? Zenon qui avait envoyé un homme de main l’exécuter parce qu’il était sorti vivant du Chaos ? Les yeux plissés, Aspen huma l’air, réfléchissant à la meilleure décision à prendre. Il devait localiser la menace et donc entendre une nouvelle fois cette voix. Le glock dans sa paume, lourd et froid, le rassura un peu lorsqu’il énonça :

« Il fait clair maintenant.

Non, il fait toujours noir.

— Montrez-vous ou j’appelle les exécuteurs !

Les exécuteurs ? »

De colère, Aspen se leva, gémit, et rejoignit la cuisine d’un pas douloureux. Il ouvrit tous les placards avec fracas, scruta leur moindre recoin, tous les doubles fonds, vérifia qu’il n’y avait personne dans les aérations de l’appartement, alla même jusqu’à déboucher le lavabo. Cette voix venait forcément de quelque part ! Il claqua les portes avec violence, s’attendant au pire à tout instant, mais il dut s’avouer vaincu une fois avoir fouillé tout son logement : il ne trouvait pas. Essoufflé, courbaturé et à bout après cette catastrophique journée, il s’attrapa les cheveux et tira. Ce simple geste lui arracha un gémissement à cause de ses tempes gonflées. L’idée que Zenon ou Luidovic puissent se jouer de lui le rendait fou. Il en avait assez d’être ridiculisé.

« Qui que vous soyez, sortez ! hurla-t-il.

Sortir de quoi, hein ? Je sortirais bien si je savais où j’étais !

— Comment ça vous ne savez pas où vous êtes ? On vous a séquestré dans mes murs ? »

Cette réponse parut faire hésiter la voix qui ne répliqua pas immédiatement.

« Non… souffla-t-elle ensuite. Il n’y a rien ! Pas de mur, rien ! »

Les oreilles d’Aspen bourdonnaient de nouveau. Las, il se traîna jusqu’à son lit et s’y assit, son arme toujours en main. Sa respiration se hachait sans qu’il ne sache pourquoi. Toute cette situation le mettait sous tension. Pour se calmer, il se massa la tempe gauche. Il se remémora les visages des clébards de Luidovic à la recherche d’une voix qui pourrait lui ressembler.

« Ah ! Je vois quelqu’un ! Eh ho ! »

Alerté, Aspen releva la tête vers la cuisine, pensant être la personne en question. Il n’y avait toujours qu’un éternel néant.

« Non ! Attends, reviens ! Fais chier ! »

Alexandre ? se demanda Aspen. Non non, Alexandre avait une voix beaucoup plus dure et rocailleuse. Celle-ci était plus douce et mielleuse. À défaut de comprendre quoi que ce soit à la situation, le garçon se rallongea.

« Bon, si tu ne cherches pas à m’égorger, je vais dormir. Tu sortiras quand tu seras décidé. On s’est assez foutu de ma gueule pour aujourd’hui.

Non, attends ! »

Mais Aspen était tellement épuisé que, dès que ses yeux se fermèrent, il s’assoupit trop profondément pour entendre une quelconque protestation.

◤♦◢

Il n’émergea de ce sommeil qu’à cause d’un mal de crâne déchirant. Perclus de douleurs, Aspen resta un moment le poignet sur le front, cloîtré dans le noir pour calmer ce tambour. Il devait aller à l’hôpital s’excuser pour hier, déterrer des vêtements que son dos supporterait et marcher jusque là-bas. Il ne se souvint qu’en cet instant de cette voix à l’origine inconnue. Maintenant qu’il était reposé, il se rassura un peu. Il avait dû s’endormir bien avant et toute cette partie n’avait été qu’un rêve. C’était évident.

Après une heure à traînasser, il trouva enfin la force de se hisser hors du lit. Tout son corps lui tourna et il jura. D’une lenteur exaspérante, il se servit un verre d’eau et déplia une chemise ample dans son placard. Il changerait ses bandages dans la journée en espérant qu’ils ne soient pas noyés dans l’heure.

Un brin de toilette et des chaussures enfilées avec difficulté plus tard, Aspen sortit de la maison. La pluie avait trempé les trottoirs et frappait encore avec force les trois fleuves de Saint-Pétersbourg. Le son était assourdissant. Même ses tympans percés par le cri de la harpie lui étaient douloureux.

Dans cette éternelle posture d’individu traqué, dominé, il rasa les murs de la ville, le dos courbé et le visage caché dans la capuche de son manteau. Il n’en revenait pas encore d’avoir survécu à autant en si peu d’heures. Les garmes et les harpies et…

« C’est bon, tu es décidé à m’écouter maintenant qu’on est dehors ? »

Aspen sursauta violemment et se retint à la façade à sa droite, guettant les environs d’un regard apeuré. La voix… l’avait suivi dans la rue ? C’était impossible. Le jeune homme fit fi des passants qui le prirent pour un gentil aliéné tandis qu’il scrutait les alentours. Personne ne l’observait de façon insistante, comme le ferait quelqu’un désireux d’attirer son attention. Il porta ses mains à ses tempes et la voix continua.

« Non parce que je me doutais bien que tu allais m’ignorer ou chercher partout comme hier. On est dans une rue à ce que j’entends ? Et y a une sacrée flotte, mais ça te prouve que je ne peux pas me cacher dans tes placards. »

Effrayé, Aspen se demanda s’il devenait fou. Tout ça n’aurait dû être qu’un cauchemar, et voilà que son cerveau le forçait à avoir une discussion avec une entité inexistante ! Non, le meilleur moyen de vaincre la folie, c’est de l’ignorer, se dit-il. Secoué, mais persistant, il reprit sa marche, les sourcils froncés à la fois d’inquiétude et de crainte. Le Chaos incinérait le peu de santé mentale qu'il avait conservé jusqu'ici. Cela allait-il s’empirer ? Ses parents avaient-ils subi le même sort avant de l’abandonner ?

Peut-être était-ce héréditaire ? Mille questions lui tournaient dans la tête et furent interrompues par un soupir plus qu’agacé.

« T’as fini de m’ignorer ? Je sais que tu m’entends. »

Les lèvres pincées, Aspen ne répondit pas.

« Comment tu t’appelles ? »

Silence, regard déterminé sur la route à prendre, il ferma un instant les yeux pour tenter de l’oublier.

« Eh oh, je te parle ! »

Ces bavardages incessants ne faisaient que rendre son crâne plus douloureux encore. Il n’allait pas arrêter de se battre aussi facilement contre cet enfer.

« Super, je suis tombé sur un geôlier mal aimable et taiseux.

— Un geôlier ? s’indigna-t-il.

­— Ah ! Tu parles enfin !

C’est moi le geôlier, évidemment, je ne suis pas du tout victime du Chaos, grommela-t-il à voix basse.

Le Chaos ? Oh, et hier t’as parlé d’exécuteur, c’est quoi ? Tu m’emmènes les voir ? »

Ce qu’Aspen ne saisit pas, c’était pourquoi son esprit dérangé ne connaissait ces mots. S’il était bel et bien devenu fou à cause d’hier soir, ce que les ténèbres avaient créé dans son crâne devait être au fait leur univers. Pourquoi n’était-ce pas le cas ?

« Je ne vais pas t’emmener voir les exécuteurs puisque tu n’existes pas, grinça Aspen. Et je n’ai pas l’intention de dire à tout le monde d’où tu viens.

D’où je viens ? On est plus à Saint-Pétersbourg ?

— Si, souffla-t-il, agacé. Mais tu viens de ma tête.

Quoi ? Tu es fou, je suis dans une cave ou un vieux truc du genre. Il fait juste tout noir.

— Oui. Oui je suis fou. Et je parle à une voix dans ma tête, évidemment que je suis fou. »

Il serra ses poings dans ses poches. Son interlocuteur se tut un instant et Aspen put se concentrer sur la route. Les rues étaient maintenant vides à cause de la pluie torrentielle. Il vérifia quand même autour de lui qu’aucune oreille indiscrète ne traînait.

« Le dernier souvenir que j’ai c’est… une brume noire, immense, qui s’est engouffrée dans le bâtiment de ma fac et…

— Ta quoi ? le coupa Aspen.

Ma fac, mon université quoi. »

Le garçon s’arrêta aussi sec. Il ne comprenait rien. Si le début faisait indubitablement référence à l'enfer, le reste n’avait aucun sens.

« Tout a été évacué et je me suis confiné chez moi pendant une semaine. Et la brume noire est revenue, elle était partout.

— Le Chaos, lui apprit Aspen. Cette brume noire, c’est le Chaos.

Tout le monde disait que les portes de l’Enfer s’étaient ouvertes, y avait une histoire de Dieux disparus ce genre de trucs… »

Silencieux, Aspen s’abrita sous un arbre près d’un immeuble, songeur.

« Je n’avais jamais vraiment cru à toutes ces histoires de religion tu vois, alors je pensais que la brume noire c’était… je sais pas, un problème météorologique. Ils n’arrêtaient pas de nous bassiner avec le réchauffement climatique, ce genre de choses.

— Le quoi ?

Bah, la terre qui se réchauffe, les glaciers qui fondent, les eaux qui montent, les pandas qui meurent, tout ça !

— Les pandas ?

Mais tu viens de quel monde ? »

Sur le cul, Aspen avait les yeux grands ouverts, fixés sur son propre reflet dans une flaque d’eau. Ses cernes prenaient une dimension stratosphérique, couplés à tous les hématomes peu harmonieux et violacés. Il n’aurait jamais pu savoir qu’il ressemblait, en cet instant, à un panda, car cette espèce s’était éteinte deux cents ans auparavant, lorsque les portes de l’enfer s’étaient effondrées.

« Enfin, je me souviens juste de m’être allongé dans mon lit et quand j’ai rouvert les yeux, il faisait sombre et je n’entendais que toi. Ça fait combien de temps maintenant ? On est toujours en juillet ?

— On est en octobre. »

Plus grand silence encore. Aspen ressentit le besoin d’ajouter quelque chose.

« Le sept octobre deux mille deux cent soixante-neuf.

C’est impossible… »

Sincèrement choquée, la voix – qui n’avait toujours pas de prénom et dont Aspen n’en avait rien à cirer – répliqua avec hardiesse :

« Hier on était en deux mille quarante-six ! C’est impossible ! ça ferait deux cents ans ! Tu mens ! Ou alors je deviens fou ?

— Non ! Putain, non ! explosa Aspen. S’il y a bien un fou ici, c’est moi. Il y a une voix qui me harcèle dans la tête depuis que je suis entré dans le chaos, qui me parle de pandas, de glaciers et de réchauffement climatique tout en me faisant croire qu’elle a deux cents ans !

Mais…

— Stop ! J’en ai assez. C’est silence radio maintenant, j’ai autre à faire. »

Son ton n’acceptait aucune contradiction et l'inconnu le comprit, car il se plongea dans un mutisme boudeur ou vexé. Aspen lâcha un soupir soulagé et put enfin reprendre sa route sous la pluie jusqu’à l’hôpital.

Il passa par la porte de derrière, celle réservée aux employés et montra sa carte au vigile qui le laissa entrer. Les vols de matériels et d’organes étaient trop fréquents pour garder de tels passages sans surveillance. Le regard que le garde posa sur lui valait à la fois toutes les menaces et toute la méfiance du monde, mais Aspen l’ignora, profitant du simple silence dans sa tête.

Sans émotion, il traversa ces immenses couloirs jusqu’à atteindre le bureau de son chef de service. Sur la route, il croisa malheureusement Anya, en tenue d’infirmière, les cheveux redressés et cachés par une charlotte. Ses prunelles scintillèrent en le voyant arriver.

« Aspen ! »

Oh non, non, non. Il tenta de faire comme s’il ne l’avait pas entendu et accéléra le pas, mais la jeune infirmière le rattrapa aisément, une poche d’urine encore chaude dans les mains. Toujours aussi glamour cette jeune femme.

« Tu n’es pas venu hier, tout va bien ? »

Elle découvrit alors l’état de son visage et sa mine se décomposa, sincèrement peinée. Anya avait toujours été très démonstrative. Il avait appris à la connaître et savait que sa vie avait été pour le moins paisible. Des parents aimants bien qu’ils ne roulent pas sur l’or, elle avait eu la chance de poursuivre les études de ses rêves dans la seule et unique école de médecine de Saint-Pétersbourg. Elle vouait sa vie aux autres, à leur bien-être, et devoir les débarrasser de leurs excréments ou de leurs poches d’urine ne lui pesait pas. Aspen admirait sa dévotion et son courage. Elle ne fuyait pas comme lui fuyait tout ce qui l’effrayait. Il ne se rendit compte qu’il l’observait avec de grands yeux que lorsqu’elle lui attrapa le poignet. Décidément, il était long à la réaction dernièrement.

« Qu’est-ce qui s’est passé ?

— J’ai été retenu hier, une mauvaise rencontre. Je n’étais pas vraiment en état de venir travailler.

— Ils ont essayé de te voler ? Tu devrais prévenir les exécuteurs, ils pourraient s’occuper de ces truands. »

L’idée même de s’adresser à un membre de l’Égide le terrifia tant qu’il blêmit un peu plus en secouant la tête.

« Ça va aller, ils ont vu que je n’avais rien sur moi et… et… »

Face à son malaise évident, Anya tenta de le rassurer d’un sourire.

« Je peux aller en parler à Marek si tu veux. Je peux lui dirai que tu es indisponible ce soir. »

Cette initiative était exactement ce qu’il attendait d’elle. Qu’elle aille s’adresser à son responsable pour qu’il n’ait pas à le faire lui-même.

« Si ça ne te dérange pas…

— Bien sûr que non ! sourit-elle. Vu la tête que tu fais, tu as besoin de te changer les idées. Tu veux qu’on aille manger quelque part ?

— C’est vraiment gentil, mais… »

Oui, Aspen se servait d’elle pour fuir Marek sans être capable d’accepter ses avances. Car il savait encore reconnaître les jeunes femmes qui s’intéressaient à lui, et Anya en faisait partie. Ses parents auraient sûrement préféré qu’elle se marie avec un grand médecin ou un talentueux chirurgien, et malheureusement pour eux, son cœur s’était épanché d’un gamin orphelin, homme de main du Wioletta dont la santé mentale déclinait au plus haut point. Quelle tragédie.

Le souci était qu’Aspen n’avait pas la tête à ça. Ni à gérer un rendez-vous avec une femme débordante d’énergie, ni à s’asseoir au milieu d’une foule de couples pour dîner tout en ayant l’air normal, comme si tout son dos ne s’enflammait pas au moindre contact avec ses vêtements. Et puis, pour être sincère, Anya avait beau être la compagne la plus douce et dévouée du monde, jamais Aspen ne serait capable poser ses sales pattes sur elle.

« Je vais juste me reposer, si ça ne te dérange pas. On verra pour faire ça plus tard. »

Ses prunelles s’éclairèrent d’espoir. La notion peu précise de « plus tard » n’avait pas l’air de l’incommoder outre mesure.

« C’est vrai ? »

Lui qui avait toujours esquivé ses avances se retrouvait bien coincé maintenant.

« Ouais je… »

Il voulut se frotter la nuque, mais ce simple mouvement l’aurait fait grimacer et Anya l’aurait remarqué.

« On verra ça quand j’irai mieux.

— Oui, tu as raison. Je devrais te laisser du temps. »

Elle s’excusait sans se départir de son sourire, convaincue qu’il acceptait plus ou moins de passer une soirée avec elle. Gêné, Aspen jongla d’un pied à un autre puis fit marche arrière.

« Bon bah… je vais rentrer dans ce cas.

— Je n’oublie pas de prévenir Marek. On se voit demain !

— Ouais, à demain. »

À peine sorti, Aspen s’adossa contre le mur de l’hôpital et respira à pleins poumons l’air frais. Il pleuvait toujours, mais une éclaircie commençait à pointer le bout de son nez. Il se releva bien vite, ses plaies le rappelant à l’ordre.

« Elle a l’air toute gentille. »

Oh merde, il l’avait oublié celui-là.

« Tu t’appelles Aspen alors ?

— Oui, soupira ce dernier.

Moi c’est Vassily.

— Super. »

Sans un mot, il reprit la route du retour, sans sa capuche cette fois. La pluie dégoulinait sur son visage gonflé et la fraîcheur l’apaisait un peu.

« Tu travailles dans un hôpital ? Tu es infirmier ?

— Non.

Alors quoi ?

— Je récure les chiottes de tous les pestiférés de Saint-Pétersbourg.

Oh.

— On est loin d’études d’économie », ricana-t-il.

Vassily fit la moue. Aspen le ressentit aussi fort que si le garçon était en face de lui. Sans même s’en rendre compte, cette voix prenait une dimension humaine, un physique de jeune homme. Visiblement, ce nouveau compagnon imaginaire avait longuement réfléchi pendant cet interlude à l’hôpital, car il recommença ses hypothèses foireuses :

« Donc, si je résume ce que j’ai appris, on est en deux mille deux cent soixante-neuf alors que je suis né en deux mille vingt-deux, et tu penses que tu es fou parce que je parle dans ta tête.

— Et c’est le cas.

Non je suis bien réel ! J’avais une vie, une mère, un père, une sœur, des amis, une scolarité, un projet !

— Qui ont été inventés par mon cerveau sordide, oui.

Je connais des choses qui existaient à l’époque et que toi tu ne connais pas. C’est pas une preuve ça ?

— Qu’est-ce que j’en sais que ça a existé y a deux cents ans ?

Tu… tu… »

À court de mots, Vassily se tut une nouvelle fois et Aspen en profita pour traverser une route. Demeurer sous la pluie n’était finalement pas la meilleure idée qu’il ait eue. Bientôt, l’eau s’infiltra dans son manteau et sa chemise colla contre ses bandages qui s’humidifièrent à leur tour. La douleur se réveilla et il peina à rester droit. Dans l’entrée de son immeuble, il s’appuya contre le mur devant les escaliers et s’y arrêta un instant, une main sur la paroi et l’autre sur ses hanches, pour reprendre son souffle et chasser la souffrance. Il allait demander à Matvey si elle ne pouvait pas lui trouver quelques analgésiques dans les réserves du Wioletta ou il ne tiendrait pas le coup les prochains jours.

Ce fut seulement en cet instant qu’il remarqua, gravé sur son annulaire droit, deux initiales. V. E.

Tremblant, il regarda ces lettres sous toutes leurs coutures, puis formula enfin à haute voix.

« Vassily ?

Ah monsieur daigne m’adresser…

— T’as un nom de famille ? le coupa-t-il.

Bien sûr, puisque je suis un humain.

— Accouche.

Eïkel.

— Vassily Eïkel, répéta Aspen. V. E. »

Le chaos l’avait marqué. Il avait gravé sur sa peau l’être qui domiciliait au fond de lui.

« Alors je ne deviens pas fou », murmura-t-il.

Mais qu’est-ce qu’il cachait dans sa tête, dans ce cas ? Un démon ? L'âme du garme qui l’avait attaqué ? Une harpie ? Un succube ? Quelle obscure créature pouvait entrer dans le corps des vivants ? Allait-il lui dévorer la conscience comme un ver rongeant une pomme ? À moins qu’il ne s’agisse simplement… d’un homme ayant deux cents ans ?

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