Chapitre 3 : what's the name of the game ?

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Après avoir pris congé d'Antarès, regagné mes pénates, essuyé une gueulante historique de la part de Pépé José et répondu aux textos inquiets de ma mère, je me retrouve enfin au calme dans la chambre d'amis. Bien que cette petite pièce me rappelle étrangement le placard à balais dans lequel Harry Potter a passé toute son enfance, c'est encore le meilleur endroit de l'appartement pour conserver un peu d'intimité.

Et le gros pot de glace que j'ai chipé du congélateur me fait très vite oublier les déboires de cette soirée. Béni soit l'inventeur de ce divin dessert ! Tiens, et s'il s'agissait d'Antarès ? Après tout, l'idée de mettre des glaçons dans des fruits est assez saugrenue quand on y pense…

Au fur et à mesure que je mange, le froid envahit peu à peu mon corps et me rafraîchit les idées, si on peut dire… En effet, mon fameux esprit cartésien qui a particulièrement souffert en cette folle journée compte bien prendre sa revanche. Je passe en revue les aspects de ma discussion avec Antarès, les questions fusent dans mon esprit comme autant de scénarios de science-fiction capilotractés.

Et si je rendais son existence publique ? Non, je passerai pour la plus grosse mytho de la Galaxie… Et si j'en parlais à ma mère ? Elle qui a un don surnaturel pour trouver des solutions à tous les problèmes... Non, mauvaise idée, elle risque de me faire suivre par un psychanalyste à vie… L'horreur ! Mais peut-être pourrai-je en parler à Nidhal, mon meilleur ami. Futur astrophysiscien, il est beaucoup plus calé en sciences dures que moi, pauvre petite étudiante en ingéniérie informatique... Non, il serait incapable de tenir sa langue. Je me résouds à ne compter que sur moi même.

Et si d'autres étaient au courant de sa nature extra-terrestre ? Je sais qu'il existe des xénobiologistes qui essayent de créer des formes de vie "alien" dont le métabolisme ne serait pas basé sur le cycle du carbone, et des exobiologistes qui recherchent des formes de vie extra-terrestres en observant le ciel… Et si l'un de ces savants fous en avait après lui ? Je ne les laisserai pas disséquer mon alien préféré ! Mais en prenant son parti, ne suis-je pas en train de trahir ma propre espèce ?

Et si Antarès avait menti sur sa condition d'expatrié politique ? Et s'il était simplement en mission de reconnaissance pour la prochaine invasion de la Terre ? Ou pire, si dans son monde, il avait été un dangereux criminel ? Et s'il n'était pas le seul de son espèce à s'êtré échoué sur Terre ? Damned, je deviens parano… Mais d'un autre côté, je ne sais presque rien de lui… Pas même sa véritable forme !

Son métabolisme est il basé sur le cycle du carbone ? Probablement, vu qu'il a l'air de respirer notre atmosphère… Doit il respecter la loi de conservation de la matière lorsqu'il se transforme ? Et s'il avait d'autres capacités que la métamorphose ? Télékinésie ? (comme ça doit être pratique…) Télépathie ? (si c'est le cas, je suis mal barrée !) Manipulation mentale ? (il m'aurait donc poussée à le sauver ?) Force Herculéenne ? Rayons lasers tirés par les yeux ? Vitesse fulgurante ? Marcher au plafond ? (je crois que je regarde trop de films…)

Je reviens à des conjectures plus terre à terre. Je lui ai fait du bouche à bouche… Et si cet échange de fluide avec Antarès m'avait transmis une quelconque maladie cosmique ? Et si le bouche à bouche dans sa culture était synonyme d'union sacrée ? Et s'il m'avait pondu dans la gorge, comme les Xénomorphs de la saga Alien ? (je regarde vraiment trop de films !) Dans tous les cas, il va falloir que je surveille attentivement mon corps dans les jours à venir.

Je me mets à faire la liste de toutes les pathologies (que je connais grâce aux bouquins de médecine que ma mère laisse trainer dans les toilettes). Cela me fait à peu près le même effet que de compter les moutons, et je plonge dans un sommeil agité alors que je m'attaquais aux divers dérèglements de la thyroïde.

Je suis réveillée quelques heures plus tard de la manière la plus barbare qui soit par la sonnerie stridente que Pépé José a dû régler pour entendre ses visiteurs depuis l'autre bout de son appartement. Autrement dit, je suis à peu près sure que tout le quartier est au courant de sa vie sociale. Et heureusement que je n'ai pas d'antécédent cardiaque dans ma famille, sinon j'aurais sans doute fait une attaque…

Entendant peu après le retour du silence, un ronflement à faire trembler les remparts de la Rochelle, je décide d'aller ouvrir au visiteur matinal. Je titube résolument en direction de la porte d'entrée, me cognant au passage sur quelques meubles anciens que j'aurais à peine oser toucher en temps normal. Et tant pis si je ne suis habillée que de mon haut de pyjama Batman et de ma culotte Star Wars ! Si l'intrus trouve quelque chose à redire sur ma tenue, j'ai de solides arguments sur la décence des heures de visite à lui opposer.

J'ouvre la porte d'un angle d'environ dix degrés, prête à la refermer aussi sec, et j'essaye de ne pas grogner :

  • Oui ?

Un homme et une femme se tiennent dans l'encadrement de la porte. Tous les deux ont largement dépassé la cinquantaine bien que l'homme n’ait pas encore l'âge d'assumer sa calvitie, à en juger par sa couronne de cheveux excessivement longs plaquée sur le haut du crâne. La femme, qui a l'air d'avoir renoncé à teindre ses cheveux gris, n'abuse pas moins d'injections de botox qui rendent son visage étrangement lisse.

  • Etes-vous Joseph Marnalle ? demande-t-elle alors avec un fort accent slave.

J'ouvre un petit peu plus la porte, pour lui permettre de mieux juger de ma petite personne avant de répliquer :

  • A votre avis ?

La femme me toise de haut en bas. Je soutiens bravement son regard gris acier et ses deux têtes de plus que moi.

  • Qui êtes vous ? lâche-t-elle finalement.
  • Je vous retourne la question.

L'homme veut ouvrir la bouche, mais la femme l'interrompt d'un geste.

  • Natalia Sokolovna Shapoklyak de l'académie des sciences de Saint-Pertersbourg, directrice du département d'exobiologie et voici mon adjoint, Evguenï Andreïevitch Tretyakov.

Dire que le véritable nom d'Antarès me paraissait imprononçable… Tout cela confirme au moins l'une de mes hypothèses de la veille : si deux exobiologistes viennent frapper à la porte de mon grand père, c'est certainement lié à ma rencontre avec l'alien métamorphe… Néanmoins je ne me décontenance pas et réplique avec le plus grand sérieux du monde :

  • Ah ? Hélène Schiaparelli de la rue Monte-Cristo, étudiante en ingéniérie informatique. Enchantée.

La dénommée Shapoklyak marque un temps d'arrêt, essayant sans doute de savoir si je me paye sa tête ou pas. Je profite du silence pour faire volte face et crier aussi fort que mes maigres capacités pulmonaires me le permettent :

  • PEPE ! T'AS DE LA VISITE !

Un ronflement sourd me parvient depuis l'autre bout de l'appartement, laissant sans doute penser aux deux Russes que je vis avec un ours… Ce qui, à la réflexion, n'est pas très éloigné de la réalité.

Résignée, je fais entrer nos visiteurs le temps de réveiller plus efficacement le maître des lieux. Je déboule dans la chambre de mon grand-père, allume la lumière, ouvre la fenêtre sur la fraîcheur de novembre et renouvelle mon annonce matinale. Pépé José manifeste son mécontentement dans un grognement peu compréhensible à propos du respect dû aux anciens qui se perd de jours en jours. Je fais mine d'acquiescer tout en le poussant avec difficultés vers le salon. Il ajoute que c'est sans doute ma mère qui m'a mal élevée pour que je me permette un tel comportement.

  • Mais oui Pépé, mais oui… Tu veux qu'on parle de la place quasi inexistante de ton fils dans mon éducation ? C'est sûr que lui, il ne risque pas de me transmettre de mauvaises habitudes…

Je ne sais pas si Pépé José ignore ma remarque ou ne l'a pas entendue, mais il ne réagit pas et accueille les Russes avec autant de dignité que sa robe de chambre d'un autre âge le lui permet.

  • Madame, monsieur bonjour.
  • Vous êtes Joseph Marnalle ? réplique Shapoklyak
  • Non, le Cardinal de Richelieu… marmonné-je pour moi-même et pour la couleur rouge délavée de la robe de chambre de mon grand père
  • Pour vous servir, madame ?

L'exobiologiste lui ressort sa tirade de présentation et Pépé José commence déjà à prendre sa face de bouledogue en apprenant leur nationalité.

  • Que puis-je faire pour vous madame Chapeau-claque ? demande-t-il, glacial
  • Avez-vous fait entrer un individu étrange chez vous ?

Pépé José me jette un bref regard, je joue les innocentes.

  • Non, les individus les plus étranges qui sont entrés ici sont tous dans cette pièce.

Je hausse un sourcil admiratif. Mon grand père aurait-il donc le sens de la répartie ? Et moi qui croyais tenir ça de ma mère…

Les exobiologistes ne semblent pas saisir le caractère inouï de la situation car Tretyakov regarde sa montre avec insistance et Shapoklyak suit attentivement les expressions de son visage. Finalement il dit quelque chose en russe, ce à quoi sa collègue réplique sèchement dans la même langue. Il s'ensuit une discussion très rapide que je tente de comprendre à la lumière de ce que j'ai appris des mes cours de russe...qui datent du lycée. Mais je ne parviens qu'à distinguer les mots "milotchka" qui veut dire "gamine" et "inostraniets" c'est-à-dire "extra-terrestre". Car oui, je sais dire "extra-terrestre" en russe mais pas "sortez d'ici"… vive l'éducation nationale !

Finalement nos hôtes se lèvent. Shapoklyak donne sa carte à Pépé José et déclare :

  • Si vous remarquez quoi que ce soit d'étrange, appelez-moi.
  • Je n'y manquerai pas, réplique mon grand père, glacial.

L'exobiologiste acquiesce, tourne les talons et quitte l'appartement, suivie de près par son collègue. Je ferme la porte derrière eux en soupirant de soulagement. Mais ce sentiment s'efface immédiatement quand je croise le regard lourd d'interrogations de Pépé José.

  • Qu'est-ce qu'ils sont malpolis ces Russes ! Ni bonjour, ni merci, ni au revoir… tenté-je pour détourner son attention.
  • Ils ont dit que tu étais probablement une extra-terrestre et qu'ils avaient l'intention de le vérifier en t'emmenant par tous les moyens dans leur laboratoire.
  • Il paraît que la drogue fait des ravages en Russie… attend, tu comprends le russe ?

Ma rencontre avec Antarès était moins improbable que cette révélation !

  • J'ai fait le STO pendant la guerre, quand j'avais ton âge.
  • Le Service du Travail Obligatoire ? Le truc que les Allemands ont inventé pour avoir de la main d'oeuvre pas chère venue des territoires occupés ?
  • Oui et il y avait énormément de Russes dans l'usine où je travaillais. Du coup tout le monde a appris à le parler… même les Allemands qui nous surveillaient !
  • Ah bon ?

Je regarde mon grand père avec des yeux nouveaux. Il n'avait jamais parlé auparavant de cette partie de son histoire…

  • Mais là n'est pas le sujet. Ces types ont clairement évoqué l'idée de t'enlever. Et j'ai croisé suffisamment de drogués dans ma vie pour t'assurer que ceux là ne le sont pas.
  • Oh. Tu sais même s'ils m'attrapent et m'emmènent dans leur labo, ils se rendront rapidement compte que je ne suis pas une extra-terrestre, non ?
  • Et qui me dit qu'ils ne te tueront pas à cause de ce que tu aurais pu voir ?
  • T'as trop regardé James Bond, Pépé… Tous les Russes ne sont pas des affreux agents du KGB !

Si on m'avait dit que je lui dirais ça un jour…

Pépé José fait un pas en arrière sans me quitter des yeux et croise les bras sur son gros ventre.

  • Peu importe. Tu ne quittes pas cet appartement tant que je n'ai pas tiré cette affaire au clair.
  • Mais il faut que je prévienne Antarès !

Je me mords aussitôt les lèvres, maudissant ma grande gueule. Mon grand père reprend sa face de bouledogue. Je sais que je ne m'en tirerai pas sans une explication en béton armé.

  • J'imagine que tout cela a un rapport avec ton escapade d'hier…
  • Certes. Mais si je te la raconte, tu ne vas pas me croire…
  • Je viens de recevoir deux Russes experts en extra-terrestres dans mon salon, je suis en état de croire que le monde est gouverné en secret par des aliens.
  • Bon, tant mieux parce que c'est presque ça…
  • Comment ça ?
  • Heu, d'abord, assied toi. Je reviens.
  • Où tu vas ?
  • Te chercher un verre de whisky.

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