Chapitre 8 : Révélations

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Je croyais avoir passé l'âge de me dire que j'étais l'élue d'un peuple oublié, cachée sur Terre par des parents adoptifs jusqu'à ce que j'accomplisse un destin grandiose. Quoiqu'il m'arrive encore de vérifier si ma lettre de Poudlard est arrivée… Maintenant que c'est une possibilité bien réelle, ça me stresse plus qu'autre chose...

Quand je suis stressée, je cuisine.

La veille de mon brevet, j'ai passé la journée à faire des crêpes. La veille de mon bac, c'était des muffins. Et la veille de mes partiels, des cookies. Inutile de dire que mes amis ont beaucoup profité de ma manière d'extérioriser le stress, vu que je ne peux pas manger 2kg de pâtisseries à moi toute seule et que ma mère est tout le temps au régime… Aujourd'hui, la discussion que j'ai eue avec cette dernière m'a fait acheter de quoi faire cinq grosses miches de pain complet. Les crèpes, les muffins, les cookies, ce sont des recettes simples et assez rapides. Là, j'ai besoin d'occuper mes mains pendant un certain temps. Mais comme je ne voulais pas inquiéter ma dévouée génitrice sur mon état mental, ce pain j'ai décidé d'aller le faire au 45 rue Saint Blaise.

Vérevkine arque légèrement les sourcils en me voyant débarquer avec mes trois kilos de farine T150 sur l'épaule. Elle garde le silence mais je me justifie malgré tout :

- C'est pour essayer de couper la faim à Gwénaëlle.

- Bonne chance avec ça… lâche la Reptilienne sans conviction avant de refermer la porte derrière moi.

Je file à la cuisine, en espérant qu'elle ne m'y suivra pas. A mon grand soulagement, elle retourne dans sa chambre surchauffée. Mais dans la cuisine, je tombe sur Gwénaëlle et Antarès qui étaient manifestement en train de découvrir comment le four fonctionne. Damned. Ils n'étaient pas sensé être là non plus… ils ne savent pas cuisiner de toute manière. Je lance de l'air le plus désinvolte possible :

- Salut, je peux squatter ?

- Oh, bien sûr ! s'exclame Antarès après avoir interrogé Gwénaëlle du regard.

- Qu'est ce que tu nous as ramené là ? On fête quelque chose ?

- Oh non, c'est pour faire du pain complet. Quand j'en mange une tranche le matin, j'ai plus faim jusqu'à quatre heures… Du coup peut être qu'il t'en faudra un peu plus mais "ça cale bien les joues" comme dirait ma mère.

- D'ailleurs à ce propos… commence Antarès.

- Tiens avant que je m'y mette, tu peux manger du gluten ? coupé-je pour m'adresser à la Pléiadienne.

- Evidemment, pourquoi ?

- Ben, je sais pas, des allergies, des interdits alimentaires… Une fois j'ai invité à l'improviste trois de mes copines de lycée : une Juive pratiquante, une végétarienne et une intolérante au lactose. Depuis, je pose systématiquement la question.

- Je vois… Et du coup tu leur a préparé quoi ?

- Une salade IKEA. Chacun met ce qu'il veut dedans.

- Ingénieux… Mais ne t'en fait pas pour moi, Vérevkine m'a déjà fait manger des patates crues.

- Erk… Contente de voir que tu as survécu. Tenté-je de plaisanter, même si le cœur n'y est pas.

Je tâche de me concentrer sur la pâte à pain. D'abord mélanger la levure dans de l'eau tiède, puis faire un puits dans le saladier plein de farine et y verser l'eau. Gwénaëlle et Antarès m'observent comme des enfants regarderaient un spectacle de magie… Je mélange progressivement la farine et l'eau jusqu'à obtenir une pâte légèrement élastique. Je saupoudre le plan de travail de farine et commence à y pétrir vigoureusement la pâte. J'y met beaucoup plus d'énergie que nécessaire, même si c'est la première fois que j'en fait une aussi grande quantité d'un coup. J'essaye de me concentrer uniquement sur les gestes de mes mains, de la sensation de la pâte encore humide entre mes doigts. J'y suis presque arrivée quand la voix d'Antarès me tire de mon état de "pleine conscience".

- Heu… Tu as besoin d'aide ?

Plus par curiosité que par nécessité, j'acquiesce et je sépare la pâte en deux boules de même volume pour lui en tendre une. Je me décale un peu sur le plan de travail pour laisser de la place à son imposante carrure de Terminator. Il essaye de mimer mes gestes mais ses mains sont deux fois plus grandes que les miennes. Alors il prend bientôt la forme d'un homme longiligne, brun aux yeux noirs et portant une élégante petite moustache.

- C'est… une autre de tes connaissances ? Demande Gwénaëlle.

- Oui. Dit simplement Antarès en me regardant.

Oh. Il veut que je devine à qui il a emprunté l'apparence… Voyons… Ce mec ressemble fortement à Pujol dans les Brigades du Tigre mais il est très peu probable qu'Antarès connaisse la série : il n'est pas venu en France depuis le siècle dernier. Bizarrement des images de mes cours de physique me reviennent en tête. Des circuits compliqués avec des bobines…

- Heuuuu… Tesla ?

- Bravo.

- T'as connu Tesla ?

- Un homme brillant.

- J'imagine… Sans ce mec, on s'éclairerait encore à la bougie et on se déplacerait à cheval…

- Et il avait des mains aussi petites que les tiennes.

- J'ai les mêmes mains que Tesla ? Trop classe ! Tu crois que je vais inventer la téléportation ?

- Les rumeurs disent qu'il est un descendant de la Première Vague. Intervient Gwénaëlle, brisant net une conversation qui promettait d'être passionnante.

- D'ailleurs à ce propos, tu as parlé à ta mère à propos de ton deuxième prénom ? Demande innocemment Antarès.

Oh. Les. Fourbes.

C'était un coup monté pour me faire parler! Et ils se sont ligués contre moi ces enfoirés… Je recouvre soigneusement mes deux boules de pâtes avec un chiffon humide. Le temps que la levure fasse effet, j'ai deux bonnes heures devant moi. Damned.

- Oh, elle m'a raconté une histoire à dormir debout… Tenté-je d'éluder.

- Tu nous la raconte ? Demande encore Antarès.

Comme si je pouvais refuser quoi que ce soit à Tesla… Je prends une grande inspiration.

- Ça remonte à l'époque où elle avait mon âge, le temps des dinosaures quoi…

- Le temps des dinosaures ?

- Les années 90. Les dinosaures pour moi c'est les vieux trucs électroniques, tu sais, les portables qui se transportent avec un caddie ?

- Bref, continues.

Merde, raté.

- Bref, ma mère était encore étudiante kiné. Elle était en stage dans un hôpital dont je me rappelle pas le nom. C'est là qu'elle a rencontré un homme nommé Frank Jespersen. Il était grand, maigre avec des longs cheveux blond vénitien : tout à fait son genre de mec… Bref. Au début ma mère ne savait pas trop quel était son rôle dans l'hôpital. Jespersen n'était ni médecin, ni infirmier, ni aide soignant, ni technicien… Les gens qu'elle interrogeait à son sujet semblaient vouloir éviter le sujet. Mais elle le croisait souvent dans l'étage des urgences à déambuler sans but, dans sa blouse trop large. Un mystère qu'elle a tenté d'élucider sur ses temps de pause… en vain. Jusqu'au jour où elle est tombée dans les escaliers menant à la cantine.

- L'appel du ventre est puissant en elle… Commente Gwénaëlle.

- Chut.

- Bref. Ma mère s'est cassé le nez. La douleur était insupportable. Elle ne s'était jamais cassé quoi que ce soit avant… Elle n'arrivait pas à se concentrer pour se relever… Elle s'est vue mourir. Mais Jespersen est accouru, il lui a pris la main et sa douleur a disparu.

Gwénaëlle fronce les sourcils.

- Il pouvait arrêter la douleur par simple contact physique ?

- Je vous avait dit que c'était une histoire à dormir debout… Il ne l'a pas lâchée jusqu'à ce qu'elle soit prise en charge par les services d'urgence. Elle a ainsi appris qu'il intervenait souvent aux urgences le temps que les antalgiques fassent effet sur les patients les plus fragiles. Mais apparemment d'autres services de l'hôpital n'hésitaient pas à faire appel à lui de temps à autre. Par exemple, en néonatal, un homme refusait catégoriquement que sa femme reçoive une péridurale alors qu'elle hurlait de douleur. Jespersen est arrivé, il leur a pris la main à tous les deux et ça a comme transféré la douleur de la femme vers le corps du mari. Finalement il a accepté la péridurale.

- Ce mec est génial !

- Ouais, c'est ce que j'ai dit à ma mère…

- Mais du coup il pouvait "transférer" la douleur… Il ne la fait pas simplement disparaître ?

- C'est bien là le problème, que ma mère a fini par découvrir en se rapprochant de lui : quand il ne transmettait pas la douleur, c'est lui qui la ressentait. Et tout l'hôpital savait, sauf les stagiaires. Mais ses "pouvoirs" étaient bien trop utiles pour s'en passer. Et Jespersen ne savait pas dire non. Ma mère a essayé de le raisonner, mais on lui avait trop bourré le crâne de "sens du devoir" ou de "mission sacrée" pour qu'elle puisse le convaincre de ne pas se laisser surmener. Alors elle a voulu lui tenir la main en permanence, pour le soulager des douleurs qu'il prenait pour lui. Mais, je vous l'ai dit, ma mère n'avait jamais vraiment eu mal de sa vie. Elle a tenu deux jours. Apparemment ça a été le cas de quelques autres stagiaires avant elle.

- Elle a abandonné ?

- C'est mal connaître ma mère… Elle a changé de stratégie. Je ne sais pas comment elle s'est débrouillée pour convaincre le chef des urgences qu'il avait besoin de repos pour être efficace. Et elle lui a obtenu un jour de congé par semaine. C'était pas beaucoup mais elle a su en profiter. Elle l'a amené à la maison, elle lui a fait voir des films stupides, elle lui a fait découvrir Paris, elle lui a expliqué ses cours et ils sont rapidement devenus hum… intimes. C'est pendant cette période qu'il lui a dit qu'il venait d'un endroit nommé Maïa. Mais ma mère ne savait pas si c'était une ville ou une région ou même un quartier. A l'époque, c’était moins facile de trouver ce genre d’info... Bref. A la fin du deuxième mois de stage, Jespersen avait l'air en meilleure forme. Il avait repris des couleurs et quelques kilos… Mais je ne sais pas quel tocard de médecin lui a fait du chantage affectif pour qu'il s'occupe de sa grand-mère mourante. Et il a replongé.

- Oh… Et ta mère a réagi comment ?

- Elle a pété un câble.

- Je n'aurais pas aimé voir ça…

- Tu ne crois pas si bien dire : elle a traité ce médecin de tous les noms devant toute son équipe. Du coup elle s'est faite virer de son stage. Elle a redoublé sa dernière année d'étude à cause de ça. Mais ça ne l'a pas empêché de continuer à fréquenter Jespersen qui avait plus ou moins emménagé chez elle. Ma mère a tout fait pour tenter de le soulager : hypnose, massage, méditation… Finalement elle a trouvé un truc pour lui faire oublier sa souffrance : le rire. Elle faisait en sorte qu'il ait un fou rire par jour. C'était fatiguant, mais ça avait l'air de payer. Jusqu'à ce qu'elle découvre qu'il faisait semblant, pour la rassurer. En fait il ne tenait le coup que grâce à la morphine qu'il "volait" à la pharmacie de l’hôpital avec l'accord tacite du personnel. Mais le temps que ma mère s'en rende compte, il en était mort d'overdose…

Je marque une pause. Je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas pleurer. Je reprends contenance et je termine mon récit.

- J'ai oublié de vous dire qu'elle sortait avec mon "père officiel" depuis un certain temps avant ce fameux stage. Et quand elle s'est rendue compte qu'elle était enceinte de moi, quelques semaines après la mort de Jespersen… Eh bien elle ne savait pas vraiment de qui était le bébé.

Gwénaëlle et Antarès me regardent sans rien dire, l'air consterné et sans doute un peu coupable de m'avoir poussée à raconter tout ça. Bien fait pour eux. Je leur tourne le dos afin de vérifier l'évolution de mes pâtes à pain. Elles ont quasiment doublé de volume, ce qui intrigue fortement la Pléiadienne.

- Comment est-ce possible ? Tu as créé de la matière ?

- Hein ? Bien sûr que non, on aurait réglé le problème de la faim dans le monde depuis longtemps si c'était possible de faire ça…

- Oh. Mais alors ça a juste… gonflé ?

- Oui, c'est le principe de la levure.

J'attrape une bouteille d'huile d'olive sur le plan de travail. J'en verse un peu sur mes boules de pâte afin de les recouvrir d'une fine couche protectrice pendant la cuisson. Après quoi je les mets dans le four pour les quarante prochaines minutes. Puis je prends une grande inspiration et me tourne vers mes hôtes aliens. Gwénaëlle en particulier.

- Bon, j'ai éclairé ta lanterne sur mes superpouvoirs de multiplication des pains, est ce que tu peux me dire s'il y a des chances pour que ce Jespersen soit un Pléiadien de la Première Vague ?

La Pléiadienne se tord les mains d'un air gêné.

- Eh bien… oui, cela me semble probable. Il a dit venir de Maïa, ça ne peut pas être une coïncidence. Je ne savais pas qu'il existait toujours des Passeurs de Rêves parmi mon peuple, mais ce… Jespersen semble en être un. Ils sont tellement empathiques qu'ils sont capables de détecter la moindre des émotions de ceux qui les entoures. Cela faisait d'eux soit des bienfaiteurs de l'humanité…soit des manipulateurs hors pairs. Et… le fait que tu aies pressenti que Vérevkine et moi n'étions pas humaines pourrait… être lié à son héritage génétique.

- Alors on est bien cousines !

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