Chapitre 1 : La piste des étoiles

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Je déteste Montmartre.

D’une, parce que le moindre trajet là-bas oblige à grimper une rue inclinée à quarante-cinq degrés. Les terrains accidentés ne font pas bon ménage avec mes chevilles fragiles. En plus, dans un souci de préservation d’un quartier historique, les rues sont pavées ! Mais si un jour on a mis du goudron sur les trottoirs, c’est qu’il y avait une bonne raison, non ? Déjà que je dois faire hyper attention à ne pas me faire des entorses dans les descentes, je dois en plus regarder où je mets les pieds pour ne pas trébucher sur un nid de poule !

De deux parce que je trouve que le soi-disant charme bohème du quartier est plus que surfait. Il pue le fake. Peut-être qu’il y a plusieurs dizaines d’années, des artistes plus ou moins controversés et fauchés en avaient fait leur repère. De là est né un fantasme du Paris romantique. Mais cette époque est révolue et Montmartre voudrait nous faire croire que ce n’est pas le cas. Sérieusement, allez donc faire un tour Place des Tertres : les serveurs sont littéralement déguisés en garçon de café. Les galeries d’art ont laissé la place aux attrape-touristes. Montmartre essaye de se faire passer pour un quartier pittoresque et populaire alors qu’il faut un sacré compte en banque pour y habiter. Comme les bobos, ces gens qui se déguisent en pauvres alors qu’ils payent l’impôt sur les grandes fortunes. Montmartre c’est l’incarnation de l’esprit bobo.

Et de trois, que serait Montmartre sans la Basilique du Sacré-Cœur à son sommet ? Je déteste le Sacré-Cœur. Il a été érigé à la gloire de l’armée Versaillaise. Cette même armée qui a flingué des centaines de Parisiens durant la Commune, notamment devant le mur des Confédérés, dans le cimetière du Père Lachaise… Je ne suis pas spécialement engagée en politique, mais il y a une flamme de révolte qui s’allume en moi quand mes yeux se posent sur ce monument érigé pour célébrer un massacre.

Bref, en général, j’évite de trainer mes guêtres là-bas autant que possible.

J’étais contente de vivre avec ma mère dans mon quartier de Charonne natal… Jusqu’à ce que mon propriétaire décède dans un accident de la route que ses héritiers mettent mon appartement en vente. N’ayant pas les moyens de le racheter, ma mère s’est trouvé un logement plus proche de son travail, au fin fond de la Seine-Saint Denis. Mon école d’informatique se trouvant à Paris, la perspective de passer deux heures par jour dans les transports ne m’enchante pas. Et impossible de trouver une colocation dans mes moyens en milieu d’année scolaire…

Ma mère a donc fait appel à l’une de ses anciennes camarades de promotion, Christiane, cadre de santé à l’hôpital Tenon. Elle est très prise par son travail, de même que son mari, chef du service de chirurgie viscérale de ce même hôpital. Elle a donc tout de suite accepté de m’héberger dans la chambre d’amis, en échange de quoi, je devrais garder leur fils de huit ans en leur absence. C’est plutôt un bon deal : leur maison est spacieuse, ma nouvelle chambre est deux fois plus grande que l’ancienne, le petit Maxime est adorable… Bref, j’ai vraiment tout pour être heureuse. Sauf qu’ils vivent à Montmartre.

Et Antarès me manque.

En effet, depuis la fin de mes vacances mouvementées à la Rochelle, je porte un regard neuf sur le monde. Maintenant que je sais qu'au moins un alien a réussi à venir sur Terre, j'ai fait la légitime supposition qu'il y en avait peut-être d'autres. Du coup je me suis mise à traquer les moindres anomalies de mon quotidien à la recherche de présence extra-terrestre. Le moindre bruit suspect, la moindre illusion d'optique suffisent à éveiller mes soupçons. Chacune de mes sorties est l'occasion de tendre l'oreille et d'ouvrir l'œil…

Certes, depuis un mois que je suis rentrée, je n'ai rien remarqué de probant. Mais cela m'a permis de mieux connaître Montmartre et le quartier de mon école. Ainsi j'ai découvert au bout de l'avenue Emile Zola, une boutique de farce et attrapes improbablement placée au-dessus d'une librairie. Et dans la rue des Abesses, une épicerie exotique devant laquelle je passe quasiment tous les jours mais dont je n'avais jamais remarqué le nom auparavant : Hakuna Matata. Depuis, à chaque fois que je passe devant, j'ai une certaine chanson Disney dans la tête…

De même, je connais le nom des frères et sœurs de certains de mes camarades de promo auxquels je n'ai jamais adressé la parole… Et je sais que mon voisin d'en face est un fan inconditionnel de David Bowie. Ce qui m'a d'ailleurs fait découvrir l'existence de David Bowie… car oui, je suis d'une ignorance crasse en ce qui concerne la musique, en dehors bien sûr de la variété française des années 80 et de quelques groupes de métal. Quoi qu'il en soit, David Bowie est l'élément le plus alien apparu dans mon quotidien depuis mon retour à Paris…

Quand je croise une personne, je m'imagine qu'il s'agit d'Antarès qui vient enfin me rendre visite. Quand je regarde le ciel, je ne vois plus une étendue sombre parsemée de petits points blancs dont le rassemblement arbitraire forme des constellations. Je vois un univers immense rempli de mondes peuplés d'aliens aux capacités extraordinaires… Derrière chaque invention géniale, comme par exemple le livre électronique, très pratique pour les lectrices nomades comme moi, je vois l'intervention d'une race supérieurement avancée dans notre avancée technologique.

Bref, je suis devenue légèrement paranoïaque…

Mais tout cela constitue également une source intarissable d'idées d'histoires à raconter à Maxime, que je me refuse à coller devant la télé. Ce ravitaillement est arrivé à point nommé car je viens juste de finir de lui raconter les Trois Mousquetaires… J'ai donc décidé de l'initier à Star Wars, le temps que je finisse de lire Vingt ans après et le Vicomte de Bragelonne. Il avait déjà vu les six films, car ses parents, ont toujours été très concernés par sa culture générale. Si bien que je n'ai pas eu besoin de planter le décor.

Et puis, je suis très bien placée pour savoir qu'une bonne connaissance dans le domaine de Star Wars peut s'avérer très utile…

Je me suis donc lancée dans la narration des exploits des différents personnages après la fin de l'épisode six et même entre deux épisodes consécutifs. J'ai peuplé son imaginaire de batailles spatiales dantesques, d'aliens aux apparences improbables et, bien sûr, de combats au sabre laser. Et pas question de me répéter ! Maxime a en effet une mémoire phénoménale pour son âge et il arrive à se repérer dans mes histoires malgré mes retours en arrière et ellipses narratives. Ce gosse ira loin, j'en suis sûre !

C'est toujours un bonheur de voir son petit visage ravi dès que j'apparais dans son champ de vision, comme s'il entendait déjà la suite de mes histoires. Il attend chaque soir avec impatience, et je dois l'avouer, moi aussi. Si bien que lorsque je lui ai offert un t-shirt à l'effigie de Dark Vador pour son anniversaire, il m'a fait un câlin d'environ dix minutes pendant lesquelles j'ai failli étouffer. Depuis, je suis officiellement son maître et il est mon padawan. A défaut de trouver des aliens, j'ai fait dans mon quotidien une place non négligeable à la science-fiction !

Pourtant, alors que j'avais profité de l'annulation d'un cours d'anglais pour lui faire une surprise en allant le chercher à l'école, Maxime n'a pas eu l'air enchanté de me voir. Il ne m'a pas sauté au cou comme d'habitude, et c'est à peine si j'ai pu lui arracher trois mots sur le trajet jusqu'à chez lui. Heureusement que le gamin habite à deux rues de son école montmartroise. Si le trajet avait été plus long, le silence serait devenu pesant… Et j'aurais fini par manquer de souffle ! Je déteste Montmartre.

Une fois dans l'intimité de sa chambre, Maxime s'écroule sur son lit et je prends prudemment place sur le pouf bariolé qui lui fait face. Le gamin roule sur le ventre et appuie son menton rebondi sur ses bras repliés devant lui, sa position favorite pour m'écouter raconter des histoires. Mais je sens que le cœur n'y est pas.

- Ben t'en fais une tête… On aurait dit Sebulba qui vient de perdre une course de pod ! tenté-je pour le dérider.

Au lieu de sourire à ma blague moisie, Maxime éclate en sanglots. Damned. Je n'ai jamais su m'y prendre avec les gens qui pleurent. Surtout les gosses.

Je me déplace donc maladroitement vers son lit et lui frotte doucement le dos, ne sachant que faire. Maxime se redresse et me serre dans ses petits bras.

- Je suis là, mon grand, murmuré-je à défaut meilleures paroles réconfortantes.

Nous restons ainsi jusqu'à ce qu'il se calme. Ses vêtements sont trempés de larmes, et les miens aussi par la même occasion.

- Regarde dans quel état tu as mis ton beau T-shirt Dark Vador…

Maxime me lance un regard malheureux. Je sens qu'il va se remettre à pleurer. J'enchaîne donc aussitôt :

- Et si tu me disais ce qui se passe ?

- C'est à cause du T-shirt ! s'exclame-t-il, la voix tremblante

- Quoi ? On s'est moqué de toi ?

Maxime hoche la tête sans répondre, les yeux obstinément fixés sur le sol.

- Qui s'est moqué de toi ? Tes camarades de classe ?

Nouvel hochement de tête. Mais cette fois, Maxime ajoute :

- Ils…ils disaient que Star Wars, c'était pour les bébés…et…et que Dark Vador il faisait moins peur que Voldemort.

- Eh bien ils devraient avoir honte. D'ailleurs, ils ne méritent même pas que tu te mettes dans un état pareil à cause d'eux. Et s'ils continuent de t'embêter, dis-leur que même Dark Maul fait plus peur que Voldemort. A tous les coups ils ne sauront même pas qui c'est, et tu reprendras l'avantage. Et s'ils continuent à t'embêter, parles en à ta maîtresse.

- Mais j'en ai parlé à madame Lacour ! Mais ça n'a rien fait ! Y a que Vérevkine qui m'a défendu !

Je fronce un sourcil. Mon détecteur à embrouilles s'éveille. Un nom à consonance russe, dans mon entourage ? Voilà qui est suspect. Mais tirer des conclusions aussi hâtives seraient dignes de Pépé José ! Et j'ai un problème plus urgent à régler : mon petit bout de chou en larmes.

- Vérevkine ? C'est qui ça, Vérevkine ?

- Maman dit que c'est la boîte à clous de l'école.

- Bon alors, la prochaine fois qu'on t'embête à cause de Star Wars, tu vas voir ce Vérevkine, et moi, je vais en parler à madame Lacour car cette situation n'est pas normale. D'accord ?

- D'accord, dit-il d'une petite voix.

- Parfait.

Maxime me regarde, les yeux pleins d'espoir. Bon sang, je sens que je vais fondre… Il me faut une diversion ! J'enchaîne immédiatement avec une aventure rocambolesque de Han Solo et Chewbacca à travers l'espace. Lorsque je le quitte, il est ravi. Alors que je traverse la place de la Réunion en ligne droite pour atteindre la rue Alexandre Dumas avant de tourner enfin à gauche sur la rue Monte Cristo, je me jure de lui faire garder ce beau sourire. Et durant les cinq minutes qu'ont duré mon chemin de retour, j'ai élaboré un plan machiavélique.

C'est ainsi que, le lendemain, les parents d'élèves de l'école la Providence qui attendaient plus ou moins patiemment la sortie de leurs ouailles sont pris d'une épidémie de froncement de sourcil en me voyant débarquer parmi eux. Je leur fais mon plus aimable sourire et me plante les bras croisés devant le portail encore fermé.

- Maman, pourquoi la dame elle est tout en blanc ? demande un gamin de maternelle à son père

- Je ne sais pas, mon cœur… Parle moins fort.

- Et pourquoi ses cheveux on dirait des pains au…

- Chut !

Cet échange me fait ricaner intérieurement. Mais je fais mine de n'avoir rien entendu, drapée dans la dignité inspirée par mon costume. Car je suis venue chercher Maxime déguisée en Princesse Leïa, dont la coiffure atypique fait souffrir la totalité de mes racines capillaires… Mais qu'est-ce que je ne ferais pas pour mon petit padawan ?

Enfin le portail s'ouvre et l'étroit passage pavé de la Providence est bientôt submergé par une marée de gosses pressés de quitter l'école. Certains sautent au cou de leur mamie, d'autres se contentent de sauter partout. Leurs cartables sont presque plus gros qu'eux… Bonjour lombalgie précoce ! Bonjour scoliose ! Ces pauvres gosses… Damned, je parle comme ma mère ! Mais je m'égare.

Je me dresse sur la pointe des pieds, maudissant au passage ma petite taille, dans l'espoir d'apercevoir Maxime… en vain. Je joue des coudes pour me rapprocher du portail. Une classe vient juste d'atteindre ce dernier et se disperse en une foule joyeuse. Une autre sort tout juste du préau. Celle-ci, au lieu de se ruer vers la sortie comme l'autre, se tient en rang sagement derrière ni plus ni moins que Dark Vador… Damned, quelqu'un a eu la même idée que moi ! D'ailleurs, qui est ce quelqu'un ? Le fameux Vérevkine ? madame Lacour ? La directrice ?

Ah non, madame Lacour doit être la Reine Amidala en version rousse qui ferme la marche… J'ai toujours pensé que les roux étaient soit affreusement laids, soit des gravures de mode : il n'y a pas de physique commun pour les roux… Et madame Lacour fait indéniablement partie de la deuxième catégorie… Je maudis instantanément Mère Nature de m'avoir faite petite et ronde au lieu de grande et mince comme cette femme. Et comme si elle n'était pas assez belle comme ça, elle a aussi de grands yeux mauves par-dessus le marché ! La vie est tellement injuste… Elle sourit en me voyant. J'esquisse un petit signe de la main. Mais très vite, mon champ de vision est obstrué par Dark Vador.

- Ya dumayu, chto on vas. Me dit-il d'une voix éraillée en désignant Maxime qui se tient derrière sa grande cape noire.

Vérevkine ! J'en étais sûre !

- Heu… Da. Bafouillé-je, étonnée de comprendre aussi bien le russe après deux ans sans aucune pratique

Maxime me saute au cou, je m'empresse de le serrer dans mes bras avant qu'il ne me brise la nuque. C'est que ça grandit ces oiseaux-là… madame Lacour en a profité pour s'approcher.

- Vous vous êtes concertés ? Lui demandé-je en désignant Vérevkine du coin de l'œil.

- Pas du tout ! C'est ça le plus beau ! S'exclame-t-elle avec un grand sourire.

- Je ne m'attendais pas à ce que vous vous impliquiez autant pour lui…

- C'est un enfant adorable que vous avez là, qui n'aurait pas eu le cœur fendu en le voyant si malheureux ?

- Certes… Mais c'est pas mon gamin hein, je ne suis que sa baby-sitter !

Mais madame Lacour ne semble pas avoir entendu ma dernière phrase.

- Même Vérevkine n'a pas pu y résister ! Vous vous rendez compte ?

- Est-ce que ça a été efficace ?

- Otlitchno, confirme Dark Vador… Qui a enlevé son casque.

Je marque un temps pour assimiler cette nouvelle information : Vérevkine est une femme. Un visage anguleux, des pommettes saillantes, des yeux bleu pâle qui ne cillent pas, des cheveux noir corbeau tirés en une longue queue de cheval… Je suis sûre qu'elle n'a pas besoin de se déguiser en Dark Vador pour en imposer aux gamins.

Tandis que madame Lacour me raconte comment son apparition et celle de Vérevkine ont fait instantanément disparaître toute moquerie concernant Star Wars et estime qu'on ne l'embêtera plus de sitôt, un sentiment étrangement familier s'impose dans mon esprit. Ce sentiment d'étrangement autre, ce sentiment que je n'ai ressenti en présence d'une unique personne.

Et cette personne est Antarès.

Même si je suis quasiment sûre qu'il ne se trouve pas actuellement en face de moi (il aurait sans doute fait une référence aux Trois Mousquetaires pour que je le reconnaisse), je suis absolument certaine qu'au moins l'une de ces deux femmes n'est pas humaine…

Reste à savoir laquelle.

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