Chapitre 6 :

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J'ai toujours eu un problème avec les flics… et de manière générale avec tout individu portant un uniforme et une arme. Quand je croise des militaires qui patrouillent dans le métro, je me sens toujours plus en danger que protégée. J'ai beau me raisonner, j'éprouve toujours un sentiment de malaise quand je croise un représentant des forces de l'ordre. C'est peut-être à cause de mes origines siciliennes et de la "longue lignée de putes et d'assassins" dont, selon Pépé José, je suis la digne héritière. Mais je pense plutôt que j'ai dû lire trop de bouquins de science fiction post-apocalyptique où les sociétés sont majoritairement des dictatures militaires… N'empêche, dès que je croise un képi, j'ai l'impression de vivre sous la loi martiale.

Sachant cela, je vous laisse imaginer mon état d'esprit alors que je patiente dans le commissariat de la Rochelle… C'est simple : je suis au bord de la crise de nerfs. Je suis assise bien droite sur un banc, dans un couloir, les policiers vont et viennent. J'ai la certitude irrationnelle que si je fais le moindre geste brusque, ils vont me sauter dessus et m'enfermer avec des vrais gangsters… Anxieuse, je tourne la tête à droite, à gauche, chaque fois que j'entends de bruits de pas. Ca doit me donner l'air de regarder un match de tennis imaginaire. J'ignore depuis combien de temps je suis là. Tout ce que je sais c'est que Jean-Charles est sensé venir me chercher. Si on m'avait dit qu'un jour je serait impatiente d'apercevoir sa petite tête blonde…

Depuis que j'ai échappé aux exobiologistes, les évènements se sont enchaînés bien trop vite pour mon esprit chamboulé. En l'espace de quelques heures, la police m'avait retrouvée et ramenée chez Pépé José, puis j'avais eu à peine le temps de prendre (enfin) une longue douche bien chaude et de me changer, que je devais immédiatement appeler ma famille afin de rassurer tout ce beau monde que mon grand père avait eu la mauvaise idée d'alarmer… Je ne me plains pas, c'est agréable de se sentir soutenue par les siens mais cela peut devenir très pesant de raconter la même histoire pour la quinzième fois. Je n'ai pas parlé de mon ami extra-terrestre afin d'éviter les questions. Heureusement, Pépé José a eu le temps d'imaginer une "version officielle" de mes déboires : j'aurais fait des recherches internet sur une organisations vaguement sectaire aux activités illégales et des membres de cette organisation auraient voulu me faire taire en employant la force mais j'aurais réussi à m'échapper de leurs griffes grâce à l'aide d'un brave habitant de l'île d'Aix qui m'aurait ramenée sur la côte en barque. Je n'ai pas eu le temps de m'attarder sur le machiavélisme insoupçonné de mon grand-père car j'ai très vite été convoquée au commissariat pour enregistrer ma "déposition" comme ils disent.

Me voilà donc assise sur ce banc, les bras croisés sur mon ventre tordu d'angoisse et les yeux obstinément fixés sur le bout de mes baskets dès que quelqu'un me croise.

Tu as rencontré un extra-terrestre et survécu à un enlèvement par des scientifiques fous et c'est une petite visite chez les flics qui te fait peur ? ironise la petite voix dans ma tête.

J'émet un petit rire crispé. C'est le moment que choisis Jean-Charles pour apparaître dans mon champ de vision. Bon sang dans son uniforme il a l'air encore plus grand…

  • Salut, le caniche.
  • Hélène, ne m'appelle pas comme ça quand je suis au travail ! s'agace-t-il
  • Quoi ? Je te fais honte ?

Jean-Charles soupire sans répondre et me fait signe de le suivre. Il fait de grandes enjambées, je le suis en trottinant. Il me conduit bientôt dans un petit bureau désert. Je m'approprie la chaise tournante tandis qu'il reste debout.

  • Ben t'en fais une tête ! remarque-t-il devant de mon air déçu.
  • Oh c'est rien… Juste, ce n’est pas l'idée que j'avais d'une salle d'interrogatoire… C'est vrai quoi ! Où est la grosse lampe qu'on braque sur le suspect ? Où sont les faux miroirs ?
  • Désolé, on n'est pas dans NCIS !
  • Pff… naze !

Bon sang, j'adore l'exaspérer ! Je vais peut-être passer la nuit en garde à vue mais ça en vaudra la peine…

  • Hélène, j'ai dû batailler pour faire en sorte de m'occuper de ta déposition… Ne me le fait pas regretter.
  • Ouais remarque ça fait gagner du temps : tu connais déjà la version officielle, tu l'écris dans ton rapport pendant que je me recoiffe, et bim ! Terminé. Je rentre à la maison et je fais une longue sieste bien méritée pendant que vous allez arrêter ces abrutis d'exobiologistes. C'est un bon programme non ?
  • C'est ce que j'ai l'intention de faire. Mais j'aimerais bien entendre quand même ce qu'il s'est réellement passé.

Je fais la moue.

  • Pas grand-chose de plus que ce que j'ai déjà dit dans la version officielle… Le meilleur moyen de faire croire à un mensonge, c'est de l'enrober de vérité…
  • Je vois.
  • Bon, alors bye bye ! lancé-je en faisant mine de me lever.

Mais Jean-Charles m'envoie un regard suffisamment éloquent pour que je rejoigne ma chaise.

  • Ecoute mec, rien qu'en restant à la version officielle, une personne normale n'aurait pas envie d'en parler.
  • Parce que toi, tu n'es pas une personne normale ? se moque-t-il.
  • Je suis l'amie d'un alien métamorphe de deux cent kilos que j'ai rencontré il y a deux jours. Je veux bien que la normalité soit une notion toute subjective, mais il y a des limites. Et si ça ne suffit pas, deux exobiologistes ont réussi à me confondre avec une extra-terrestre ! Alors désolée mais non, je ne suis pas une personne normale, m’énervé-je.

Je me rends compte que je me suis levée et que j'ai les poings serrés à m'en faire blanchir les jointures des phalanges. Jean-Charles me regarde, effaré. Va-t-il enfin cesser de me traiter comme une gamine ? J'opte néanmoins pour un discours plus diplomate.

  • Désolée, je suis encore un peu sous le choc… Je te promets que je te raconterai tout mais pas maintenant et pas ici. Je ne veux pas qu'Antarès ait des ennuis à cause de moi. D'accord ?

Je reste debout en regardant Jean-Charles droit dans les yeux.

Il se détourne en premier. Je sais que j’ai gagné.

  • Bon… très bien. Je m’en tiens à la version officielle, lâche-t-il à regret.
  • Merci.

Jean-Charles se lève et sort de la salle, je lui emboîte le pas. Au bout de quelques mètres, il se retourne. Je manque de lui rentrer dedans et lève le nez pour croiser son regard embarrassé.

  • Heu… Tu as besoin que je te raccompagne jusqu’à la sortie ? demande-t-il d’un ton qui laisse entendre que cette perspective ne l’arrange pas.
  • Désolée, je n’ai pas vraiment le sens de l’orientation.
  • Je m’en occupe, si tu veux, lance une jeune femme aux cheveux décoloré.
  • Je veux bien, merci Arianne.

Dix secondes plus tard, Jean-Charles disparait de mon champ de vision en trois grandes enjambées. Je reste quelques secondes plantée sur place, les bras ballants. La dénommée Arianne me regarde d’un air compatissant.

  • Il est tout le temps comme ça ? demandé-je.
  • Oh non. Il est juste un peu à cran… répond-t-elle avec un sourire crispé qui sous-entend le contraire.
  • Je vois…
  • Bon, c’est par ici.

Je la suis en restant à sa hauteur. Elle me fait traverser plein de couloirs que je suis sûre de ne pas avoir emprunté en arrivant au commissariat.

  • Vous avez fait preuve de beaucoup de sang-froid pour vous échapper ainsi… lâche-t-elle presque distraitement.
  • Ah non, ne commencez pas, vous non plus ! J’ai dit que je ne voulais pas en parler.

Arianne me regarde avec la mine du chat Potté dans Shrek. Je la dévisage à mon tour. J’ai une vague impression de malaise, d’étrangement autre, qu’on peut ressentir en regardant un visage modélisé en 3D réaliste mais pas suffisamment pour créer l’illusion de la réalité. Se pourrait-il que… ? Non. Mais dans le doute…

  • Antarès ?

« Arianne » tente de cacher un sourire mais ses yeux la trahissent. D’ailleurs ils passent subitement du noir au bleu ciel.

  • Tu sais que tu mérites un grand coup de pied dans tes couilles cosmiques ? grogné-je.
  • Ça va être difficile : je n’en ai pas en ce moment…

J’éclate de rire. Comment pourrais-je en vouloir à un être aussi extraordinaire ? Minute, le doute m’assaille.

  • Qu’est-ce que tu as fait de la véritable Arianne ?
  • Rien du tout ! Elle travaille dans son bureau au sous-sol.
  • Je peux savoir ce que tu fais là ?
  • Je voulais simplement voir comment tu allais… déclare-t-il d’un air presque penaud.
  • Et… tu veux que j’ailles comment dans ma situation ?
  • A vrai dire, vu comment tu as réagi jusqu’à maintenant, je n’en ai aucune idée.
  • Hum… Certes. Mais c’est pas genre hyper risqué pour toi de venir ici ?

Antarès sourit encore, sans se cacher cette fois.

  • Quoi ? demandé-je au bout de quelques secondes.
  • Tu viens de t'échapper d'une base scientifique où tu aurais pu y laisser la vie à cause de moi, mais tu t'inquiètes d'abord pour Arianne et pour le secret de mon identité. Ce n'est pas drôle, c'est merveilleux.
  • Mouais, si tu le dis. D'ailleurs comment tu m'as retrouvée sur l'île d'Aix ?
  • J'ai suivi ton odeur. Ça n'a pas été facile car ils t'ont enfermée dans une malle hermétique pour t'y emmener. Mais dès que tu es sortie de leur base c'est devenu un jeu d'enfant.
  • Je sens si fort que ça ? m'inquiété-je
  • Mais non ! J'ai simplement un odorat très supérieur à celui des humains.
  • Mouais.

Il y a un nouveau moment de silence. Nous nous dévisageons l'un l'autre, essayant d'en deviner les pensées. Finalement Antarès lâche :

  • Comment as-tu fait pour sortir de la base ?

Je pousse un gros soupir.

  • Quoi ?
  • T'as peut-être un super odorat mais par contre t'es vachement dur de la feuille !
  • Je ne suis pas sûr de comprendre le sens de cette phrase…
  • T'arrives à me sentir à vingt bornes des côtes mais pour entendre ce que je te dis alors que je suis à deux mètres de toi…mission impossible !
  • Oh tu ne veux pas en parler même à moi… mais pourquoi ?
  • D'une parce que tu ne me croirais pas, de deux parce que je n'ai VRAIMENT pas envie d'en parler !

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