Yussef est compliqué

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Le jour qui a changé ma vie fut le 8 août 2007.

Je vivais à Bagdad avec ma mère et mon père, mes frères et ma sœur. Nous avions une belle maison avec une cour et nous y jouions avec une balle de tennis. Nous jouions au handball et au ballon prisonnier. C’étaient les meilleurs moments de ma vie.

Mon père était médecin et il n’aimait pas Saddam. Un jour, il n’est pas rentré à la maison. Nous ne l’avons jamais revu. Après ça, ma mère s’est occupée de nous avec mon oncle.

Quand les bombardements ont commencé, nous avons tous eu très peur. Ma sœur Nadia pleurait toute la nuit. Elle n’avait que quatre ans. Ma mère chantait en la tenant dans ses bras. Sayeed, mon frère, avait treize ans et il était fort. Il a pris soin de nous. Nous avons réussi à survivre.

Puis la nourriture ne fut plus livrée à Bagdad depuis les villages. Il n’y avait plus de villages ; tous ravagés, il n’y avait plus d’agriculteurs. Nous avons mangé la nourriture en conserve, puis il y eu les rations, puis la nourriture avariée, puis les chiens et les chats que nous chassions dans les rues. Bientôt, des combats eurent lieu devant notre porte.

Un jour, ma mère est allée au marché avec mon frère... et une voiture piégée a explosé. Il n’est rien resté de mon de frère Sayeed à enterrer. Ma mère n’est pas morte sur le coup. Elle était forte. Elle a survécu trois jours à l’hôpital, sur un matelas, sans médicament et sans analgésique. Elle est morte avec nous autour d’elle, chantant à Nadia.

Nous sommes rentrés à la maison. J’ai pris soin de mes frères et ma sœur aussi bien que je l’ai pu. Nous avons mendié de la nourriture et des bonbons auprès des soldats et nous avons volé dans les maisons des morts.

Ensuite, l’eau courante s’est arrêtée et nous avons bu l’eau de la gouttière et l’eau des flaques. Mon frère et mon oncle sont tombés malades. Ils avaient de la fièvre et la diarrhée, et ils sont morts dans le même hôpital où est morte ma mère. Alors... il ne resta plus que moi et Nadia.

Une nuit, pendant que nous dormions, un drone a soufflé la maison d’à côté. C’était un drone parce que le bruit est différent de celui d’une bombe d’avion. Un mur de notre maison s’est effondré. J’étais de l’autre côté de la maison. Je n’ai pas su bouger une seule pierre pour retrouver Nadia. Elles étaient si lourdes. Je ne l’ai plus jamais revue. La date était le 8 août 2007. Le jour où je n’ai plus eu de famille dans ce monde.

J’ai quitté Bagdad sur un camion d’agriculteur et suis passé en Jordanie en rampant sous les barbelés. J’ai trouvé d’autres irakiens. Ils ont payé un camion pour nous conduire à travers l’Europe. Nous nous sommes cachés sous le camion pendant trois semaines. Deux hommes sont morts.

En arrivant en Angleterre, un homme avec un miroir au bout d’une perche a regardé sous le camion et il m’a trouvé. Il m’a donné du thé avec du lait et du sucre. On m’a envoyé dans une maison et j’y ai appris un peu d’anglais. Puis on m’a envoyé ici, à l’école.

Je sais que je suis étrange et je sais que je suis silencieux, et je sais que je suis compliqué. C’est assez difficile pour moi de tout comprendre, et comment je suis ici, et pourquoi je suis ici, et non pas en train de jouer au ballon à Bagdad avec mes frères et ma sœur. Mais... je vais essayer de m’améliorer.

Merci.

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