1970

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Le Citroën Tube H, baptisé Popeye, roulait très tard le soir au retour d'une réunion de famille joyeuse et bien fêtée. Il transportait ma ligne maternelle, père, mère, grand-père, grand-mère, oncle, tante et frère. En ce temps là, la ceinture n'existait pas, les grandes routes avaient trois voies. Il fallait être audacieux pour faire un dépassement et suicidaire pour doubler en troisième position. C'est hélas ce qui arriva.

Mon grand-père conduisait. Assise à côté de lui, ma mère me contenait dans ses bras. Je dormais de toute ma jeunesse. Ma grand-mère fut le troisième témoin de phares aveuglants, d'un suicide manifeste et sûrement inconscient. Le cri qui suivit fut unanime. Dans l'addition, les vitesses furent écrasantes.

Les deux encastrés furent tués sur le coup. Un homme et une femme. Mon grand-père eut le crâne brisé. Il en aura gardé sur le front une cicatrice imposante. Ma mère, n'étant pas à priori de bonne constitution, aura eu décidé de freiner des deux jambes. Ma tante et sa mère eurent le bassin brisé pour toujours, bien qu'elle fussent guéries. Mon père et mon oncle répondirent du même réflexe, l'humérus en bouclier. Au fond du Popeye, mon frère hurlait à la vie tandis que le chien resta calme mais très inquiet.

Et moi ? Ma mère n'a pas eu la force de me retenir. Le pare-brise non plus. Je suis allé m'écraser comme une viande contre un arbre. Un platane je crois. Mon père est venu me voir, le bras cassé. Je dégouttait des oreilles, dégueulasse de la bouche, de partout. Il est retourné désespéré dire aux femmes, qui ne souffraient pas encore, que j'étais perdu.

J'ouvrais un oeil, pour voir, pour m'éveiller. Une dame charmante et bien intentionnée me dit de ne pas bouger, de rester allongé, d'attendre. Je crois qu'elle m'a caressé mais je n'en suis pas sûr. À gauche, assis sur un banc public, mon oncle pleurait la douleur de son bras d'écu. Il faisait noir.

J'ouvrais un oeil, pour voir encore, allongé sur le banc d'un fourgon de police. Mon oncle à la même place se tordait de douleur. Il me parlait ou posait des questions, je ne sais pas. Je n'entendais rien et il faisait froid.

J'ouvrais un oeil, pour voir, encore une fois. Il y avait beaucoup de lumière, tout était blanc même les gens. Ils tiraient sur ma jambe et je n'aimait pas ça. De l'autre côté, derrière une vitre, je vis mon frère qui pleurait. Il m'adressa un regard furtif. Je l'ai senti stupéfait et impuissant.

J'ouvrais un oeil encore. J'aurais voulu me redresser mais j'étais coincé. Je recevais juste à l'instant la visite de mes deux grand-parents, tout sourire, pimpants, réparés, heureux de me voir mais je n'entendais rien et, pire, je ne pouvais pas parler.

Je me réveillais très tôt, comme tous les matins, parce que j'aime bien jouer dans ma chambre quand les autres dorment. J'ai su alors pourquoi je ne pouvais pas me redresser. J'étais enfermé dans un plâtre, oui, un plâtre. Un plâtre qui commençait à ma cheville et qui finissait sous mes bras. J'étais une toute petite personne et les gars n'avaient pas trop la technique. Bon, une dame en blanc m'a annoncé qu'elle allait m'ouvrir. Avec une tronçonneuse, elle m'a découpé. Ça m'a chatouillé.

J'ai été privé de neuf mois de vie. Les autres se sont guéris sans moi. Sauf ma mère qui en a chié des bulles en fauteuil roulant. Qu'est-ce que je voulais dire au fait ? Ha oui, si ! Il reste des morceaux de verre sous ma peau et je n'ai jamais eu mal, je n'ai jamais eu peur.

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